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CHRONIQUE DU MOIS.

Le vieux Mars n'est pas aussi bourru qu'autrefois, je parle de longtemps: des flots de lumière inondent notre atmosphère, la neige ruissèle, le rossignol roule dans son gosier des airs de tendre retour, il chante le printemps et le cœur se dilate; les espérances renaissent, les colifichets d'une nouvelle saison s'étalent, les marchands jubilent, et les maris grondent: c'est le temps de parler politique.

Notre Parlement a pris de grands airs; il aspire à une haute destinée; on a bien raison de dire que les circonstances font les hommes les débats sur l'adresse ont fait développer une quantité de talents qui, enfin, arrivent sur le terrain des principes. Ah! entendons nous; il y a bien eu quelques petites personnalités; mais les bonnes choses ne nous arrivent pas comme les mauvaises, et nous devons être heureux de rapporter progrès.

Le parti réformiste, comme tous les convertis, a de fortes tentations et ses vieilles idées se réveillent. Il a voulu, grossi par la désertion de deux principaux membres du parti conservateur, mesurer ses forces contre celui ci. Ces bons partisans ne veulent pas admettre qu'il n'y a plus que le parti coalisé Canadien. Ah Bah! Habitués à faire des lois temporaires qui cessent d'être en vigueur dès que leur but est atteint, ils prétendent que la coalition de 1867 était faite pour faire réussir la Confédération; elle est née; le but est atteint; détruisons là.-Mais il est tard, on a administré aux plus huppés cathécumènes une potion qui réussit toujours dans la région politique, ils s'en trouvent bien et ils vous défendent le gouvernement comme un seul homme.

Au sein de ce Parlement il y a un peu de tout; il y a même des gens visant à l'Indépendance du Canada, ils en parlent tout à l'aise. Malheureusement pour eux le voile tombe; c'est l'annexion, non pas comme conséquence inaperçue; mais méditée, calculée, préméditée, entendue même avec nos voisins. Où conduit donc l'ambition froissée ?

M. McDougall, lui, a le droit de se plaindre: on le malmène; après que les sommités de la politique lui ont fait manquer de devenir roitelet du Nord Ouest, on veut encore lui oter son siége en Parlement, parce qu'il aurait reçu un salaire de la caisse. publique. Et encore un peu qu'on n'admettait pas que ce salaire n'était pas de trop pour payer sa réputation perdue. Enfin, au comité des priviléges, où la question est renvoyée, on décidera peut-être que sa qualité de Lieut.-Gouverneur reste encore sans récompense.

M. Galt tourne le dos au Gouvernement. Mais, restez donc, Monsieur; de grâce, voici un siége,... et un bon encore. Il boude, c'est le temps de taper dessus.

Sir George a prouvé que son discours de Québec avait été mal interprêté. Merci, ça fait du bien à ceux qui, depuis dix ans, combattent des ennemis qui ne voient en vous qu'un citoyen anglais.

M. Oliver pose nettement au gouvernement la question du libre échange et de la protection. C'est un des nerfs du commerce que vous touchez là, Monsieur. Et vous faites bien. Hincks promet de s'en occuper en présentant l'état du budget. Disons toutefois que les plus avancés des libres échangistes: les Huskisson, les Peel, les Cobden même, n'ont jamais prétendu qu'il soit de bon aloi, en économie politique, d'ouvrir ses portes à ceux qui ferment les leurs. Turgot lui-même n'aurait pas souffert qu'on reste avec un système libre-échangiste en face du tarif prohibitif des Etats-Unis.

M. Dunkin présente une mesure pour pourvoir au recensement uniforme de la Puissance. On sait que la représentation, d'après l'acte de l'Amérique Britannique du Nord, devra être basée sur la population, par conséquent le recensement de 1871 nous fera voir qu'elle sera au Parlement Fédéral notre force respective. Mais il y a plus, c'est qu'un bon recensement est le baromètre de la prospérité d'un peuple, et le plus détaillé sera le meilleur. On s'étonne de voir combien un recensement périodique peut fournir aux sciences, à l'industrie et au commerce.

