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apologies, hors un fragment de la première, conservé par Eusèbe. Saint Jérôme et l'évêque de Césarée parlent de la seconde comme d'un chef-d'œuvre1.

Les païens reprochaient aux fidèles l'athéisme, l'inceste, et certains repas abominables où l'on mangeait, disait-on, la chair d'un enfant nouveau-né. Saint Justin plaida la cause des chrétiens après Quadrat et Aristide son style est sans ornement, et les actes de son martyre prouvent qu'il versa son sang pour sa religion avec la même simplicité qu'il écrivit pour elle. Athénagore a mis plus d'esprit dans sa défense; mais il n'a ni la manière originale de Justin, ni l'impétuosité de l'auteur de l'Apologétique. Tertullien est le Bossuet africain et barbare; Théophile, dans les trois livres à son ami Autolyque, montre de l'imagination et du savoir; et l'Octave de Minucius Félix présente le beau tableau d'un chrétien et de deux idolâtres, qui s'entretiennent de la religion et de la nature de Dieu, en se promenant au bord de la mer 3.

ont

Arnobe le rhéteur, Lactance, Eusèbe, saint Cyprien, aussi défendu le christianisme; mais ils se sont moins attachés à en relever la beauté qu'à développer les absurdités de l'idolâtrie.

Origène combattit les sophistes: il semble avoir eu l'avantage de l'érudition, du raisonnement et du style, sur Celse, son adversaire. Le grec d'Origène est singulièrement doux; il est cependant mêlé d'hébraïsmes et de tours étrangers, comme il arrive assez souvent aux écrivains qui possèdent plusieurs langues.

L'Église, sous l'empereur Julien, fut exposée à une persécution du caractère le plus dangereux. On n'employa pas la violence contre les chrétiens, mais on leur prodigua le mé

'Eus., lib. iv, 3; HIERONYM., Epist. 80; FLEURY, Hist. Ecclés., tom. ; TILLEMONT, Mém. pour l'Hist. Eccl., tom. II.

2 JUST.

3

Voyez, avec les auteurs cités ci-dessus, DUPIN, dom CELLIER, et l'élégante traduction des anciens Apologistes, par M. l'abbé DE GOURCY.

pris. On commença par dépouiller les autels; on défendit ensuite aux fidèles d'enseigner et d'étudier les lettres1. Mais l'empereur, sentant l'avantage des institutions chrétiennes, voulut, en les abolissant, les imiter : il fonda des hôpitaux et des monastères; et, à l'instar du culte évangélique, il essaya d'unir la morale à la religion, en faisant prononcer des espèces de sermons dans les temples 2.

Les sophistes dont Julien était environné se déchaînèrent contre le christianisme; Julien même ne dédaigna pas de se mesurer avec les Galiléens. L'ouvrage qu'il écrivit contre eux ne nous est pas parvenu; mais saint Cyrille, patriarche d'Alexandrie, en cite des fragments dans la réfutation qu'il en a faite, et que nous avons encore. Lorsque Julien est sérieux, saint Cyrille triomphe du philosophe; mais lorsque l'empereur a recours à l'ironie, le patriarche perd ses avantages. Le style de Julien est vif, animé, spirituel : saint Cyrille s'emporte, il est bizarre, obscur et contourné. Depuis Julien jusqu'à Luther, l'Église, dans toute sa force, n'eut plus besoin d'apologistes. Quand le schisme d'Occident se forma, avec les nouveaux ennemis parurent de nouveaux défenseurs. Il le faut avouer, les protestants eurent d'abord la supériorité sur les catholiques, du moins par les formes, comme le remarque Montesquieu. Érasme même fut faible contre Luther, et Théodore de Bèze eut une légèreté de style qui manqua trop souvent à ses adversaires.

Mais lorsque Bossuet descendit dans la carrière, la victoire ne demeura pas longtemps indécise; l'hydre de l'hérésie fut de nouveau terrassée. L'Histoire des Variations et l'Exposition de la Doctrine Catholique sont deux chefsd'œuvre qui passeront à la postérité.

Il est naturel que le schisme mène à l'incrédulité, et que l'athéisme suive l'hérésie. Bayle et Spinosa s'élevèrent après Calvin ; ils trouvèrent dans Clarke et Leibnitz deux génies capables de réfuter leurs sophismes. Abbadie écrivit en faveur

1 SOCR., 3, cap. XII; GREG. NAZ., 3, pag. 51-97, etc.

2 Voyez FLEURY, Hist. Eccl.

de la religion une apologie remarquable par la méthode et le raisonnement. Malheureusement le style en est faible, quoique les pensées n'y manquent pas d'un certain éclat. « Si les philosophes anciens, dit Abbadie, adoraient les vertus, ce n'était après tout qu'une belle idolâtrie. »

