Page images
PDF
EPUB

MIGNET

(1796)

M. François-Auguste MIGNET, membre de l'Académie fran. çaise et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morale. et politiques, est né à Aix, en Provence. Ses études terminées, il alla se fixer à Paris. Il se fit connaître par un Cours d'histoire professé à l'Athénée, par des articles de journaux et par une Histoire de la Révolution française écrite à vingt-huit ans. Le jeune auteur se propose de faire l'histoire des causes de la révolution, et ce n'est qu'en courant qu'il trace les caractères et raconte les faits. Ce livre se distingue par une fermeté de jugement, un esprit de généralisation, une vue de l'ensemble, des formes nettes et arrêtées qui ne sont pas toujours le partage de l'âge mûr. On reproche à l'auteur de tomber dans le fatalisme historique, de chercher à prouver systématiquement que les événements ne pouvaient pas arriver ni les partis se succéder d'une autre manière.

Depuis, M. Mignet a publié des Notices historiques et des Mémoires sur des questions d'histoire; une Histoire d'Antonio Pérès, ministre de Philippe II; une Histoire des négociations relatives à la succession d'Espagne, véritable histoire du règne de Louis XIV, un de ses meilleurs ouvrages; une Histoire de Marie Stuart, une Histoire de l'abdication et des dernières années de Charles-Quint. Tous ces ouvrages sont remarquables par la profondeur et l'exactitude du savoir, par une rare pénétration, par un style ferme et pur, quoique parfois compassé et symétrique, par une élégance virile, et, en général, par toutes les qualités, d'un écrivain plus consommé qu'original.

Assassinat du comte Rossi

Il n'y a pas encore deux mois qu'il conduisait, avec une adroite supériorité et une ferme prévoyance, les af

1. Le comte Pellegrina Rossi, né à Carrare en 1787, fut d'abord professeur de droit à Genève et à Paris, pair de France, ambassadeur de France à Rome, puis ministre du pape Pie IX. Il fut assassiné par un républicain fanatique le 15 no vembre 1848.

faires du pontificat constitutionnel. Le 15 novembre, il devait exposer ses projets à la chambre des députés romains, dans un discours où, après avoir rappelé en termes magnifiques la révolution opérée par Pie IX, il disait: « En quelques mois Sa Sainteté a accompli d'elle-même une œuvre qui aurait suffi à la gloire d'un long règne, et a donné aux chefs des nations les plus nobles exemples de sagesse civile. L'histoire, impartiale et véridique, répétera, et à bon droit, en racontant les actes de ce pontificat, que l'Église, inébranlable sur ses fondements divins et inflexible dans la sainteté de ses dogmes, comprend et seconde toujours avec une admirable prudence les honnêtes changements des choses de la terre et les mouvements que la Providence imprime à la vie des peuples. >>

Ce discours ne fut pas prononcé. La faction violente qui avait déjà désuni l'Italie allait achever de la perdre. Elle vit un obstacle à ses desseins dans le ministre habile de Pie IX. Elle s'attacha à le rendre suspect auprès du parti national comme un étranger, tandis qu'on le décriait auprès du peuple comme un hérétique, et elle résolut ensuite de se défaire de lui. Le 15 novembre, jour même où M. Rossi devait paraître à l'assemblée des députés, dans le palais de la chancellerie, fut marqué pour l'exécution du complot.

Les projets sinistres des partis ne restent jamais entièrement mystérieux: la timidité les divulgue, et l'orgueil les annonce. Ce jour fatal, M. Rossi fut averti quatre fois. Une lettre anonyme le prévint d'abord du danger; il la dédaigna. Effrayée des bruits ou des pressentiments publics, la femme d'un de ses collègues lui écrivit pour lui exprimer ses inquiétudes et lui conseiller d'utiles précautions. Il lui répondit, moitié en italien, moitié en français, une lettre pleine d'une abnégation enjouée et d'une sécurité reconnaissante. Avant de se transporter au palais de la chancellerie, il se rendit au Quiri

nal, et là un camérier du pape lui renouvela les mêmes avertissements et lui fit part des mêmes craintes. Sa fermeté ne fut point ébranlée, et il quitta le Saint-Père en le rassurant. Mais à sa sortie du cabinet pontifical, il rencontre un prêtre qui l'attend pour l'instruire du redoutable projet. « Je n'ai pas le temps de vous écouter, lui dit M. Rossi; il faut que j'aille sur-le-champ au palais de la chancellerie. » — « ll s'agit de votre vie, ajoute le prêtre en le retenant par le bras. Si vous y allez, vous êtes mort!» Frappé de ces avis successifs, M. Rossi s'arrête un instant, réfléchit en silence, puis il continue sa marche en disant : « La cause du pape est la cause de Dieu; Dieu m'aidera. » Et il se rend où la fatalité de sa situation l'appelle, où la grandeur de son courage le con

duit.

