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LOUIS VEUILLOT ET LES ZOUAVES CANADIENS.

Le six avril 1870, est une date dont la famille canadienne ne perdra pas mémoire. En ce jour, une grande émotion fesait tressaillir notre population catholique. Elle désertait ses occupations pour venir saluer l'arrivée d'une centaine de nos zouaves canadiens qui, après avoir fait la garde durant deux ans autour du Vatican pour protéger le trône du chef de la catholicité, rentraient dans leurs foyers, fiers d'avoir accompli une belle et grande action.

Partis en février 1868, après des manifestations non moins enthousiastes, non moins grandioses, nos jeunes compatriotes surent se montrer dignes du glorieux rôle qu'ils avaient assumé, celui de marcher sur les traces des héros de Castelfidardo et de Mentana.

De partout ils ont enlevé l'admiration des vrais croyants et excité l'étonnement des protestants et des libres penseurs, se flattant que la foi d'une autre époque était éteinte et que, suivant la parole d'un des leurs, on ne se battait pas en ce siècle pour un principe! Ils leur ont démontré que sur ce coin de l'Amérique, il existait, non des condottieri, prêts à servir sous tous les drapeaux, mais de véritables héros, assez peu matérialistes pour aller défendre une idée à deux mille lieues de leur pays, à la pointe de leurs vaillantes épées! Ils ont fait revivre le temps des croisades et au cri de "Dieu le veut," ils ont traversé l'océan pour aller s'enrôler dans cette milice d'élite, que les cohortes garibaldiens ne sont pas pressées d'attaquer depuis le fameux sauve qui peut de Monte Rotondo (Montre ton dos). Plus que tous autres, nos zouaves ont contribué à rappeler au monde la colonie de Champlain. Et aujourd'hui, on ne parle plus de notre pays, que comme une terre où fleurissent les grandes vertus qui font les hommes de foi et consacrent l'héroïsme.

Il serait inutile de parler des faits de nos zouaves durant leurs deux années de service sur le sol d'Italie. La grande voix de la presse les a signalés et les a fait connaître amplement.

Nous voulons seulement donner place dans la Revue à la magnifique lettre de M. Louis Veuillot concernant nos zouaves, et que la plupart des journaux canadiens se sont fait un devoir de reproduire. Le célèbre publiciste est depuis plusieurs mois à Rome, d'où il écrit à l'Univers ses remarquables lettres sur le Concile. Il n'a pas voulu laisser partir nos compatriotes pour l'Amérique, sans leur rendre visite et leur dire combien il admirait le dévouement de ces braves enfants du Canada, venus pour lutter avec l'épée contre les mêmes ennemis qu'il combat depuis si longtemps de sa redoutable plume. C'est un noble témoignage que nous enrégistrons avec fierté.

Voici la lettre de M. Veuillot :

JOSEPH TASSÉ.

Rome, 15 mars.

Les jeunes gens du Canada qui ont rempli leur engagement de deux années dans le régiment des zouaves pontificaux quittent Rome demain et retournent chez eux. De ces premiers arrivés il ne reste que leur chef, par l'âge, par la taille et par le rang, l'honorable M. Taillefer, jadis avocat et cultivateur à Montréal, aujourd'hui sous-lieutenant. Les autres étudiants, jeunes professeurs, propriétaires, quelques-uns séminaristes, vont reprendre leur profession, leur charrue, leurs intérêts de famille ou achever leurs études. M. Taillefer, homme fort digne de ce nom de chronique, pacifique, vaillant et devoué suivant la nature des preux, garde le poste d'ainé qu'il remplit si bien pour l'honneur de son pays. Lui et M. le chanoine Moreau, aumônier particulier de l'expédition, sont véritablement le père et la mère de ces mâles enfants très unis par la foi, par le patriotisme, par le drapeau, par tous les beaux liens de l'amitié sainte.

L'occasion m'étant offerte de faire une visite aux partants, j'en ai profité pour les remercier de la joie que m'avait donnée leur arrivée. Ce fut l'une des meilleures émotions de ma vie lorsque, il y a deux ans, j'appris qu'il y avait à Paris une troupe de croisés qui venaient du Canada pour défendre Rome. Des croisés au temps de M. About, de M. de la Bédollière et de M. Renan, et de M. Rouland, et de ce petit sous-préfet de Français ! Certes, depuis trente-deux ans que je me bats et que je suis battu à peu près, grâce à Dieu, tous les jours pour la cause de Saint Pierre, oui, depuis ce tempslà et dès le commencement, j'ai eu bien des espérances, et je les ai encore, et elles ont grandi; mais jusqu'en 1868, jusqu'au moment du passage des Canadiens, je n'avais pas espéré que je verrais des croisés. Je me hâtai de courir à Saint-Sulpice, où l'on m'avait dit qu'ils entendaient la messe. Je les vis en bon ordre, jeunes, vigoureux, graves, tels enfin qu'ils devaient être, des garçons de bonne race, de bons et fiers chrétiens qui savaient bien ce qu'ils faisaient

et qui portaient comme il faut le beau poids de leur sacrifice, sans l'ignorer et sans le trouver lourd. Le digne curé de SaintSulpice monta en chaire, leur parla dans la simplicité de son cœur et fut éloquent. Tout cela était vraiment beau, et cette scène qui eût été touchante partout, convenait davantage en ce lieu de SaintSulpice, parmi les souvenirs vivants de la cure de M. Olier et du cabaret de la pauvre et grande Marie Rousseau, d'où partit la civilisation française et catholique du Canada, si florissante après deux siècles et demi, qui ont vu périr tant de choses.

