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nement de ceux avec qui ils doivent lier quelque commerce, et dont l'émulation les portera à imiter leurs vertus et leur sagesse (5). Ainsi je vais entrer en matière : c'est à vous de pénétrer dans mon sens, et d'examiner avec attention si la vérité se trouve dans mes paroles. Et, sans faire une plus longue préface, je parlerai d'abord de la dissimulation; je définirai ce vice, et je dirai ce que c'est qu'un homme dissimulé; je décrirai ses mœurs; et je traiterai ensuite des autres passions, suivant le projet que j'en ai fait.

NOTES.

(1) Par rapport aux barbares, dont les mœurs étoient trèsdifférentes de celles des Grecs. (La Bruyère.) On pourroit observer aussi que, du temps de Théophraste, les institutions particulières des différents peuples de la Grèce avoient déjà commencé à s'altérer et à se confondre; mais, malgré ces moyens de défendre en quelque sorte cette phrase, on ne peut pas se dissimuler qu'elle est d'une grande inexactitude. Il y avoit toujours une différence très-marquée entre l'éducation et les mœurs d'Athènes et celles de Sparte; et, quant au climat de la Grèce, ce passage se trouve en contradiction avec les témoignages les plus positifs de l'antiquité. D'ailleurs on parle ici des différences dans les mœurs de ville à ville et de pays à pays, tandis que dans l'ouvrage il n'est question que de caractères individuels dont tous les traits sont pris dans les mœurs d'Athènes. On peut d'autant moins supposer que Théophraste ait mis cette double inexactitude dans les faits et dans leur application, et qu'avec cela il se soit borné à ce sujet à un stérile étonnement, qu'Hippocrate, qui a écrit longtemps avant lui, étendoit l'influence du climat sur les carac

tères aux positions particulières des villes et des maisons relativement au soleil, ainsi qu'aux saisons dans lesquelles naissent les enfants, et que notre philosophe lui-même, cherchant ailleurs à expliquer la différence des caractères, entre dans des détails intéressants sur la différence primitive de l'organisation, et sur celle qu'y apportent la nourriture et la manière de vivre. (Voyez Porphyrius, De Abst., lib. III, $ 25. Toutes ces raisons font présumer que cette phrase a été tronquée et altérée par l'abréviateur ou par les copistes. (Voyez chap. XVI, note 1.) Il se peut qu'elle ait parlé de l'altération des mœurs d'Athènes au siècle de Théophraste, tandis que le climat et l'éducation de la Grèce n'avoient point changé.

(2) M. Coray remarque que Diodore de Sicile parle, à la cent quatorzième olympiade, d'un Polyclès, général d'Antipater; et l'on sait que Théophraste fut fort lié avec le fils de ce dernier.

(3) Voyez sur l'âge de Théophraste la note 2 du Discours sur ce philosophe; c'est encore un passage où cet avantpropos paroît avoir été altéré.

(4) Théophraste avoit dessein de traiter de toutes les vertus et de tous les vices. (La Bruyère.) Cette opinion n'est fondée que sur une interprétation peu exacte de la phrase suivante de cette Préface, dans laquelle on n'a pas fait attention que le pronom défini ne peut se rapporter qu'aux méchants; cette opinion est d'ailleurs combattue par la fin de ce même avant-propos où l'on n'annonce que des caractères vicieux ; et il n'est pas à croire que, s'il en avoit existé de vertueux, ceux qui nous ont transmis cet ouvrage en auroient fait le triage pour les omettre. Nous voyons aussi, par un passage d'Hermogène, de Formis orationis (lib. II, cap. 1), que l'épithète n'exoi, que Diogène Laerce et Suidas donnent aux Caractères de Théophraste, s'applique spécialement aux caractères vicieux; car cet au

teur dit qu'on appelle particulièrement de ce nom les gourmands, les peureux, les avares, et des caractères semblables.

Au lieu de, « Il semble, etc., » Il faut traduire, « J'ai cru » devoir écrire sur les mœurs des uns et des autres; je vais » te présenter une suite des différents caractères que portent » les derniers, et t'exposer les principes de leur conduite. >> J'espère, etc. » Après avoir composé beaucoup d'ouvrages de morale qui traitoient surtout des vertus, notre philosophe veut aussi traiter des vices. Du reste, la tournure particulière de cette phrase semble avoir pour objet de distinguer ces tableaux des satires personnelles.

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(5) Plus littéralement : « J'espère, mon cher Polyclès, que »> nos enfants en ́deviendront meilleurs, si je leur laisse de pareils écrits qui puissent leur servir d'exemple et de guide » pour choisir le commerce et la société des hommes les plus parfaits, afin de ne point leur rester inférieurs. » C'est ainsi que Dion Chrysostôme dit dans le discours qui ne contient que lés trois caractères vicieux que j'ai joints à la fin de ce volume: « J'ai voulu fournir des images et des exemples pour dé>> tourner du vice, de la séduction et des mauvais désirs, et » pour inspirer aux hommes l'amour de la vertu et le goût » d'une meilleure vie. »

DE THEOPHRASTE.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA DISSIMULATION.

LA

La dissimulation (1) n'est pas aisée à bien définir : si l'on se contente d'en faire une simple description, l'on peut dire que c'est un certain art de composer ses paroles et ses actions pour une mauvaise fin. Un homme dissimulé se comporte de cette manière : il aborde ses ennemis, leur parle, et leur fait croire par cette démarche qu'il ne les hait point: il loue ouvertement et en leur présence ceux à qui il dresse de secrètes embûches; et il s'afflige avec eux s'il leur est arrivé quelque disgrâce : il semble pardonner les discours offensants que l'on lui tient; il récite froidement les plus horribles choses que l'on aura dites contre sa réputation, et il emploie les paroles les plus flatteuses pour adoucir ceux qui se plaignent de lui, et qui sont aigris par les injures qu'ils en ont reçues. S'il arrive que quelqu'un l'aborde avec empressement, il feint des affaires, et lui dit de revenir une autre fois : il cache soigneu

sement tout ce qu'il fait; et, à l'entendre parler, on croiroit toujours qu'il délibère (2); il ne parle point indifféremment; il a ses raisons pour dire tantôt qu'il ne fait que revenir de la campagne, tantôt qu'il est arrivé à la ville fort tard, et quel quefois qu'il est languissant, ou qu'il a une mauvaise santé. Il dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer de [sa part à une somme que ses amis consentent de lui prêter (3), qu'il ne vend rien, qu'il ne s'est jamais vu si dénué d'argent; pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoique en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écouté ce qu'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention: il feint de n'avoir pas aperçu les choses où il vient de jeter les yeux, ou, s'il est convenu d'un fait, de ne s'en plus souvenir. Il n'a pour ceux qui lui parlent d'affaires que cette seule réponse, J'y penserai. Il sait de certaines choses, il en ignore d'autres ; il est saisi d'admiration; d'autres fois il aura pensé comme vous sur cet événement, et cela selon ses différents intérêts. Son langage le plus ordinaire est celui-ci : « Je n'en crois » rien, je ne comprends pas que cela puisse être, je ne sais où j'en suis; » ou bien : « Il me semble » que je ne suis pas moi-même ; et ensuite : « Ce » n'est pas ainsi qu'il me l'a fait entendre; voilà >>> une chose merveilleuse, et qui passe toute créance; » contez cela à d'autres, dois-je vous croire, ou me

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persuaderai-je qu'il me dit la vérité? »> paroles

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