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traverse les salles du palais 1. Il arrive, il s'étend à terre, et dit : « Commencez, la cour vous écoute. » C'est lui qui était toute la cour.

« Le coucou dit : « Monseigneur, il n'y a pas un mot à << perdre de mes raisons; saisissez bien le caractère de << mon chant, et surtout daignez en observer l'artifice << et la méthode. » Puis, se rengorgeant et battant à chaque fois des ailes, il chanta » Coucou, coucou, « coucoucou, coucoucou, coucou, coucoucou. » Et, après avoir combiné cela de toutes les manières possibles, il se tut.

« Le rossignol, sans préambule, déploie sa voix, s'élance dans les modulations les plus hardies, suit les chants les plus neufs et les plus recherchés: ce sont des cadences ou des tenues à perte d'haleine. Tantôt on entendait les sons descendre et murmurer au fond de sa gorge, comme l'onde du ruisseau qui se perd sourdement entre les cailloux, tantôt on l'entendait s'élever, se renfler peu à peu, remplir l'étendue des airs et y demeurer comme suspendue. Il était successivement doux, léger, brillant, pathétique, et, quelque caractère qu'il prît, il peignait; mais son chant n'était pas fait pour tout le monde.

« Emporté par son enthousiasme, il chanterait encore; mais l'âne, qui avait déjà bâillé plusieurs fois, l'arrêta et lui dit : « Je me doute que tout ce que vous avez «< chanté là est fort beau, mais je n'y entends rien; cela << me paraît bizarre, brouillé, décousu. Vous êtes peut<< être plus savant que votre rival, mais il est plus « méthodique que vous, et je suis, moi, pour la mé<< thode. »>

Et l'abbé, s'adressant à M. Le Roy et montrant Grimm

1. Palais de justice.

2. Tenue, continuation d'une même note pendant quelques mesures.

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du doigt: « Voilà, dit-il, le rossignol; et vous êtes le coucou, et moi je suis l'âne qui vous donne gain de cause. Bonsoir. »

(Lettre à mademoiselle Voland, 1760.)

MARMONTEL

(1728-1799)

Jean-François MARMONTEL naquit à Bord, dans le Limousin, d'une famille pauvre. A dix-huit ans, il se rendit à Paris, et se lia avec Voltaire et les autres écrivains du parti philosophique. Il fut d'abord précepteur, ensuite secrétaire des Bâtiments. Il obtint plus tard le brevet du journal le Mercure, dont il était un des principaux rédacteurs, puis la place d'historiographe de France. Pendant la Terreur, il s'éloigna de Paris; en 1797, il fut nommé député au conseil des Anciens.

Nous avons de Marmontel des Tragédies, aujourd'hui oubliées; des Contes moraux fort licencieux, et deux romans, Bélisaire et les Incas, écrits avec une élégance artificielle, et maintenant peu lus; des Éléments de littérature, livre instructif et encore et des Mémoires intéressants sur sa vie, qui sont le plus agréable et le plus durable de ses ouvrages.

estimé,

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Tableau de famille

Ajoutez au ménage trois sœurs de mon aïeule, et la sœur de ma mère, cette tante qui m'est restée; c'était au milieu de ces femmes et d'un essaim d'enfants que mon père se trouvait seul avec très-peu de bien, tout cela subsistait. L'ordre, l'économie, le travail, un petit commerce et surtout la frugalité nous entretenaient dans l'aisance. Le petit jardin produisait presque assez de légumes pour les besoins de la maison, l'enclos nous

donnait des fruits, et nos coings, nos pommes, nos poires, confits au miel de nos abeilles, étaient, durant l'hiver, pour les enfants et pour les bonnes vieilles, les déjeuners les plus exquis. Le troupeau de la bergerie de SaintThomas habillait de sa laine tantôt les femmes et tantôt les enfants; mes tantes la filaient; elles filaient aussi le chanvre du champ qui nous donnait du linge; et les soirées, où, à la lueur d'une lampe qu'alimentait l'huile de nos noyers, la jeunesse du voisinage venait teiller avec nous ce beau chanvre, formaient un tableau ravissant. La récolte des grains de la petite métairie assurait notre subsistance; la cire et le miel de nos abeilles, que l'une de mes tantes cultivait avec soin, étaient un revenu qui coûtait peu de frais; l'huile exprimée de nos noix encore fraîches avait une saveur, une odeur que nous préférions au goût et au parfum de celle de l'olive. Nos galettes de sarrasin, humectées, toutes brûlantes de ce bon beurre du mont Dore, étaient pour nous le plus friand régal. Je ne sais pas quel mets nous eût paru meilleur que nos raves et nos châtaignes; et en hiver, lorsque ces belles raves grillaient le soir à l'entour du foyer, ou que nous entendions bouillonner l'eau du vase où cuisaient ces châtaignes si savoureuses et si douces, le cœur nous palpitait de joie. Je me souviens aussi du parfum qu'exhalait un beau coing ròti sous la cendre, et du plaisir qu'avait notre grand'mère à le partager entre nous. La plus sobre des femmes nous rendait tous gourmands. (Mémoires, liv. Ier.)

