Page images
PDF
EPUB

de reconnaître leur argenterie et de la défendre. Les filles, les femmes des palatins ne pouvaient plus prendre ce soin au milieu d'un désordre toujours croissant; tout ce qui se tenait debout avait les armes à la main. Les coups de sabre étaient échangés aussi souvent que les toasts. Ce n'était plus qu'une orgie sanglante et une affreuse mêlée.

A la faveur du tumulte, les époux s'évadérent.

(Ilistoire de Jean Sobieski.)

JOUFFROY

(1796-1842)

Simon-Théodore JOUFFROY, un des philosophes les plus distingués de l'école éclectique, naquit au village des Pontêts, près de Mouthes, dans le département du Doubs. Au sortir de l'École normale, il fut nommé professeur suppléant de philosophie au collége Bourbon. Il devint ensuite professeur suppléant de l'histoire de la philosophie, et enfin professeur titulaire de philosophie à la Faculté des lettres. Il fut en outre membre de l'Institut, du Conseil de l'instruction publique et de la Chambre des députés.

Jouffroy a publié la Traduction des œuvres philosophiques de Reid, et celle des Esquisses de philosophie morale par DugaldStewart, un Cours de droit naturel, un Cours d'esthétique et deux volumes de Mélanges philosophiques.

En philosophie, Jouffroy n'a guère été que le disciple des philosophes écossais et de M. Cousin, et n'a révélé quelque originalité que dans l'étude des phénomènes psychologiques. Mais dans les lettres il laissera un souvenir durable. Son style, toujours naturel, facile, animé, quelquefois éloquent, a une pureté, une souplesse qu'on trouve dans bien peu d'ouvrages philosophiques.

La vie !

Cette vie, je l'ai en grande partie parcourue; j'en connais les promesses, les réalités, les déceptions. Vous pourriez me rappeler comment on l'imagine; je veux vous dire comment on la trouve, non pour briser la fleur de vos nobles espérances (la vie est parfaitement bonne à qui en connaît le but), mais pour prévenir des méprises sur ee but même, et pour vous apprendre, en révélant ce qu'elle peut donner, ce que vous avez à lui demander et de quelle manière vous devez vous en servir.

On la croit longue, jeunes élèves; elle est très-courte : car la jeunesse n'en est que la lente préparation, et la vieillesse que la plus lente destruction. Dans sept à huit ans, vous aurez entrevu toutes les idées fécondes dont vous êtes capables, et il ne vous restera qu'une vingtaine d'années de véritable force pour les réaliser. Vingt années! c'est-à-dire une éternité pour vous, et en réalité un moment! Croyez-en ceux pour qui ces vingt années ne sont plus: elles passent comme une ombre, et il n'en reste que les œuvres dont on les a remplies. Apprenez donc le prix du temps, employez-le avec une infatigable, avec une jalouse activité. Vous aurez beau faire, ces années qui se déroulent devant vous comme une perspective sans fin n'accompliront jamais qu'une faible partie des pensées de votre jeunesse; les autres demeureront des germes inutiles, sur lesquels le rapide été de la vie aura passé sans les faire éclore, et qui s'éteindront sans fruit dans les glaces de la vieillesse.

Votre âge se trompe encore d'une autre façon sur la vie: il y rêve le bonheur, et ce qu'il y rêve n'y est pas.

1. Discours prononcé à la distribution des prix du collège Charlemagne, en 1840.

Ce qui rend la jeunesse si belle et qui fait qu'on la regrette quand elle est passée, c'est cette double illusion qui recule l'horizon de la vie et qui la dore. Ces nobles instincts qui parlent en vous, et qui vont à des buts si hauts; ces puissants désirs qui vous agitent et qui vous appellent, comment ne pas croire que Dieu les a mis en vous pour les contenter, et que cette promesse, la vie la tiendra? Oui, c'est une promesse, c'est la promesse d'une grande et heureuse destinée, et toute l'attente qu'elle excite en votre âme sera remplie; mais si vous comptez qu'elle le sera en ce monde, vous vous méprenez. Ce monde est borné, et les désirs de votre nature sont infinis. Quand chacun de vous saisirait à lui seul tous les biens qu'il contient, ces biens jetés dans cet abîme ne le combleraient pas; et ces biens sont disputés, on n'en obtient une part qu'au prix d'une lutte ardente, et la fortune n'accorde pas toujours la meilleure au plus digne. Voilà ce que la vie nous apprend; voilà ce qui l'attriste et la décourage; voilà ce qui fait qu'on l'accuse, et avec elle la Providence qui nous l'a donnée. Aucune autre époque ne fut plus heureuse que la nôtre, aucune n'a ouvert plus libéralement à tous l'accès aux bonheurs de la vie, et cependant elle retentit de cette accusation; on s'en prend à tout de n'être pas heureux, à Dieu et aux hommes, à la société et à ceux qui la gouvernent. Que votre voix ne se mêle pas un jour à cette folle accusation; que votre âme ne tombe point à son tour dans ce misérable découragement; et pour cela, apprenez de bonne heure à voir la vie comme elle est, et à ne point lui demander ce qu'elle ne renferme pas. Ce n'est ni la Providence ni elle qui vous trompent; c'est nous qui nous trompons sur les desseins de l'une et sur le but de l'autre. C'est en méconnaissant ce but qu'on blasphème et qu'on est malheureux; c'est en le comprenant ou en l'acceptant qu'on est homme. Écoutez-moi, et laissez-moi vous dire la vérité.