Si la foule qui lit M. About et M. Renan, et qui écoute M. Rouland, voyait les tableaux que Dieu nous déroule, et entendait les discours qu'il nous tient et les poëmes qu'il nous chante, elle pourrait presque comprendre pourquoi, en général nous n'estimons pas beaucoup le style ni les inventions de la tribune et du Parnasse. C'est fade. La poésie de l'écritoire ne vaut pas celle du bénitier. On sait que je ne méprise point du tout le don de M. Hugo. Je défie bien toutefois M. Hugo, dans ses meilleurs jours, de fabriquer une petite épopée qui égale celle des croisés canadiens, se reposant à Saint-Sulpice sur le chemin de Saint-Pierre. Dédaignant les merveilles de Paris, ils sont repartis, après la messe, sans avoir vu ni M. About, ni M. Renan, ni M. Rouland, ni la Belle Hélène, délices des rois, des empereurs et des peuples.

J'ai donc retrouvé ces braves jeunes gens à la veille du retour, contents d'être venus, contents de s'en aller, car ils ont bien accompli leur dessein de dévouement et de justice, et ils vont rentrer comme ils sont partis, pieux et purs, dignes des embrassements de leurs mères et de leurs sœurs, dignes des couronnes civiques qui leur sont préparées. Que leurs concitoyens les reçoivent en triomphe, ils sont la gloire de leur peuple, ils ont droit au sourire des vierges et à la bénédiction des vieillards. Défendant la grande patrie commune, la nationalité mère, en qui vivent toutes les autres et qui garde la source du droit et de la liberté, ils ont bien mérité dela patrie particulière. La mort de Rome serait la mort des patries. Ils n'ont pas seulement défendu Rome, ils l'ont édifiée. Elle a admiré leur discipline, leur piété, leur douceur. Dans cette armée chrétienne et dans le corps d'élite tout plein des meilleures ardeurs de la jeunesse, on les a vus parmis les plus honorés, et ils ont soutenu l'éclat d'un drapeau dont la splendeur n'est surpassée ni égalée nulle part.

J'ai osé leur adresser la parole. Je ne sais comment j'ai pu faire pour ne rien dire qui vaille. Tant de gens savent dire des choses passables à propos de rien, et ici il y avait tant à dire ! Ce n'est pas l'émotion qui manquait; les idées, d'une certaine manière, ne manquaient pas non plus; mais les unes se sont envolées devant ces yeux et ces oreilles qui attendaient quelque chose, et les autres sont venues quand c'était fini. Je me suis rappelé ce bonhomme qui regorgeait toujours de réponses victorieuses, mais après la conversation. Cette infirmité est commune, voilà pourquoi les orateurs auront toujours d'irréconciliables ennemis, entre lesquels on trouvera toujours beaucoup d'hommes de bon sens. Mais, d'un autre côté, les orateurs seront toujours adorés de ceux qui sont sensibles au dangereux plaisir d'entendre parler sans avoir eux-mêmes rien

à dire. M. Rey, du Moniteur, aurait voulu que le Concile fût préparé par des hommes d'affaires, et qu'ensuite les orateurs spéculatifs et autres pussent prendre leurs aises même durant des années.

Selon mon humble avis, ce n'est pas le moyen que Dieu a donné pour faire de bons décrets, et le Linguosus et le Verbosus n'est point estimé dans la sainte Ecriture. Un Père ennuye, si j'ose ainsi traduire sa pensée, d'un long, et beau, et vide latin qu'il venait d'entendre, et qu'à son avis l'on vantait trop, me disait: Si j'étais président du Concile, je ferais venir un habile joueur de violon, je lui commanderais d'exécuter une longue sonate, et je dirais ensuite à mon discoureur et à ceux qui l'admirent: Ce joueur de violon fait ce que nous ne saurions pas faire: trouvez-vous qu'il soit l'homme qu'il faut pour rédiger nos décrets?

Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, c'est que je n'ai pas fait un magnifique discours, malgré la bonne volonté que je me sentais au milieu de ces braves jeunes gens. Que n'ai-je eu la pensée d'invoquer la condescendante amitié de Monseigneur l'Evêque de Tulle et de l'amener là? C'était une assemblée et une circonstance faites pour sa parole sans pareille, et j'aurais à vous envoyer quelque couronne à suspendre aux portiques du temple et à garder dans les archives de cette France de là-bas, jeune, sincère, croyante, ardente pour le bien, telle enfin que nous fûmes en ces siècles de floraison, maintenant, hélas ! passés quand nous allions en conquête pour le Christ, la croix sur la poitrine, l'Eucharistie dans les plis de notre drapeau.

