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choisi ce chapitre comme le plus applicable à ma situation?» «Je prie Votre Majesté de remarquer, répondit l'évêque, que c'est l'évangile du jour, comme le prouve le calendrier. » Le roi parut profondément touché, et continua ses prières avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement à la porte de la chambre; Herbert demeurait immobile; un second coupse fit entendre un peu plus fort, quoique léger encore: « Allez voir qui est là, » dit le roi; c'était le colonel Hacker. « Faites-le entrer, » dit-il. « Sire, dit le colonel à voix basse et à demi tremblant, voici le moment d'aller à Whitehall 1; Votre Majesté aura encore plus d'une heure pour s'y reposer. » — « Je pars dans l'instant, répondit Charles, laissez-moi. » Hacker sortit: le roi se recueillit encore quelques minutes, puis, prenant l'évêque par la main: « Venez, dit-il, partons: Herbert, ouvrez la porte; Hacker m'avertit pour la seconde fois. » Et il descendit dans le parc, qu'il devait traverser pour se rendre à Whitehall.

Plusieurs compagnies d'infanterie l'y attendaient, formant une double haie sur son passage, un détachement de hallebardiers marchait en avant, enseignes déployées; les tambours battaient, le bruit couvrait toutes les voix. A la droite du roi était l'évêque; à gauche, tête nue, le colonel Tomlinson, commandant de la garde, et à qui Charles, touché de ses égards, avait demandé de ne le point quitter jusqu'au dernier moment. Il s'entretint avec lui pendant la route, lui parla de son enterrement, des personnes à qui il désirait que le soin en fût confié, l'air serein, le regard brillant, le pas ferme, marchant même plus vite que la troupe, et s'étonnant de sa lenteur. Un des officiers de service, se flattant sans doute de le trou

1. Whitehall, palais de Londres, devant lequel eut lieu l'exécution.

bler, lui demanda s'il n'avait pas concouru, avec le feu duc de Buckingham, à la mort du roi son père : « Mon ami, lui répondit Charles avec mépris et douceur, si je n'avais d'autre péché que celui-là, j'en prends Dieu à témoin, je t'assure que je n'aurais pas besoin de lui demander pardon. » Arrivé à Whitehall, il monta légèrement l'escalier, traversa la grande galerie et gagna sa chambre à coucher, où on le laissa seul avec l'évêque, qui s'apprêtait à lui donner la communion. Quelques ministres indépendants, Nye et Goodwin entre autres, vinrent frapper à la porte, disant qu'ils voulaient offrir au roi leurs services. « Le roi est en prières, » leur répondit Juxon. Ils insistèrent. « Eh bien! dit Charles à l'évêque, remerciez-les en mon nom de leur offre; mais dites-leur qu'après avoir si souvent prié contre moi, et sans aucun sujet, ils ne prieront jamais avec moi pendant mon agonie. Ils peuvent, s'ils veulent, prier pour moi, j'en serai reconnaissant. » Ils se retirèrent. Le roi s'agenouilla, reçut la communion des mains de l'évêque, et se relevant avec vivacité : « Maintenant, dit-il, que ces drôles-là viennent; je leur ai pardonné du fond du cœur ; je suis prêt à tout ce qui va m'arriver. » On avait préparé son dîner ; il n'en voulait rien prendre. « Sire, lui dit Juxon, Votre Majesté est à jeûn depuis longtemps; il fait froid; peut-être, sur l'échafaud, quelque faiblesse... Vous avez raison, » dit le roi, et il mangea un morceau de pain et but un verre de vin. Il était une heure.

Hacker frappa à la porte; Juxon et Herbert tombèrent à genoux. « Relevez-vous, mon vieil ami, dit le roi à l'évêque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau; Charles fit ouvrir la porte. « Marchez, dit-il au colonel, je vous suis. » Il s'avança le long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes. Une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles derrière la garde et priant pour le roi, à me