Tandis que l'Église triomphait encore, déjà Voltaire faisait renaître la persécution de Julien. Il eut l'art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l'incrédulité à la mode. Il enrôla tous les amours-propres dans cette ligue insensée; la religion fut attaquée avec toutes les armes, depuis le pamphlet jusqu'à l'in-folio, depuis l'épigramme jusqu'au sophisme. Un livre religieux paraissait-il, l'auteur était à l'instant couvert de ridicule, tandis qu'on portait aux nues des ouvrages dont Voltaire était le premier à se moquer avec ses amis : il était si supérieur à ses disciples, qu'il ne pouvait s'empêcher de rire quelquefois de leur enthousiasme irréligieux. Cependant le système destructeur allait s'étendant sur la France. Il s'établissait dans ces académies de province, qui ont été autant de foyers de mauvais goût et de factions. Des femmes de la société, de graves philosophes avaient leurs chaires d'incrédulité. Enfin, il fut reconnu que le christianisme n'était qu'un système barbare, dont la chute ne pouvait arriver trop tôt pour la liberté des hommes, le progrès des lumières, les douceurs de la vie et l'élégance des

arts.

Sans parler de l'abîme où ces principes nous ont plongés, les conséquences immédiates de cette haine contre l'Évangile furent un retour plus affecté que sincère vers ces dieux de Rome et de la Grèce, auxquels on attribua les miracles de l'antiquité1. On ne fut point honteux de regretter ce culte, qui ne faisait du genre humain qu'un troupeau d'insensés, d'impudiques, ou de bêtes féroces. On dut nécessairement arriver de là au mépris des écrivains du siècle de Louis XIV, qui ne s'élevèrent toutefois à une si haute perfection que parce qu'ils furent

'Le siècle de Louis XIV aimait et connaissait l'antiquité mieux que nous, et il était chrétien.

religieux. Si l'on n'osa pas les heurter de front, à cause de l'autorité de leur renommée, on les attaqua d'une manière indirecte. On fit entendre qu'ils avaient été secrètement incrédules, ou que du moins ils fussent devenus de bien plus grands hommes s'ils avaient vécu de nos jours. Chaque auteur bénit son destin de l'avoir fait naître dans le beau siècles des Diderot et des d'Alembert, dans ce siècle où les documents de la sagesse humaine étaient rangés par ordre alphabétique dans l'Encyclopédie, cette Babel des sciences et de la raison (1).

Des hommes d'une grande doctrine et d'un esprit distingué essayèrent de s'opposer à ce torrent; mais leur résistance fut inutile: leur voix se perdit dans la foule, et leur victoire fut ignorée d'un monde frivole, qui cependant dirigeait la France, et que, par cette raison, il était nécessaire de toucher.

:

Ainsi, cette fatalité qui avait fait triompher les sophistes sous Julien se déclara pour eux dans notre siècle. Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avait déjà perdus ils ne s'aperçurent pas qu'il ne s'agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu'on rejetait absolument les bases. En parlant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissaient sans doute fort solidement les vérités de la foi; mais cette manière d'argumenter, bonne au dix-septième siècle, lorsque le fond n'était point contesté, ne valait plus rien de nos jours. Il fallait prendre la route contraire passer de l'effet á la cause, ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu'il vient de Dieu, mais qu'il vient de Dieu parce qu'il est excellent.

C'était encore une autre erreur que de s'attacher à répondre sérieusement à des sophistes, espèce d'hommes qu'il est

(1) Voyez, pour cette note et les suivantes, indiquées par des chiffres entre parenthèses, à la fin de cet ouvrage.

Les Lettres de quelques Juifs portugais eurent un moment de succès; mais elles disparurent bientôt dans le tourbillon irréligieux.

impossible de convaincre, parce qu'ils ont toujours tort. On oubliait qu'ils ne cherchent jamais de bonne foi la vérité, et qu'ils ne sont même attachés à leur système qu'en raison du bruit qu'il fait, prêts à en changer demain avec l'opinion.

Pour n'avoir pas fait cette remarque, on perdit beaucoup de temps et de travail. Ce n'était pas les sophistes qu'il fallait réconcilier à la religion, c'était le monde qu'ils égaraient. On l'avait séduit en lui disant que le christianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; un culte qui n'avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes, et retarder le bonheur et les lumières du genre humain on devait donc chercher à prouver au contraire que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres; que le monde moderne lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu'aux temples bâtis par MichelAnge et décorés par Raphaël. On devait montrer qu'il n'y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; on devait dire qu'elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l'écrivain, et des moules parfaits à l'artiste ; qu'il n'y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine; enfin il fallait appeler tous les enchantements de l'imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés.

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d'apologie sont épuisés, et peut-être seraient-ils inutiles aujourd'hui. Qui est-ce qui lirait maintenant un ouvrage de théologie? quelques hommes pieux qui n'ont pas besoin d'être convaincus, quelques vrais chrétiens déjà persuadés. Mais n'y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour

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