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temps, et qui durent à proportion, comme de faire construire un bel édifice, un temple, un tombeau; c'est dans ces occasions surtout qu'il montrera un goût exquis.

Le prodigue, au contraire, et surtout celui qui s'est enrichi par des occupations viles, tombe dans l'excès de faire des dépenses outrées et mal employées. Il ne dépense que pour faire parade de ses richesses, met un faste déplacé dans les petites choses, ne sait jamais s'en tenir à ce qui convient; et souvent, après avoir fait de grands frais mal à propos, il reste en défaut là où il étoit le plus nécessaire de dépenser. Il donne aux membres de ces confréries qui mangent tour à tour les uns chez les autres un festin semblable à celui avec lequel il célèbre une noce; et, s'il conduit un choeur de comédiens, il paroît dès le commencement de la représentation sur la scène avec un habit de pourpre.

Les avares aussi, lorsqu'ils possèdent une trèsgrande fortune, veulent quelquefois imiter la magnificence; mais ils l'imitent mal, restent toujours au-dessous de ce qu'il faudroit faire, balancent longtemps pour la plus petite dépense, visent sans cesse à épargner, ne donnent qu'à regret, et croient cependant toujours en avoir fait beaucoup plus qu'il n'eût été nécessaire.

NOTES.

(1) Ce caractère est tiré, ainsi que le suivant, de l'ouvrage de morale adressé par Aristote à son fils Nicomaque;

la magnificence y est traitée au livre IV, chap. 1; le courage, au liv. III, chap. vi et suivants. C'est de cet ouvrage surtout que Théophraste paroît avoir profité pour faire celui que l'on vient de lire (voyez le Discours sur Theophraste, note 1), et ces deux caractères sont ceux que le philosophe de Stagyre a tracés avec le plus de détails : le premier se rapproche davantage du genre de Théophraste; le second peut servir plus particulièrement à donner une idée de la méthode d'Aristote. On en trouvera un troisième dans le chapitre LXXXI du Voyage du jeune Anacharsis. Je dois prévenir que ces deux caractères, ainsi que ceux de Dion Chrysostôme, qu'on trouvera ci-après, ne sont pas traduits littėralement, mais qu'on ne les a donnés que par extrait; autrement ceux d'Aristote eussent été trop didactiques, et ceux de Dion trop allégoriques et trop longs, pour répondre au but qu'on s'étoit proposé. Le caractère tiré de l'ouvrage de rhétorique adressé à Hérennius est si bien imité de Théophraste, et celui de Lycon est si court, que j'en ai donné des traductions complètes.

Du reste, la comparaison de tous ces morceaux, et du fragment de Satyrus conservé par Athénée, liv. IV, chap. xix, et que l'on peut voir dans la préface de M. Coray, page 62, avec les caractères de Théophraste, prouve que ce dernier a porté cet art de rassembler des traits particuliers pour peindre, selon l'expression de La Bruyère, le fond du caractère par les choses extérieures, à un point de perfection qui n'a plus été atteint après lui par les auteurs anciens, ou du moins dont nous ne trouvons aucun autre exemple dans ce qui nous reste de leurs ouvrages.

(2) En temps de guerre tous les citoyens riches étoient obligés de fournir et d'équiper une ou plusieurs galères à leurs frais; c'étoit une charge ordinaire et proportionnée aux moyens de chacun : les chœurs, au contraire, entraînoient des dépenses extraordinaires, et beaucoup de citoyens opu

lents se sont ruinés par le luxe qu'ils y ont mis. ( Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxiv.)

(3) Ces monuments consistoient en couronnes, en trépieds, en coupes et autres vases d'or et d'argent, en objets des arts, etc. (Voyez Pollux, I, xxvIII.) J'ai un peu paraphrasé ce trait et les suivants, qui ne sont indiqués dans l'original que par très-peu de mots : les usages dont il s'agit étoient suffisamment connus à des lecteurs contemporains; mais il n'en est pas de même des lecteurs modernes.

II.

LE COURAGE.

LE courage consiste à tenir entre la témérité et la crainte le juste milieu indiqué par la saine raison. Nous craignons en général tous les maux, comme l'ignominie, la pauvreté, les maladies, l'isolement, la mort. Mais ce n'est point sur tous ces maux que s'exerce le courage; car il y en a qu'il est même beau de craindre et honteux de ne pas redouter; telle est l'ignominie. Il est beau de ne pas craindre la pauvreté, les maladies, et en général tout ce qui n'est pas une suite de nos fautes ou de nos vices: mais il y a des gens insensibles au déshonneur de leur femme ya et de leurs enfants, et ce défaut absolu de crainte n'est rien moins que du courage. Le courage proprement dit s'exerce surtout dans les dangers; les plus terribles ne lui inspirent point d'effroi ; il n'en craint pas même le plus éminent et le plus grand, celui de la mort. L'homme courageux peut craindre de périr par une maladie; mais il donne les plus grandes preuves de la qualité qui l'anime dans le plus beau de tous les dangers, dans celui que les peuples et les rois honorent et récompensent le plus, dans la guerre.

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pos

Ce qui est au-dessus de la force de l'homme inspire nécessairement de la crainte; et les dangers ont différents degrés, selon qu'il est plus ou moins sible de se mesurer avec eux. L'homme courageux ne s'effraie point; mais il ne cesse pas d'être homme : sa crainte ou son audace est réglée par la saine raison, et conserve une juste mesure; car telle est la nature de la vertu.

On s'écarte de ce juste milieu, soit en craignant trop fort, soit en ne craignant pas assez, soit en craignant des choses qui ne sont pas à craindre, ou en ne redoutant point ce qui est à redouter.

On dit que les Celtes pèchent par le défaut absolu de crainte, et ne redoutent ni les tremblements de terre, ni la fureur des flots (1): cet excès n'a point de nom dans notre langue; car ce qu'on appelle témérité est relatif à des dangers auxquels on peut échapper.

Le téméraire va au-devant des dangers, et s'y jette; mais souvent la force l'abandonne quand il s'y trouve. L'homme courageux attend le péril avec calme, et ne s'y expose que lorsque l'honneur le lui commande; mais il s'y comporte avec vaillance.

La jactance est un défaut voisin de la témérité; elle consiste à vouloir paroître ce que celle-ci est réellement. Celui qui a ce désir cherche à imiter le téméraire lorsqu'il peut le faire sans courir de risques, mais il a bien soin de ne pas s'exposer réellement aussi avons-nous donné à des hommes de

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