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cette espèce un nom composé des mots TÉMÉRAIRES

et PEUREUX.

L'homme craintif est effrayé de tout, et l'est toujours outre mesure; il ne contient pas même l'expression de sa peur, et éclate en lamentations. Toujours désespéré, il voit des maux et des dangers partout, tandis que l'homme courageux est toujours plein d'espoir.

Se donner la mort pour échapper à la pauvreté, ou à l'amour, ou à quelque accident douloureux, est plutôt l'action d'un lâche que celle d'un homme de cœur ; car fuir les choses difficiles à supporter est une preuve de foiblesse, et non de courage.

NOTE.

(1) « Les Celtes qui habitent le bord de l'Océan, dit Nico>> las de Damas ( auteur du Siècle d'Auguste ), trouvent que >> c'est une honte de se déranger pour un mur ou pour une >> maison qui tombe. Ils attendent le flot de la mer les armes >> à la main, et se laissent submerger s'ils en sont atteints, » afin qu'on ne puisse point les accuser d'avoir fut et de craindre la mort. »

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DE LYCON (1).

LE BUVEUR.

APPESANTI par la crapule, le buveur quitte lentement un sommeil que l'indigestion et les excès de la veille ont prolongé jusqu'à midi; ses yeux, gonflés de vin, offusqués par les humeurs, et qu'à peine il peut soulever, restent long-temps sans pouvoir supporter la lumière; il se sent d'une foiblesse extrême, puisque ses veines elles-mêmes contiennent, pour ainsi dire, du vin au lieu de sang (2); et il lui est impossible de se lever sans être soutenu. Enfin, appuyé sur deux esclaves (3), et foible comme s'il étoit fatigué du sommeil même, vêtu d'une simple tunique, sans manteau, chaussé mollement en sortant du lit (4), la tête enveloppée pour se garantir du froid, le cou penché, les genoux pliés, le teint pâle, il se fait traîner, de la chambre où il couchoit pour dormir, dans celle où il se couche à table: là, il trouve déjà quelques convives journaliers dont il est le chef et qui sont animés de la même passion. Il se hâte de chasser en buvant le peu d'es

prit et de sentiment qui lui reste, provoque les autres à boire, et les harcelle, croyant que la plus belle victoire l'attend dans ce combat, comme s'il alloit vaincre et tuer beaucoup d'ennemis dans une bataille.

Le temps s'avance et se passe à boire; la vapeur du vin obscurcit tous les yeux et les fait larmoyer; tous les convives sont enivrés, et ne se reconnoissent plus qu'à peine: l'un engage sans aucune cause une dispute avec son voisin; l'autre veut dormir, et est contraint par force à veiller; un troisième, qui cherche à éviter les troubles et à s'échapper pour se rendre chez lui, est retenu par le portier, qui le heurte et le repousse, en lui disant qu'il est défendu de sortir. Pendant ce temps, un autre est jeté dehors honteusement; il chancelle, mais son esclave le soutient et le conduit; il s'avance en laissant traîner son manteau dans la boue. Enfin notre buveur, laissé seul dans la chambre, ne quitte la coupe que lorsqu'il est accablé par le sommeil; alors devenu trop pesante pour ses mains affoiblies, elle lui échappe, et il s'endort.

NOTES.

(1) Philosophe péripatéticien, et chef de l'école du Lycee après Straton, successeur immédiat de Théophraste. Il étoit, ainsi que ce dernier, très-doux dans ses mœurs et très-élégant dans ses manières; et la douceur et l'harmonie de ses écrits lui ont valu de même un surnom honorable. Sa vie se trouve dans Diogène Laërce, liv. V. Ce caractère, le seul de

cet auteur qui nous reste, nous a été conservé par Rutilius Lupus, rhéteur romain, contemporain de Tibère, dans sa traduction de l'ouvrage de Gorgias, DE FIGURIS SENTENTIA RUM ET ELOCUTIONIS, où ce caractère se trouve cité comme exemple. Voyez l'édition de Ruhnkenius, page 99.

(2) Il paroît que l'opinion vulgaire chez les anciens étoit que la boisson passoit à peu près directement dans les veines. Voyez les passages rassemblés par Ruhnkenius.

(3) C'est ainsi que les anciens représentoient le vieux Silène, ou Bacchus lui-même quand il est accablé par l'ivresse.

(4) « SOLEATUS PRÆ Lectulo. » C'étoit un genre de chaussure que les Romains ne portoient que dans l'intérieur des

maisons.

DE L'OUVRAGE DE RHÉTORIQUE

ADRESSÉ

A HÉRENNIUS (1).

LE GLORIEUX.

VOYEZ cet homme qui croit qu'il est beau de se faire passer pour riche. Remarquez d'abord de quel air il vous regarde; ne vous semble-t-il pas dire, Je paierois si vous ne m'importuniez point (2)? Lorsqu'il soulève son menton avec la main gauche, il croit éblouir tous les yeux par l'éclat d'une pierre précieuse et par la splendeur de l'or. En regardant son seul esclave que voici et que sûrement vous ne connoissez pas, mais que je connois, il l'appelle, tantôt d'un nom, tantôt d'un autre. Hé! toi, Sannion, dit-il, viens ici, afin que ces maladroits ne me dérangent rien. Il fait croire ainsi à ceux qui ne le connoissent point qu'il en choisit un parmi beaucoup d'autres. Il lui dit à l'oreille de dresser les lits pour le diner, ou de demander à son oncle un Nègre pour l'accompagner au bain (3), ou de placer sa haquenée à sa porte, ou de faire quelque emplette fu

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