Bon voyage, fils de France, qui n'avez rien abjuré et rien perdu, ni la sagesse, ni l'esprit, ni le cœur ; bon retour dans vos foyers, où notre vieil honneur est toujours vivant. Les anges qui sont venus avec vous retournent avec vous, contents de vous. Gardez la flamme de France, gardez la flamme de Rome et du Christ. Echauffez-en le cœur de vos jeunes frères, et qu'ils à leur, tour, et qu'après eux viennent vos enfants et vos neveux, conservant cette tradition chevaleresque et chrétienne que les siècles n'ont pu rompre et que vous avez si glorieusement rajeunie. La prière de Pie IX est sur vous, et qui sait quel rêve de durée, quel germe de grandeur et peut être d'empire vous emportez de la vieille Rome et de l'impérissable Vatican!

LOUIS VEUILLOT.

La lettre du correspondant romain de La Minerve complétera les détails donnés par M. Veuillot sur sa visite au Cercle Canadien.

Rome, 14 Mars 1870.

Aujourd'hui, les Zouaves Canadiens ont eu l'insigne honneur de recevoir la visite de M. Louis Veuillot, rédacteur en chef de l'Univers, accompagné de leurs Grandeurs NN. SS. de Montréal et d'Anthédon, et de quelques officiers de Zouaves, venus pour rendre hommage à l'écrivain dont la plume est devenue une puissance si terrible pour tout ce qui ose outrager Dieu ou son Eglise. La triste nouvelle qui, dans la journée, avait parcouru toute la ville ajoutait un nouvel intérêt à sa présence. C'est bien là celui qui marchait

autrefois avec M. de Montalembert, qu'il fut obligé de laisser aller seul pour demeurer plus étroitement lié à cette Eglise à laquelle à l'âge de 24 ans, il consacrait ses talents, son repos et tout son avenir. Hier, le St. Père donnait audience au moment où on est venu lui apprendre la mort de cet homme distingué; prions, a-t-il dit, à ceux qui l'entouraient, prions pour le repos de l'âme de M. de Montalembert, il fut bon chrétien, mais un ennemi lui a fait beaucoup de mal, la superbe.

A peu près au même instant où Pie IX prononçait ces paroles, M. l'abbé Combalot faisait entendre sa voix apostolique dans la chaire de St. Andre della Valle, et ne pouvait retenir son indignation en faisant allusion aux paroles si regrettables que venait de prononcer l'illustre orateur. On n'insulte jamais, dit-il, l'Eglise impunément, parce que c'est un crime satanique, et au moment où il descendait de chaire, on lui annonça la mort de celui dont il venait de flétrir les doctrines: une grande émotion s'empare du prédicateur, et tombant à genoux, il récita à voix haute, le De profundis. Mais je reviens à notre visiteur. Si M. Veuillot écrit très-fort, il parle très-bas, et la plupart ont dû se contenter de le voir; figure mâle et douce en même temps, yeux vifs, noirs et roulant toujours dans l'eau, front haut, sourcils épais, nez large et plat, barbe grisonnée, voilà à peu près le profil de l'illustre écrivain. Quand il parle, de laid qu'il nous paraissait d'abord, il devient beau; des étincelles semblent jaillir de tous les pores, sa figure s'anime et se pare d'un sourire plein de charme. Il converse comme il écrit; à sa phrase toujours correcte, à ses traits pleins de verve et de sel, vous croiriez entendre lire un article de l'Univers ou un chapitre du Parfum de Rome. Jamais il ne s'arrête: il représente une fontaine trop pleine jetant sans cesse ses eaux. Dans sa visite de ce soir je n'ai pu saisir que trois ou quatre pensées; il regarde les canadiens comme les héritiers de la vieille France, héritiers de sa foi, de ses mœurs et de son amour pour le Saint Siège. Le Canada est aujourd'hui ce que serait la France si elle n'avait pas failli à la grâce. Dernièrement, il a vu notre emblême à l'Emporium dans ces marbres précieux qu'on faisait autrefois venir des différentes parties du monde pour couvrir la nudité de Rome et l'embellir. Mais nous faisons plus qu'embellir Rome, nous la défendons. En arrivant à la salle de lecture, il jeta un coup d'œil sur notre bibliothèque, et déclara à Monsieur l'Aumonier qu'il voulait orner notre cercle du monument le plus considérable de notre époque, l'Histoire de l'Eglise, de l'Abbé Rochbarcher. Le vaillant catholique attache une importance prodigieuse à cet ouvrage et ne cesse de le recommander à la jeunesse studieuse. "C'est l'histoire du monde travaillé par Dieu, comme une œuvre à laquelle un bon ouvrier consacre toutes ses occupations et tous ses soins. On y acquiert des connaissances sur tout, histoire, philosophie, politique, théologie, etc. On trouve quelquefois l'ouvrage trop long, et on prétend qu'il faut changer de livre par la même raison qu'on ne peut toujours demeurer au même poste. Dans une voiture qui nous mène de paysage en paysage, de bosquets en bosquets, de palais en palais, on ne bouge pas de son siége, et cependant l'on marche et les spectacles se multiplient sous nos regards. En nous présentant cet

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