La grandissime question des banques est venue sur le tapis. Il n'y a pas eu grand nombre de discutants sur cette matière ; pour la bonne raison que tout le monde, même un membre du Parlement,

n'est pas propre à discuter sur ce grave sujet qui tient le haut du pavé dans le monde commercial. Les plus ennemis de l'ancienne aristocratie sont obligés de se découvrir devant ces antiques monuments qui remontent jusqu'au paganisme. A Athènes, on appelait les banques Trapezetai de Trapezai, tables ou comptoirs, à Rome, Argentarü.

En 1860, un économiste disait, en substance: en tête des grands établissements du crédit moderne on place la Banque d'Angleterre, régie par le bill de 1844, et la Banque de France, régie par le décret de 1852. Avant la révolution de 1848, onze banques départementales, alors indépendantes de la Banque de France, ont été depuis annexées à cet établissement central. En 1852, on a établi le crédit foncier et la société générale du crédit mobilier. Au dessous de ces établissements privilégiés sont les maisons de banque ordinaires appartenant à des compagnies ou à des particuliers.

Aux Etats-Unis la liberté des banques n'existe que dans les Etats de la Nouvelle Angleterre, c'est-à-dire le Vermont, le Rhode Island, le Massachusetts, le Maine, le New Hampshire, le Connecticut. Dans les autres Etats la Législature intervient plus ou moins.

Dans les autres pays de l'Europe, on a plus ou moins imité l'Angleterre et la France pour l'organisation des banques. En Belgique, en Piémont, en Espagne, on a adopté un régime entièrement analogue à celui qui existe en France.

En Angleterre, outre la Banque de Londres et ses succursales, il y a dans tout le royaume un grand nombre d'autres banques, banques provinciales (county banks), banques à fonds social (joint stock banks), banques constituées en vertu d'un bill spécial (incorporated ou chartered banks) banques privées (private banks).

L'Irlande a, comme la Banque d'Angleterre, une banque privilégiée et quelques banques en possession d'émettre des billets à vue et au porteur, régies par le bill de 1845.

Les banques d'Ecosse sont aussi régies par le même bill qui a fait perdre aux banques d'Ecosse le caractère d'institutions libres, et en vertu duquel aucune nouvelle banque d'émission ne peut s'établir dans le Royaume-Uni, et le maximum de la circulation est limité. En Suisse, les banques jouissent de la plus grande liberté.

En Canada, le régime des banques est réglé par plusieurs lois provinciales. En 1864, il y avait 16 banques reconnues par la loi, cinq banques d'épargne ou caisses d'économie, cinq sociétés de construction qui fesaient le commerce de banques, vingt autres sociétés de construction, dont neuf à termes et onze permanentes. Jusqu'à aujourd'hui les banques ont eu ici pleine liberté de s'appuyer sur un petit capital. Sir Francis ne voulait plus un tel sys

tême pour l'avenir; il exigeait un capital d'au moins un million; mais il a dû fléchir jusqu'à $500,000, et puis à moins. Et c'est sur ce point qu'à duré la discussion. Si cette loi pouvait donc avoir l'effet de faire ouvrir les écluses; mais non, toute les lois du monde ne feront jamais fleurir le commerce si on lui enlève sa base naturelle, le crédit, la confiance; on croit protéger le commerce en mettant les marchands à l'abri de leurs créanciers, on le ruine. Et je ne comprends pas comment un gouvernement laisse subsister une loi de Faillite comme celle qui existe. Un pauvre débutant a besoin de crédit, il est honnête, on lui avance; dans dix ans son fournisseur pourra lui rappeler sa créance s'il veut tromper. Mais avec une loi de faillite, on se dit: prenons nos sûretés, le débiteur peut faillir. Et voilà qu'on exige plusieurs endosseurs, des garanties, des hypothèques, etc.

