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M. DIMANCHE.

Fort bien, monsieur, Dieu merci.

DON JUAN.

C'est une brave femme.

M. DIMANCHE.

Elle est votre servante, monsieur. Je venais...

DON JUAN.

Et votre petite fille Claudine, comment se portet-elle?

M. DIMANCHE.

Le mieux du monde.

DON JUAN.

La jolie petite fille que c'est! Je l'aime de tout mon

cœur.

M. DIMANCHE.

C'est trop d'honneur que vous lui faites, monsieur. Je

vous...

DON JUAN.

Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour?

M. DIMANCHE.

Toujours de même, monsieur. Je...

DON JUAN.

Et votre petit chien Brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous?

M. DIMANCHE.

Plus que jamais, monsieur, et nous ne saurions en chevir 1.

1. Vieux mot inusité, étre chef ou maître.

DON JUAN.

Ne vous étonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt.

M. DIMANCHE

Nous vous sommes, monsieur,

infiniment obligés.

Je...

DON JUAN, lui tendant la main.

Touchez donc là, monsieur Dimanche. Êtes-vous bien de mes amis?

M. DIMANCHE.

Monsieur, je suis votre serviteur.

DON JUAN.

Parbleu ! je suis à vous de tout mon cœur.

M. DIMANCHE.

Vous m'honorez trop. Je...

DON JUAN.

Il n'y a rien que je ne fisse pour vous.

M. DIMANCHE.

Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi.

DON JUAN.

Et cela sans intérêt, je vous prie de le croire.

M. DIMANCHE.

Je n'ai point mérité cette grâce, assurément. Mais, monsieur...

DON JUAN.

Or ça, monsieur Dimanche, sans façon, voulez-vous souper avec moi ?,

M. DIMANCHE.

Non, monsieur, il faut que je m'en retourne tout à l'heure. Je...

DON JUAN, se levant.

Allons vite, un flambeau pour conduire M. Dimanche;

et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquepour l'escorter.

tons

M. DIMANCHE, se levant aussi.

Monsieur, il n'est pas nécessaire, et m'en irai bien tout seul. Mais...

(Sganarelle ôte les siéges promptement.)

DON JUAN.

Comment! je veux qu'on vous escorte, et je m'intéresse trop à votre personne. Je suis votre serviteur et, de plus, votre débiteur.

Ah! monsieur...

M. DIMANCHE.

DON JUAN.

C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis à tout le monde.

Si...

M. DIMANCHE.

DON JUAN.

Voulez-vous que je vous reconduise!

M. DIMANCHE.

Ah! monsieur, vous vous moquez. Monsieur...

DON JUAN.

Embrassez-moi donc, s'il vous plaît. Je vous prie encore une fois d'être persuadé que je suis tout à vous et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service.

SGANARElle.

(Il sert.)

Il faut avouer que vous avez en monsieur un homme qui vous aime bien.

1. Mousqueton, espèce de petit fusil.

M. DIMANCHE.

Il est vrai; il me fait tant de civilités et tant de compliments que je ne saurais jamais lui demander de l'argent.

SGANARELLE.

Je vous assure que toute sa maison périrait pour vous, et je voudrais qu'il vous arrivât quelque chose, que quelqu'un s'avisât de vous donner des coups de bâton, vous verriez de quelle manière...

M. DIMANCHE.

Je le crois; mais, Sganarelle, je vous prie de lui dire un petit mot de mon argent.

SGANARELLE.

Oh! ne vous mettez pas en peine; il vous payera lė mieux du monde.

(Il le pousse dehors.)

(Don Juan, acte IV.)

LA ROCHEFOUCAULD

(1613-1680)

François, duc de LA ROCHEFOUCAULD, se fit remarquer par son esprit, sa connaissance des hommes et ses intrigues. Pour plaire à la duchesse de Longueville, il se jeta dans cette guerre de la Fronde, qui n'aurait été que ridicule si elle n'eût point coûté de sang à la France. Il n'y éprouva que des déceptions. Revenu de ses illusions, il tomba dans un découragement moral, dans une misanthropie chagrine et égoïste qui est le caractère de ses Maximes. Il passa les dernières années de sa vie dans l'intimité de madame de La Fayette et de madame de Sévigné.

Le petit livre des Maximes, dit Voltaire, est un des ouvrages

qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation : il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. Mais, sous le rapport de la vérité, La Rochefoucauld a fait plus souvent le tableau d'une époque corrompue qu'une peinture de l'homme en général. Il attribue toutes nos actions à la vanité ou à l'intérêt; c'est méconnaître la vertu et s'exposer à corrompre l'homme à force de le rabaisser. Il a encore laissé des Réflexions diverses et des Mémoires qu'on lit avec plus de plaisir que ses Maximes.

Maximes diverses.

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir; mais les maux présents triomphent d'elle.

Si nous n'avions point de défauts, nous n'aurions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres.

Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé.

Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres.

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit.

On parle peu quand la vanité ne fait pas parler.

L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la

vertu.

La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité.

Comme c'est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits, au contraire, ont le don de beaucoup parler et de ne rien dire.

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