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Quand les animaux souffrent; quand ils craignent, ou quand ils ont faim, ils poussent des cris plaintifs. Ces cris sont la prière qu'ils adressent à Dieu, et Dieu l'écoute. L'homme serait-il donc dans la création le seul être dont la voix ne dût jamais monter à l'oreille du Créateur?

Il passe quelquefois sur les campagnes un vent qui dessèche les plantes, et alors on voit leurs tiges flétries pencher vers la terre; mais, humectées par la rosée, elles reprennent leur fraîcheur et relèvent leur tête languissante.

Il y a toujours des vents brûlants qui passent sur l'âme de l'homme et la dessèchent. La prière est la rosée qui la rafraîchit.

BARANTE

(1782)

M. Prosper Brugière, baron DE BARANTE, est né à Riom d'une famille ancienne. Préfet sous l'Empire, il est devenu depuis député, pair de France, membre de l'Académie française, ambassadeur, etc.

Au milieu de ses fonctions publiques, M. de Barante n'a pas cessé de cultiver les lettres; il occupe une place éminente parmi nos critiques et nos historiens. Il a publié un Tableau de la littérature au XVIIIe siècle, petit volume où il juge avec une sagacité remarquable les hommes et les choses de cette époque célèbre; des Études littéraires et historiques et des Études historiques et biographiques, recueils d'articles divers, dignes de sa plume élégante et spirituelle; une Notice sur le comte de Saint-Priest, qui contient d'excellents jugements sur plusieurs événements et personnages de la Révolution, et une Histoire des ducs de Bourgogne, modèle de narration simple et attachante, où il donne le modèle d'une histoire écrite pour raconter et non pour juger. Son

style est pittoresque et animé; son récit a souvent la naïveté des chroniques, jointe à la clarté de la langue moderne.

Le même talent de raconter, avec plus de critique historique et l'autorité d'une justice impartiale qui n'exclut pas l'émotion, recommande le dernier ouvrage de M. de Barante, l'Histoire de a Convention nationale, et celle du Directoire de la république française, ouvrages excellents, où les faits sont présentés sous un nouveau point de vue, et éclaircis par des circonstances nouvelles, fruit des profondes recherches de l'historien.

Nous devons encore à M. de Barante une Vie politique de Royer-Collard, ses discours et ses écrits, qui a l'intérêt d'une biographie individuelle et celui d'une histoire politique.

Trahison du duc de Bretagne'

Le duc de Bretagne assembla un grand parlement des barons et des chevaliers bretons. Il fit affectueusement prier le connétable 2 de s'y trouver. Le sire de Clisson aurait cru manquer à son seigneur de n'y point venir, bien qu'il le sût mal disposé pour lui. Le duc de Bretagne le reçut à sa table avec les façons les plus aimables, accepta ensuite à dîner chez lui, lui souhaita un heureux voyage, et, comme ils allaient se séparer, l'engagea à venir voir le beau château de l'Hermine, qu'il faisait bâtir près de la ville 3. Il monta à cheval avec son beau-frère le sire de Laval, le sire de Beaumanoir et quelques autres chevaliers, et s'en vint à l'Hermine.

Le duc de Bretagne le mena par la main de chambre en chambre, lui montrant tout avec soin; ils burent ensemble dans le cellier; puis, quand ils furent près de la grande tour, le duc de Bretagne lui dit : « Sire Olivier,

1. Jean IV de Montfort retint Clisson prisonnier et fit échouer une expédition contre l'Angleterre, dont il était l'allié.

2. Olivier de Clisson (1336-1407), ancien frère d'armes de Duguesclin, et connétable de France.

3. Nantes, capitale de la Bretagne.

il n'y a pas d'homme qui s'entende si bien que vous aux ouvrages de maçonnerie, car vous en avez fait de bien beaux, surtout à votre château de Clisson 1: montez sur ma tour, et dites-moi comment vous la trouvez. J'y changerai ce que vous blâmerez. Montez; je vais rester un moment ici avec le sire de Laval. >>

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Le connétable monta l'escalier; mais à peine eut-il passé le premier étage, que des hommes apostés fermèrent la porte derrière, se jetèrent sur lui et le chargèrent de fers, disant: « Monseigneur, pardonnez-nous, car c'est notre ordre.» Le sire de Laval, entendant du bruit et apercevant la porte se fermer, se doutą de quelque chose; il jeta les yeux sur le duc de Bretagne, et le vit tout pâle. <«< Ah! monseigneur, que voulez-vous faire? dit-il; n'ayez, je vous prie, aucun mauvais dessein contre mon beau-frère. Sire de Laval, répondit le duc de Bretagne, montez à cheval et allez-vous-en. - Non, monseigneur, je ne partirai pas sans le connétable,» répliqua le sire de Laval. Alors arriva le sire de Beaumanoir, qui demanda aussi le connétable. Le duc, furieux, tira son poignard, et se jeta sur lui. « Veux-tu être traité comme ton maître ? lui dit-il. Monseigneur, repartit le sire de Beaumanoir, je crois que mon maître est bien traité. Je te demande encore une fois si tu veux l'être comme lui. Oui, monseigneur. » Alors le duc de Bretagne, pâle et tremblant, leva son poignard, disant : « Je vais te crever un œil; tu seras borgne comme lui. » Le sire de Beaumanoir mit un genou en terre et dit: >> Monseigneur, il y a tant de bonté et de noblesse en vous, que, s'il plaît à Dieu, vous serez juste envers nous. Nous sommes à votre merci; c'est à votre requête et à votre prière que nous sommes venus ici en votre compagnie;