Arrivé sur la place du palais, que semblent protéger deux bataillons de la garde civique, il entend sortir de la foule des cris qui n'ont pas le pouvoir de l'agiter et qui le font dédaigneusement sourire. Il s'avance jusque sous le péristyle de la chancellerie d'un pas ferme et avec un visage calme. C'est là que les conjurés l'attendaient : les uns sous la colonnade qu'il devait traverser, les autres sur les marches de l'escalier par où il devait monter dans la salle où siégeaient les députés déjà réunis. En le voyant, les premiers se serrent autour de lui et les seconds s'avancent à sa rencontre. Entouré de ses ennemis, M. Rossi, sans se troubler, cherche à se frayer un passage au milieu d'eux. C'est alors qu'avec une horrible habileté, et pour faciliter au meurtrier des coups plus sûrs, l'un des conjurés le touche brusquement à l'épaule, et tandis que l'infortuné M. Rossi se retourne vers lui avec toute la fierté de son regard et l'assurance de son courage, il tend le cou au meurtrier, qui lui enfonce un poignard dans la gorge et le frappe mortellement.

Ce crime, auquel la garde civique assista, pour ainsi

dire, sans l'empêcher, que les députés apprirent sans s'émouvoir, ne resta pas seulement impuni; il fut loué. Le parti qui l'avait fait commettre osa l'avouer, et se hâta de s'en servir. Il outragea de son allégresse la famille éperdue et menacée de l'éminente victime. Il assiégea dans le Quirinal, avec une ingratitude insensée, le vénérable Pie IX, et il dépouilla de son autorité temporelle, après l'avoir contraint à fuir de Rome, le premier pape qui se fût montré réformateur et qui eût fait luire sur ses peuples les nouvelles clartés politiques. Les prospérités de la violence ne sauraient être durables, et il n'était pas réservé à une domination commencée par le meurtre, poursuivie dans le désordre, aboutissant à la dictature et se mettant en guerre avec le monde civilisé, de subsister longtemps. Mais, en frappant M. Rossi, elle avait fait à l'Italie un mal irréparable. Elle l'avait privée d'un de ses plus glorieux enfants. Elle avait enlevé à un pays qui manque d'hommes expérimentés et habiles le grand serviteur dont l'esprit fécond, le savoir exercé, la forte prévoyance et l'incontestable ascendant pourraient être aujourd'hui si utiles à la conduite de ses affaires et à l'établissement de sa liberté.

(Eloge historique de Rossi.)

THIERS

(1797)

M. Louis-Adolphe THIERS, historien, orateur et homme d'État distingué, est né à Marseille. Après de brillantes études, il alla chercher fortune à Paris. Admis à la rédaction d'un journal, il se fit remarquer par la verve et l'audace de sa polé

mique et par une merveilleuse facilité de style et d'intelligence. La publication d'une Histoire de la Révolution française lui assura bientôt une position littéraire éminente. Le style de cet ouvrage est simple, clair, rapide, animé comme celui de l'improvisation; mais il pèche souvent sous le rapport de la précision, de la pureté, de l'élégance. On pourrait reprocher aussi à l'auteur d'être trop favorable aux divers partis qui arrivent au pouvoir, et trop sévère pour les adversaires de la révolution. On désirerait plus d'indignation contre des crimes inexcusables et plus de sympathie pour des douleurs sans exemple.

M. Thiers vient de terminer une Histoire du Consulat et de l'Empire, en vingt volumes, bien supérieure à celle de la Révolution, dont elle est la suite. Malgré bien des erreurs de détail et des appréciations contestables, défauts inévitables dans un grand ouvrage sur l'histoire contemporaine, ce livre est un des plus beaux monuments historiques de notre époque. M. Thiers a le mérite d'avoir essayé le premier de montrer la vérité complète en histoire. Il fait tout comprendre. Aucun historien n'a expliqué avec plus de lucidité les détails les plus embrouillés de l'administration, de la guerre, de la diplomatie, des finances, de la marine, etc. Il est vrai qu'il porte ce mérite jusqu'à l'exagération et qu'il prodigue les détails jusqu'à faire des traités spéciaux sur chaque sujet, ce qui nuit à l'intérêt général du récit. Mais la clarté admirable de ces hors-d'œuvre et le plaisir qu'on éprouve à s'instruire si facilement font passer sur ce défaut, de même que l'aisance et le naturel de son style en font pardonner les négligences.

Outre ses deux grands ouvrages historiques, M. Thiers a publié Law et son système, le Salon de 1822, Du Droit de propriété, Un Voyage dans les Pyrénées, et un grand nombre d'articles dans des journaux et des revues.

Bataille de Friedland !

Napoléon, entouré de ses lieutenants, leur expliqua, avec la force et la précision de langage qui lui étaient ordinaires, le rôle que chacun d'eux avait à jouer dans cette

1. Petite ville sur l'Alle, affluent du Prégel, à dix lieues au sud-est de Es nigsberg, célèbre par la victoire remportée le 14 juin 1807.

« PreviousContinue »