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en tremblant une tulipe le lendemain, je retrouvai ma tulipe dans l'état de la foulsapatte.

J'étais accablé de chagrin; cependant le surlendemain j'y apportai un bouton de rose avec ses épines, comme le symbole de mes espérances mêlées de beaucoup de craintes. Mais quel fut mon désespoir quand je vis, au premier rayon du jour, mon bouton de rose loin du tombeau! Je crus que je perdrais la raison. Quoi qu'il pût m'en arriver, je résolus de lui parler. La nuit suivante, dès qu'elle parut, je me jetai à ses pieds; mais j'y restai tout interdit en lui présentant ma rose. Elle prit la parole, et me dit: «Infortuné bientôt je ne serai plus. Il faut, à l'exemple de ma mère, que j'accompagne au bûcher mon époux qui vient de mourir; il était vieux, je l'épousai enfant : adieu, retire-toi et oublie-moi; dans trois jours je ne serai qu'un peu de cendre. » En disant ces mots, elle soupira. Pour moi, pénétré de douleur, je lui dis : « Malheureuse brahmine! la nature a rompu les liens que la société vous avait donnés; achevez de rompre ceux de la superstition. Vous le pouvez en me prenant pour votre époux. »> « Quoi! reprit-elle en pleurant, j'échapperais à la mort pour vivre avec toi dans l'opprobre? Ah! laisse-moi mourir! - A Dieu ne plaise, m'écriai-je, que je ne vous tire de vos maux que pour vous plonger dans les miens ! Chère brahmine, fuyons ensemble au fond des forêts; il vaut encore mieux se fier aux tigres qu'aux hommes. Mais le ciel, dans qui j'espère, ne nous abandonnera pas. Fuyons: la nuit, ton malheur, ton innocence, tout nous favorise. Hâtons-nous, veuve infortunée! déjà ton bûcher se prépare, et ton époux mort t'y appelle. Pauvre liane renversée, appuie-toi sur moi, je serai ton palmier.

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Alors elle jeta, en gémissant, un regard sur le tombeau de sa mère, puis vers le ciel; et, laissant tomber une de ses mains dans la mienne, de l'autre elle prit ma rose. Aussitôt je la saisis par le bras, et nous nous mîmes en

route. Je jetai son voile dans le Gange, pour faire croire à ses parents qu'elle s'était noyée. Nous marchâmes pendant plusieurs nuits le long du fleuve, nous cachant le jour dans des rizières. Enfin, nous arrivâmes dans cette contrée que la guerre autrefois a dépeuplée d'habitants. Je pénétrai au fond de ce bois, où j'ai bâti cette cabane et planté un petit jardin : nous y vivons très-heureux. Dans cette solitude, nous nous tenons lieu de tout nous étions méprisés du monde; mais comme nous nous estimons mutuellement, les louanges que je lui donne ou celles que j'en reçois nous paraissent plus douces que les applaudissements d'un peuple. » En disant ces mots, il regardait son enfant dans son berceau et sa femme qui versait des larmes de joie.

(Chaumière indienne.)

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

RÉFORME LITTÉRAIRE.

Les écrivains du XVIe siècle, qui voulaient tout réformer, n'avaient point songé à renouveler les conditions de l'art, lequel néanmoins doit suivre les modifications de l'état social.

L'avénement d'une société nouvelle, au XIXe siècle, en amenant des idées nouvelles et des goûts nouveaux, amena nécessairement une nouvelle forme littéraire. Chateaubriand et madame de Staël, disciples épurés de J.-J. Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre, eurent les honneurs de l'innovation.

Chateaubriand, esprit poétique, créa un monde d'images, en associant le moyen âge chrétien à l'antiquité grecque. Il renversa de leurs autels les divinités païennes, pour faire place dans la nature au vrai Dieu et à l'âme humaine, et il trouva des beautés nouvelles, inconnues au génie grec et latin. Il ratta

cha la critique à ce qu'il y a de plus intime dans l'homme et appliqua la couleur des temps et des lieux aux tableaux et aux souvenirs historiques. Il modifia la langue elle-même; il l'enrichit d'expressions, de figures, de formes nouvelles, et donna à la prose un coloris, une richesse, un éclat, une mélodie, qui manquent parfois même à notre langue poétique. Comme Chateaubriand, madame de Staël découvrit des régions inconnues; elle réclama dans la littérature la place qui doit appartenir à l'élément chrétien et à l'élément du Nord, trop effacés par la renaissance classique du xvIe siècle. Elle nous initia par des écrits ingénieux au génie germanique, et nous en fit peut-être trop admirer les conceptions fortes, mais bizarres, et les vues hardies, mais aventureuses.

Les deux chefs de la réforme littéraire eurent d'abord peu d'imitateurs. Sous la République et l'Empire, les esprits, absorbés dans les convulsions politiques et dans le bruit des batailles, trouvaient peu de temps pour les travaux littéraires. Aussi la littérature continua-t-elle à n'être qu'une pâle et fade copie des formes pures et élégantes des deux siècles précédents.

Ce fut pendant les paisibles années de la Restauration que la littérature rentra dans la voie tracée au commencement du siècle. Plusieurs genres en prose, la philosophie, la critique, l'histoire, le roman, reçurent de profondes modifications.

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