Vous allez entrer dans le monde; des mille routes qu'il ouvre à l'activité humaine, chacun de vous en prendra une. La carrière des uns sera brillante, celle des autres obscure et cachée. La condition et la fortune de vos parents en décideront en grande partie. Que ceux qui auront la plus modeste part n'en murmurent point. D'un côté, la Providence est juste, et ce qui ne dépend point de nous ne saurait être un véritable bien; de l'autre, la patrie vit du concours et du travail de tous ses enfants, et dans la mécanique de la société, il n'y a point de ressort inutile. Entre le ministre qui gouverne l'État et l'artisan qui contribue à sa prospérité par le travail de ses mains, il n'y a qu'une différence, c'est que la fonction de l'un est plus importante que celle de l'autre ; mais, à les bien remplir, le mérite moral est le même. Que chacun de vous se contente donc de la part qui lui sera échue. Quelle que soit sa carrière, elle lui donnera une mission, des devoirs, une certaine somme de bien à produire. Ce sera là sa tâche; qu'il la remplisse avec courage et énergie, honnêtement et fidèlement, et il aura fait dans sa position tout ce qu'il est donné à l'homme de faire. Qu'il la remplisse aussi sans envie contre ses émules. Vous ne serez pas seuls dans votre chemin; vous y marcherez avec d'autres, appelés par la Providence à poursuivre le même but. Dans ce concours de la vie, ils pourront vous surpasser par le talent ou devoir à la fortune un succès qui vous échappera. Ne leur en veuillez pas 1, et si vous avez fait de votre mieux ne vous en veuillez pas à vous-mêmes. Le succès n'est pas ce qui importe; ce qui importe, c'est l'effort c'est là ce qui dépend de l'homme, ce qui l'élève, ce qui le rend content de lui-même. L'accomplissement du devoir, voilà, jeunes élèves, et le véritable but de la

4. Ne leur en voulez pas serait plus correct.

vie et le véritable bien. Vous le reconnaissez à ce signe qu'il dépend uniquement de votre volonté de l'atteindre, et à cet autre qu'il est également à la portée de tous, du pauvre comme du riche, de l'ignorant comme du savant, du pâtre comme du roi, et qu'il permet à Dieu de nous jeter tous tant que nous sommes dans la même balance, et de nous peser avec les mêmes poids. C'est à sa suite que se produit dans l'âme le seul vrai bonheur de ce monde, et le seul aussi qui soit également accessible à tous et proportionné pour chacun à son mérite, le contentement de soi-même. Ainsi tout est juste, tout est conséquent, tout est bien ordonné dans la vie, quand on la comprend telle que Dieu l'a faite, quand on la restitue à sa vraie destination.

VINET

(1796-1847)

Alexandre VINET, moraliste et critique éminent, naquit au village de Crassier, dans le canton de Vaud. Ses études terminées, il entra dans l'état ecclésiastique et se voua à l'enseignement. Il professa la littérature française à l'université de Bâle, puis à celle de Lausanne. Une grande partie de ses travaux littéraires a été publiée dans le journal le Semeur. On pourrait lui appliquer ce qu'il a dit du critique Delalot, à qui il est bien supérieur: « C'était un homme d'un goût exquis, dont la critique était à la fois de la philosophie et du sentiment, passionné avec intelligence pour le beau antique et pour le beau chrétien, d'une sévérité courageuse, parce que l'intention en était pure, libre d'esprit de coterie et d'esprit de contradiction. » Malgré sa passion pour l'art, Vinet se montre encore plus occupé des

« PreviousContinue »