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les Athéniens élégants paroissent avoir porté les cheveux et la barbe d'une longueur moyenne, qui devoit être toujours la même, et on les faisoit par conséquent couper très-souvent. (Voyez chap. XXVI, note 6; et le chap. v, ci-après.) C'étoit donc une rusticité de laisser croître les cheveux et la barbe pendant un mois et cette malpropreté suppose de plus le ridicule, reproché dans le chap. x à l'avare, de se faire raser ensuite jusqu'à la peau, afin que les cheveux ne dépassent pas de sitôt la juste mesure.

(10) Fameux marchand de chairs salées, nourriture ordinaire du peuple. (La Bruyère.) Il falloit dire, de poisson salé.

CHAPITRE V.

DU COMPLAISANT, OU DE L'ENVIE DE PLAIRE.

POUR faire une définition un peu exacte de cette affectation que quelques-uns ont de plaire à tout le monde, il faut dire que c'est une manière de vivre où l'on cherche beaucoup moins ce qui est vertueux et honnête, que ce qui est agréable (1). Celui qui a cette passion, d'aussi loin qu'il aperçoit un homme dans la place, le salue, en s'écriant, Voilà ce qu'on appelle un homme de bien; l'aborde, l'admire sur les moindres choses, le retient avec ses deux mains, de peur qu'il ne lui échappe; et après avoir fait quelques pas avec lui, il lui demande avec empressement quel jour on pourra le voir, et enfin ne s'en sépare qu'en lui donnant mille éloges. Si quelqu'un le choisit pour arbitre dans un procès, il ne doit pas attendre de lui qu'il lui soit plus favorable qu'à son adversaire (2): comme il veut plaire à tous deux, il les ménagera également. C'est dans cette vue que, pour se concilier tous les étrangers qui sont dans la ville, il leur dit quelquefois qu'il leur trouve plus de raison et d'équité que dans ses concitoyens. S'il est prié d'un repas, il demande en entrant à celui qui l'a

convié où sont ses enfants; et dès qu'ils paroissent, il se récrie sur la ressemblance qu'ils ont avec leur père, et que deux figues ne se ressemblent pas mieux : il les fait approcher de lui, il les baise; et les ayant fait asseoir à ses deux côtés, il badine avec eux: A qui est, dit-il, la petite bouteille? à qui est la jolie cognée (3)? Il les prend ensuite sur lui, et les laisse dormir sur son estomac, quoiqu'il en soit incommodé. Celui enfin qui veut plaire se fait raser souvent, a un fort grand soin de ses dents, change tous les jours d'habits et les quitte presque tout neufs il ne sort point en public qu'il ne soit parfumé (4). On ne le voit guère dans les salles publiques qu'auprès des comptoirs des banquiers (5); et dans les écoles, qu'aux endroits seulement où s'exercent les jeunes gens (6); ainsi qu'au théâtre, les jours de spectacle, que dans les meilleurs places et tout proche des préteurs (7). Ces gens encore n'achètent jamais rien pour eux; mais ils envoient à Byzance toute sorte de bijoux précieux, des chiens de Sparte à Cyzique (8), et à Rhodes l'excellent miel du mont Hymette; et ils prennent soin que toute la ville soit informée qu'ils font ces emplettes. Leur maison est toujours remplie de mille choses curieuses qui font plaisir à voir, ou que l'on peut donner, comme des singes et des satyres (9) qu'ils savent nourrir, des pigeons de Sicile, des dés qu'ils font faire d'os de chèvre (10), des fioles des pour parfums (11), des cannes torses que l'on fait à Sparte, et des tapis de Perse à personnages. Ils ont

chez eux jusqu'à un jeu de paume et une arene propre à s'exercer à la lutte (12); et s'ils se promènent par la ville, et qu'ils rencontrent en leur chemin des philosophes, des sophistes (13), des escrimeurs ou des musiciens, ils leur offrent leur maison (14) pour s'y exercer chacun dans son art indifféremment ils se trouvent présents à ces exercices; et se mêlant avec ceux qui viennent là pour regarder : A qui croyez-vous qu'appartiennent une si belle maison et cette arène si commode? Vous voyez, ajoutent-ils en leur montrant quelque homme puissant de la ville, celui qui en est le maître, et qui en peut disposer (15).

NOTES.

(1) D'après Aristote, le complaisant se distingue du flatteur en ce que le premier a un but intéressé, tandis que le second vit entièrement pour les autres, loue tout pour le simple plaisir de louer, et ne demande que d'être agréable à ceux avec lesquels il vit. Caractère auquel on ne peut faire d'autre reproche que ce que Théophraste a dit quelque part des honneurs et des places, qu'il ne faut point les briguer par un commerce agréable, mais par une conduite vertueuse. Il en est de même de la véritable amitié.

Quelques critiques ont cru que la seconde moitié de ce chapitre appartenoit à un autre caractère; mais il ne s'y trouve aucun trait qui ne convienne parfaitement à un homme qui veut plaire à tout le monde, en tout et par tout autre définition de l'envie de plaire, selon Aristote.

(2) Chaque partie étoit représentée ou assistée par un arbitre ceux-ci s'adjoignoient un arbitre commun: le com-

:

plaisant, étant au nombre des premiers, se conduit comme s'il étoit l'arbitre commun. (Voyez Dém. c. Neœr., édit. R., tom. II, pag. 1360, et Anach., chap. xvI.)

(3) Petits jouets que les Grecs pendoient au cou de leurs enfants. (La Bruyère.) M. Visconti a expliqué, dans le volume III de son Museo Pio Clementino, planche 22, une statue antique d'un petit enfant qui porte une écharpe toute composee de jouets de ce genre, qui paroissent être en partie symboliques. La hache s'y trouve très-distinctement, et l'éditeur croit qu'elle est relative au culte des Cabires. Le même savant pense que l'outre dont il est question ici peut être un symbole bachique. Cependant comme le grec dit seulement, il joue avec eux, en disant outre, hache, il est possible aussi que ce fussent des mots usités dans quelque jeu, dont cependant je ne trouve aucune trace dans les savants traités sur cette matière rassemblés dans le septième volume du Trésor de Gronovius.

(4) Le grec porte: « Il s'oint avec des parfums précieux. » Il paroît qu'on ne se servoit ordinairement que d'huile pure, ou plus légèrement parfumée que l'espèce dont il est question ici. Cette opération avoit lieu surtout au sortir du bain, dont les anciens faisoient, comme on sait, un usage extrêmement fréquent; elle consistoit à se faire frotter tout le corps avec ces matières grasses, et servoit, selon l'expression du scoliaste d'Aristophane, ad Plut., 616, à fermer à l'entrée de l'air les pores ouverts par la chaleur.

(5) C'étoit l'endroit où s'assembloient les plus honnêtes gens de la ville. (La Bruyère.) Le grec porte : « Dans la place » publique, etc. » Les Athéniens faisoient faire presque toutes leurs affaires par leurs banquiers. (Voyez Saumaise, de Usuris, et Boettiger, dans le Mercure allemand du mois de janvier 1802.)

(6) Pour être connu d'eux et en être regardé, ainsi que de

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