Dîner de Marmontel à la Bastille 1

Deux heures après, deux geôliers chargés d'un dîner

1. En janvier 1760, Marmontel fut enfermé à la Bastille pour avoir récité en société une satire contre le duc d'Aumont, gentilhomme de la chambre.

que je crois le mien viennent le servir en silence. L'un dépose devant le feu trois petits plats couverts d'assiettes de faïence commune; l'autre déploie, sur celle des deux tables qui était vacante, un linge un peu grossier, mais blanc. Je lui vois mettre sur cette table un convert assez propre, cuiller et fourchette d'étain, du bon pain de ménage et une bouteille de vin. Leur service fait, les geôliers se retirent, et les deux portes se referment avec le même bruit des serrures et des verrous.

Alors Bury 1 m'invite à me mettre à table, et il me sert la soupe. C'était un vendredi. Cette soupe en maigre était une purée de féves blanches, au beurre le plus frais, et un plat de ces mêmes féves fut le premier que Bury me servit. Je trouvai tout cela très-bon. Le plat de morue qu'il m'apporta pour le second service était meilleur encore. La petite pointe d'ail l'assaisonnait, avec une finesse de saveur et d'odeur qui aurait flatté le goût du plus friand Gascon. Le vin n'était pas excellent, mais il était passable. Point de dessert. Il fallait bien être privé de quelque chose. Au surplus, je trouvai qu'on dînait fort bien en prison.

Comme je me levais de table, et que Bury allait s'y mettre (car il y avait encore à dîner pour lui dans ce qui restait), voilà mes deux geôliers qui rentrent avec des pyramides de nouveaux plats dans les mains. A l'appareil de ce service en beau linge, en belle faïence, cuiller et fourchette d'argent, nous reconnûmes notre méprise, mais nous ne fimes semblant de rien, et lorsque nos geôliers, ayant déposé tout cela, se furent retirés : « Monsieur, me dit Bury, vous venez de manger mon dîner; vous trouverez bon qu'à mon tour je mange le vôtre. Cela est juste, lui répondis-je, et les murs de ma

1. Domestique de Marmontel.

chambre furent, je crois, bien étonnés d'entendre rire. »

Ce dîner était gras, en voici le détail : un excellent potage, une tranche de boeuf succulent, une cuisse de chapon bouilli ruisselant de graisse et fondant, un petit plat d'artichauds frits en marinade, un d'épinards, une très-belle poire de crésanne, du raisîn frais, une bouteille de vin vieux de Bourgogne, et du meilleur café de Moka; ce fut le dîner de Bury, à l'exception du café et du fruit qu'il voulut bien me réserver.

(Mémoires, liv. VI.)

LA HARPE

(1739-1803.)

Jean-François LA HARPE, né à Paris, était, dit-on, fils naturel d'un capitaine suisse au service de France. Après de brillantes études, il débuta dans la littérature par des pièces de théâtre aujourd'hui oubliées, sauf les tragédies de Warwick et de Philoctète et le drame de Mélanie, qu'on joue encore. Des Éloges, presque tous couronnés par l'Académie française, accrurent sa réputation. En 1786, il commença, à l'Athénée, un cours de littérature dont la publication est devenue, malgré bien des défauts, son plus beau titre de gloire. La partie ancienne manque d'érudition et de proportions; le moyen âge et le XVIe siècle sont à peine effleurés, et le XVIIIe siècle est traité avec une déplorable partialité. Mais les chapitres sur la littérature du règne de Louis XIV sont écrits avec une supériorité incontestable. La Harpe, doué du sentiment du beau et du bon, apprécie avec goût et loue avec éloquence et émotion les écrivains du grand siècle, dans un style excellent.

Bossuet dans l'oraison funèbre

Ce nom vous rappelle un de ces hommes rares que le

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