sure qu'il passait; les soldats, silencieux eux-mêmes, ne les rudoyaient point. A l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plainpied à l'échafaud tendu de noir; deux hommes étaient debout auprès de la hache, tous deux en habits de matelot et masqués. Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler; mais les troupes couvraient seules la place, nul ne pouvait approcher. Il se tourna vers Juxon et Tomlinson « Je ne puis guère être entendu que de vous, leur dit-il; ce sera donc à vous que j'adresserai quelques paroles; » et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué à soutenir qu'il avait eu raison; que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple; que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gouvernement; qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha à la hache, il se retourna précipitamment, disant : « Ne gâtez pas la hache, elle me ferait plus de mal; » et, son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore: « Prenez garde à la hache, prenez garde à la hache, » répéta-t-il d'un ton d'effroi. Le plus profond silence régnait; il mit sur sa tête un bonnet de soie, et, s'adressant à l'exécuteur : << Mes cheveux vous gênent-ils? »> « Je prie Votre Majesté de les ranger sous son bonnet, répondit l'homme en s'inclinant. » Le roi les rangea avec l'aide de l'évêque..... « J'ai pour moi, lui dit-il, en prenant ce soin, une bonne cause et un Dieu clément. »> JUXON. « Oui, sire, il n'y a plus qu'un pas à franchir; il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de durée; et songez qu'il vous fait faire un grand trajet: il vous transporte de la terre au ciel. >>> LE ROI. « Je passe d'une couronne corrup tible à une couronne incorruptible, où je n'aurai à crain

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dre aucun trouble, aucune espèce de trouble. » Et, se tournant vers l'exécuteur: « Mes cheveux sont-ils bien ? » Il ôta son manteau et son Saint-George 1, donna le Saint-George à l'évêque en lui disant: Souvenez-vous 2; ôta son habit, remit son manteau, et, regardant le billot : « Placez-le de manière à ce qu'il soit bien ferme, » dit-il à l'exécuteur.— « Il est ferme, sire. » — LE ROI. « Je ferai une courte prière, et, quand j'étendrai les mains, alors... » Il se recueillit, se dit à lui-même quelques mots à voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tête sur le billot. L'exécuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper: «Attendez le signe,» lui dit-il. « Je l'attendrai, Sire, avec le bon plaisir de Votre Majesté. » Au bout d'un instant, le roi tendit les mains; l'exécuteur frappa; la tête tomba au premier coup: « Voilà la tête d'un traître ! » dit-il en la montrant au peuple. Un long et sourd gémissement s'éleva autour de Whitehall. Beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux directions différentes, dispersèrent lentement la foule. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps : il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwell voulut le voir, le considéra attentivement, et, soulevant de ses mains la tête comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc: « C'était là un corps bien constitué, dit-il, et qui promettait une longue vie. »>

(Histoire de la révolution d'Angleterre.)

1. Saint-George, le collier de l'ordre de Saint-George.
2. On ignore à quelle recommandation ce mot se rapportait.

LAMARTINE

(1790)

M. Alphonse DE LAMARTINE, un des premiers poëtes élégiaques et lyriques de notre littérature, est aussi un des plus brillants prosateurs de notre époque. Il a écrit en prose des Souvenirs et impressions pendant un voyage en Orient, livre incomplet, souvent formé de notes à peine terminées, mais d'une richesse descriptive éblouissante; une Histoire des Girondins, brillante œuvre d'art, d'imagination et de style, dont l'auteur a eu le bon goût de signaler les imperfections sous le rapport de l'exactitude historique; le récit de son enfance et de sa jeunesse dans Mes Confidences, dans Raphaël et dans Fior d'Aliza, où l'on trouve des pages qui rivalisent de jeunesse, de fraicheur et de grâce avec les Harmonies et les Méditations; une Histoire de la révolution de 1848, qui est moins une histoire qu'une apologie du gouvernement provisoire et du rôle que l'auteur y a joué.

M. de Lamartine se montre, en prose comme en vers, doué de tous les dons. Son style est facile, abondant, flexible, brillant, harmonieux. On y désirerait plus de correction, de précision, de simplicité, plus de mesure dans les images et de sobriété dans les détails, plus de variété dans sa merveilleuse abondance. On voudrait aussi qu'il n'oubliât pas dans les récits historiques que la raison doit dominer l'imagination, et qu'une exactitude sévère est le premier mérite du narrateur 1.

Des embarras de fortune ont contraint M. de Lamartine à écrire une foule d'ouvrages, rapidement improvisés, qui n'ajouteront guère à sa gloire. Il a publié entre autres une Histoire de la Restauration, une Histoire de Russie, une Histoire de Turquie, le Conseiller du peuple, le Civilisateur, un Cours familier de litterature. Puisse-t-il au moins vaincre la fortune à force de courage et de travail!

1. Voyez une Notice plus détaillée dans les Poëtes.

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