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la précaution d'envoyer quelqu'un des siens avertir qu'il va venir (5). On ne le voit point chez lui lorsqu'il mange ou qu'il se parfume (6). Il ne se donne pas la peine de régler lui-même des parties; mais il dit négligemment à un valet de les calculer, de les arrêter, et les passer à compte. Il ne sait point écrire dans une lettre : « Je vous prie de me » faire ce plaisir, » ou « de me rendre ce service; >> mais, «<< « J'entends que cela soit ainsi : j'envoie un >> homme vers vous pour recevoir une telle chose e; » je ne veux pas que l'affaire se passe autrement; >>> faites ce que je vous dis promptement et sans dif» férer. » Voilà son style.

NOTES.

(1) Littéralement : « L'orgueilleux est capable de dire, à >> celui qui est pressé de le voir immédiatement après le dî» ner, que cela ne peut se faire qu'à la promenade.»

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(2) D'après le manuscrit du Vatican : « S'il fait du bien à quelqu'un, il lui recommande de s'en souvenir : si on le » choisit pour arbitre, il juge la cause en marchant dans les >> rues : s'il est élu pour quelque magistrature, il la refuse en » affirmant par serment qu'il n'a pas le temps de s'en char» ger. » Je corrige le verbe qui commence la seconde phrase, en βαδίζων.

(3) Le manuscrit du Vatican ajoute, « Ou bien portant la » tête haute, quand bon lui semble. >>

(4) C'est le traducteur qui a ajouté cet adoucissement.

(5) Voyez le chapitre 11, de la Flatteric. (La Bruyère.)

(6) Avec des huiles de senteur. (La Bruyère.) (Voyez chapitre v, note 4. ) Le manuscrit du Vatican ajoute, « Ou lorsqu'il se lave. >>

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CHAPITRE XXV.

DE LA PEUR, OU DU DÉFAUT DE COURAGE.

CETTE crainte est un mouvement de l'âme qui s'ébranle, ou qui cède en vue d'un péril vrai ou imaginaire; et l'homme timide est celui dont je vais faire la peinture. S'il lui arrive d'être sur la mer, et s'il aperçoit de loin des dunes ou des promontoires, peur lui fait croire que c'est le débris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur cette côte (1); aussi tremble-t-il au moindre flot qui s'élève, et il s'informe avec soin si tous ceux qui naviguent avec lui sont initiés (2) : s'il vient à remarquer que le pilote fait une nouvelle manœuvre, ou semble se détourner comme pour éviter un écueil, il l'interroge, il lui demande avec inquiétude s'il ne croit pas s'être écarté de sa route, s'il tient toujours la haute mer, et si les dieux sont propices (3): après cela il se met à raconter une vision qu'il a eue pendant la nuit, dont il est encore tout épouvanté, et qu'il prend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venant à croître, il se déshabille et ôte jusqu'à sa chemise, pour pouvoir mieux se sauver à la nage; et après cette précaution il ne laisse pas de prier les nautoniers de le mettre à terre (4). Que si

cet homme foible, dans une expédition militaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discerner si ce qu'ils ont découvert à la campagne sont amis ou ennemis (5): mais si l'on n'en peut plus douter par les clameurs que l'on entend, et s'il vu lui-même de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses yeux, alors, feignant que la précipitation et le tumulte lui ont fait oublier ses armes (6), il court les quérir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup de temps à la chercher, pendant que, d'un autre côté, son valet va, par ses ordres, savoir des nouvelles des ennemis, observe quelle route ils ont prise, et où en sont les affaires ; et, dès qu'il voit apporter au camp quelqu'un tout sanglant d'une blessure qu'il a reçue, il accourt vers lui, le console et l'encourage (7), étanche le sang qui coule de sa plaie, chasse les mouches qui l'importunent, ne lui refuse aucun secours, et se mêle de tout, excepté de combattre. Si, pendant le temps qu'il est dans la chambre du malade, qu'il ne perd pas de vue, il entend la trompette qui sonne la charge Ah! dit-il avec imprécation, puisses-tu être pendu (8), maudit sonneur, qui cornes incessamment, et fais un bruit enragé qui empêche ce pauvre homme de dormir! Il arrive même que, tout plein d'un sang qui n'est pas le sien, mais qui a re

jailli sur lui de la plaie du blessé, il fait accroire (9) à ceux qui reviennent du combat qu'il a couru un grand risque de sa vie pour sauver celle de son ami: il conduit vers lui ceux qui y prennent intérêt, ou comme ses parents, ou parce qu'ils sont d'un même pays (10); et là il ne rougit pas de leur raconter quand et de quelle manière il a tiré cet homme des ennemis, et l'a apporté dans sa tente.

NOTES.

(1) Le grec dit : « Sur mer, il prend des promontoires pour » des galères de pirates.

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(2) Les anciens naviguoient rarement avec ceux qui passoient pour impies; et ils se faisoient initier avant de partir, c'est-à-dire instruire des mystères de quelque divinité, pour se la rendre propice dans leurs voyages. (Voyez le chap. xvi, de la Superstition. La Bruyère.)

Les mystères dont il s'agit ici sont ou ceux d'Eleusis, dans lesquels, d'après la religion populaire des Grecs, tout le monde devoit être initié; ou bien ceux de Samothrace, qui étoient censés avoir la vertu particulière de préserver leurs initiés des naufrages.

(3) Ils consultoient les dieux par les sacrifices, ou par les augures, c'est-à dire par le vol, le chant et le manger des oiseaux, et encore par les entrailles des bêtes. ( La Bruyère.) Le grec porte: « Il lui demande ce qu'il pense du dieu ; » et je crois avec Fischer et Coray que cela veut dire « ce qu'il pré>> sume de l'état du ciel. » Jupiter, ou le dieu par excellence, présidoit surtout aux révolutions de l'atmosphère. On peut même observer en général que la météorologie paroît avoir

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