Il faut qu'il y ait vraiment quelques grands intérêts sous roche pour alimenter une telle législation.

Le poisson est à la hausse sur nos marchés: c'est encore nos aimables voisins qui nous jouent des tours. Ces messieurs ne se gênent pas d'aller tendre leurs filets dans les eaux canadiennes, au détriment de nos pêcheurs. Si encore ils promettaient de faire le carême, notre scrupuleux gouvernement fermerait peut-être les yeux sur cet empiètement. Aussi le ministre a-t-il promis de s'en

occuper.

Un bill est présenté contre l'usure. Je parierais que le promoteur est entre les serres de quelques grippe-sous.

La loi électorale a ouvert d'anciennes plaies, quoique prescrite pour les guérir. Elle menace, pour devenir générale et uniforme pour toute la Puissance, de modifler considérablement l'ancien ordre de chose. Le pouvoir humain sera-t-il donc toujours impuissant à réprimer les abus? S'il n'y avait pas d'élection, il y aurait plus d'honnêteté chez les électeurs, mais bien moins chez les députés. Je ne sais si c'est cette institution qui rend ceux-ci meilleurs; mais, à la veille des élections, ils s'améliorent considérablement. Sur l'estrade, ils sont fervents. Après les élections, c'est le temps des réactions.

La France voit poindre un nouveau régime: le régime constitutionnel, tant reclamé, ouvre au peuple français une ère de liberté. Ollivier n'a pas peu à faire, la tourmente menace de l'emporter. Pourtant il a su rallier une belle majorité lors du vote sur la renonciation aux candidatures officielles. Mais l'opinion parlementaire même est si vacillante!

Le comte Daru a, parait-il, envoyé aux Prélats français à Rome une circulaire leur disant que, si le dogme de l'infaillibilité est admis, le sentiment public forcera la France de retirer son soutien.

La France veut être représentée au Concile, quelques-uns prétendent que c'est à cause de la dogmatisation présumée de l'infaillibilité, d'autres à cause de la publication du projet qui semble toucher l'Eglise et l'Etat. Rome repousse cette demande; mais on assure que les représentants français seront reçus avec toute la déférence due à ce pouvoir.

Quoiqu'il en soit qu'on se tranquillise, si Rome croit que la définition d'un dogme est devenue nécessaire, elle agira sans crainte. Si la France manque à sa mission, elle sera redressée comme elle l'a déjà été, même par les nations hérétiques. Je ne m'étonnerais pas de voir un jour l'Angleterre prendre sa place, et je le dis sans badiner.

Le Comte de Montalembert, né le 29 mars 1810, est mort au moment de voir triompher les institutions parlementaires pour lesquelles il avait combattu pendant dix années. Catholique sincère, sa soumission à l'Eglise ne l'a pas empêché d'être grand. Les limites assignées par l'Eglise à la raison humaine sont assez larges pour permettre à un génie de s'exercer. Lacordaire n'a pas été moins grand que Lamennais.

En Angleterre, on agite le sort de l'Irlande, dont les représentants demandent des amendements au bill de la tenure agraire. L'heureux Gracchus les a promis. Et chose singulière, dans un pays où il est admis que pour la défense de leurs prérogatives politiques, les sujets anglais ont droit de présenter des pétitions au roi ou au parlement, et enfin sont autorisés d'avoir et employer des armes pour leur défense, ou propose à l'heure qu'il est de sévir contre les Irlandais, tandis que la mesure de Gladstone est le seul remède à ces maux séculaires.

Pourquoi faut-il que les gouvernements ne puissent pas découvrir les époques propres à la tutelle, à la curatelle et à la complète émancipation des peuples, sans qu'il soit besoin que les révolutions leur indiquent l'âge auquel ils sont susceptibles de jouir de leurs droits. Les anglais sous ce rapport ne sont pas plus sages que les autres, et toutes les fois que les circonstances leur permettent d'oublier les grands principes qu'ils proclament, ils ne s'en gênent pas plus que les autres.

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