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paru, ils n'ont ni aïeuls, ni descendants; ils composent seuls toute leur race.

Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre engagement à le faire; et, s'il y a du péril, avec péril: il inspire le courage, ou il y supplée.

Quand on excelle dans son art, et qu'on lui donne toute la perfection dont il est capable, l'on en sort en quelque manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et de plus relevé. V***1 est un peintre ; C*** 2, un musicien; et l'auteur de Pyrame3 est un poète : mais MIGNARD est MIGNARD, LULLI est LULLI, et CORNEILLE est CORNEILLE.

Un homme libre, et qui n'a point de femme, s'il a quelque esprit, peut s'élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde, et aller de pair avec les plus honnêtes gens: cela est moins facile à celui qui est engagé; il semble que le mariage met tout le monde dans son ordre.

Après le mérite personnel, il faut l'avouer, ce sont les éminentes dignités et les grands titres dont les hommes tirent plus de distinction et plus d'éclat ; et qui ne sait être un ÉRASME doit penser à être évêque. Quelques-uns, pour étendre leur renommée, entassent sur leurs personnes des pairies, des colliers d'ordre, des primaties, la pourpre, et ils auroient besoin d'une tiare: mais quel besoin a Trophime d'être cardinal?

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4 Presque tous les éditeurs qui sont venus depuis la mort de La Bruyère ont mis Bénigne au lieu de Trophime, afin de mieux dési

L'or éclate, dites-vous, sur les habits de Philemon: il éclate de même chez les marchands. Il est habillé des plus belles étoffes : le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques, et à la pièce? Mais la broderie et les ornements y ajoutent encore la magnificence: je loue donc le travail de l'ouvrier. Si on lui demande quelle heure il est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre la garde de son épée est un onyx'; il a au doigt un gros diamant qu'il fait briller aux yeux, et qui est parfait : il ne lui manque aucune de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soi autant pour la vanité que pour l'usage; et il ne se plaint non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a épousé une riche vieille. Vous m'inspirez enfin de la curiosité; il faut voir du moins des choses si précieuses: envoyez-moi cet habit et ces bijoux de Philémon ; je vous quitte de la personne.

Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage. L'on écarte tout cet attirail, qui t'est étranger, pour pénétrer jusqu'à toi, qui n'es qu'un fat.

Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui, avec un grand cortége, un habit riche, et un magnifique équipage, s'en croit plus de naissance

gner BossUET, que La Bruyère paroît avoir eu en vue ici. Mais nous avons cru ne devoir rien changer aux éditions faites du vivant de l'auteur.

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et plus d'esprit : il lit cela dans la contenance et dans de ceux qui lui parlent.

les

yeux

Un homme à la cour, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture large et placée haut sur l'estomac, le soulier de maroquin, la calotte de même, d'un beau grain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveux arrangés, et le teint vermeil, qui avec cela se souvient de quelques distinctions métaphysiques, explique ce que c'est que la lumière de gloire, et sait précisément comment l'on voit Dieu : cela s'appelle un docteur. Une personne humble, qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou écrit pendant toute sa vie, est un homme docte.

Chez nous, le soldat est brave, et l'homme de robe est savant : nous n'allons pas plus loin. Chez les Romains, l'homme de robe étoit brave, et le soldat étoit savant un Romain étoit tout ensemble et le soldat et l'homme de robe.

Il semble que le héros est d'un seul métier, qui est celui de la guerre ; et que le grand homme est de tous les métiers, ou de la robe, ou de l'épée, ou du cabinet, ou de la cour : l'un et l'autre mis ensemble ne pèsent pas un homme de bien.

Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand homme est délicate : toutes les vertus militaires font l'un et l'autre. Il semble néanmoins que le premier soit jeune, entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, intrépide; que l'autre excelle

par un grand sens, par une vaste prévoyance, par une haute capacité, et par une longue expérience. Peut-être qu'ALEXANDRE n'étoit qu'un héros, et que CÉSAR étoit un grand homme.

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Emile1 étoit né ce que les plus grands hommes ne deviennent qu'à force de règles, de méditation, et d'exercice. Il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents qui étoient naturels, et qu'à se livrer à son génie. Il a fait, il a agi, avant que de savoir, ou plutôt il a su ce qu'il n'avoit jamais appris. Dirai-je que les jeux de son enfance ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un extrême bonheur joint à une longue expérience seroit illustre par les seules actions qu'il avoit achevées dès sa jeunesse. Toutes les occasions de vaincre qui se sont depuis offertes, il les a embrassées ; et celles qui n'étoient pas, sa vertu et son étoile les ont fait naître : admirable même et par les choses qu'il a faites, et par celles qu'il auroit pu faire. On l'a regardé comme un homme incapable de céder à l'ennemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles, comme une àme du premier ordre, pleine de ressources et de lumières, qui voyoit encore où personne ne voyoit plus; comme celui qui, à la tête des légions, étoit pour elles un présage de la victoire, et qui valoit seul plusieurs légions; qui étoit grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire; la levée d'un siége, une retraite, l'ont plus

La plupart des traits rassemblés dans ce portrait semblent appartenir au grand Condé.

ennobli que ses triomphes; l'on ne met qu'après, les batailles gagnées et les villes prises; qui étoit rempli de gloire et de modestie; on lui a entendu dire, je fuyois, avec la même grâce qu'il disoit, nous les battimes; un homme dévoué à l'état, à sa famille, au chef de sa famille : sincère pour Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins familier : un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n'a manqué que les moindres vertus.

Les enfants des dieux', pour ainsi dire, se tirent des règles de la nature, et en sont comme l'exception: ils n'attendent presque rien du temps et des années. Le mérite chez eux devance l'âge. Ils naissent instruits, et ils sont plus tôt des hommes parfaits que le commun des hommes ne sort de l'enfance.

Les vues courtes, je veux dire les esprits bornés et resserrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendre cette universalité de talents que l'on remarque quelquefois dans un même sujet : où ils voient l'agréable, ils en excluent le solide; où ils croient découvrir les grâces du corps, l'agilité, la souplesse, la dextérité, ils ne veulent plus y admettre les dons de l'âme, la profondeur, la réflexion, la sagesse : ils ôtent de l'histoire de SOCRATE qu'il ait dansé.

Il n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaire aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins regretter. Un homme d'esprit et d'un caractère simple et

Fils. Petit-fils: Issus de rois. (Note de La Bruyère,),

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