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1. Sur la Sèvre nantaise, au sud-est de Nantes.

ne vous déshonorez pas en exécutant la folle pensée qui vous tient cela ferait trop de bruit. Eh bien! dit le duc de Bretagne, tu ne seras traité ni pis ni mieux que lui. » Il le fit enchaîner et enfermer.

(Histoire des ducs de Bourgogne.)

GUIZOT

(1787)

M. François GUIZOT, historien, publiciste, orateur et homme d'État éminent, est né à Nîmes. Il est fils d'un avocat protestant mort sur l'échafaud révolutionnaire. Après de fortes études, il se fit précepteur et appela bientôt l'attention sur lui par plusieurs publications littéraires. Il publia un Dictionnaire des synonymes français; une Vie de Corneille et de Shakspeare, excellentes études sur ces deux grands poëtes; une traduction de Gibbon, avec des notes historiques d'un haut intérêt. En 1812, M. Guizot fut nommé professeur d'histoire moderne à la Faculté des lettres, et il commença cette série de travaux qui sont le fondement le plus solide de la science historique actuelle. Ce cours célèbre a été imprimé; il se compose des Essais sur l'histoire de France, où plusieurs questions obscures et difficiles sont résolues avec une rare sagacité; de l'Histoire des origines du gouvernement représentatif en Europe; de l'Histoire de la civilisation européenne, ou recherche des causes qui ont influé sur l'état politique et social de l'Europe; de l'Histoire de la civilisation en France, le travail le plus vaste et le plus complet sur les neuf premiers siècles de notre histoire. On remarque, dans ces trois ouvrages, une érudition, un esprit d'ordre, une hauteur de vues, une profondeur d'analyse et une impartialité critique inconnues aux historiens de la France avant M. Guizot. On regrette que M. Guizot se préoccupe trop peu de la forme ses ouvrages se distinguent plus par la gravité du ton, la force et la justesse des raisons, l'élévation des vues, que par l'originalité du langage.

Les études historiques doivent encore à M. Guizot le précieux

secours de deux grandes Collections de Mémoires, l'une sur les neuf premiers siècles de l'histoire de France, l'autre sur la révolution d'Angleterre; elles lui doivent l'Histoire de cette révolution, modèle achevé de l'histoire politique dans les temps modernes; MONK, ou Chute de la république et rétablissement de la monarchie en Angleterre; WASHINGTON, son caractère et son influence dans la révolution d'Amérique; des Études biographiques sur la révolution d'Angleterre ; des Études sur les beaux-arts; SIR ROBERT PEEL, très-belle étude d'histoire contemporaine; les Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps; le recueil de ses Discours politiques, etc. Enfin la haute critique littéraire et la philosophie morale reconnaissent un maître dans ses jugements sur le théâtre de Shakspeare et de Corneille, et dans un volume récemment publié sous le titre de Méditations et Études morales.

Exécution de Charles Fer 1

Au même moment, après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit: « J'ai une grande affaire à terminer, dit-il à Herbert 2, il faut que je me lève promptement; » et il se mit à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin: « Prenez, je vous prie, lui dit le roi, la même peine qu'à l'ordinaire; quoique ma tête ne doive pas rester longtemps sur mes épaules, je veux être paré aujourd'hui comme un marié. » En s'habillant, il demanda une chemise de plus. « La saison est si froide, dit-il, que je pourrais trembler; quelques personnes l'attribueraient peut-être à la peur; je ne veux pas qu'une telle supposition soit possible. » Le jour à peine levé, l'évêque arriva et commença les exercices religieux. Comme il lisait dans le xxvII chapitre de l'Évangile selon saint Matthieu, le récit de la passion de Jésus-Christ: « Mylord, lui demanda le roi, avez-vous

1. Charles [er, roi d'Angleterre en 1625, décapité le 9 février 1649, d'après la nouveau style, et le 30 janvier 1618 d'après l'ancien.

2. Valet de chambre du roi.

3. Juxon (1582-1663), évêqué de Londres, puis archevêque de Canterbury.

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