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Chateaubriand et madame de Staël, secouant le joug de l'impiété voltairienne, avaient proclamé le spiritualisme comme un sentiment; ils avaient touché le cœur, mais la raison n'était pas convaincue. La science acheva la victoire. L'école catholique attaqua le sensualisme et le matérialisme, tout en anathématisant la raison humaine : MM. de Bonald, de Maistre et de Lamennais, qui en étaient les chefs, ne parlèrent que de règle, de devoir et de Dieu aux sectateurs de la philosophie du XVIIIe siècle, qui avaient proclamé la liberté sans la règle, le droit sans le devoir et l'homme sans Dieu. L'école éclectique de MM. RoyerCollard, Cousin et Jouffroy entreprit de ruiner les doctrines sensualistes et matérialistes, sans sacrifier la raison et la volonté de l'homme. Elle chercha à concilier la liberté avec la règle, le droit avec le devoir, la philosophie avec le christianisme.

Dans l'esthétique, on s'éloigna de cette critique puérile, qui se réduisait à recommander l'observation étroite de certaines règles, et l'imitation extérieure des modèles. On remonta aux sources antiques, on étudia nos propres origines et les littératures étrangères, jusqu'alors si dédaignées; et l'art français vit s'ouvrir devant lui l'horizon de toutes les littératures de l'Europe.

Mais c'est surtout la réforme historique qui sera probablement la belle gloire de notre époque. Le spectacle des grandes choses accomplies sous la République et l'Empire apprit à mieux comprendre

et à mieux juger les événements des siècles antérieurs. Après avoir vu l'histoire en action, on sentit qu'il fallait raconter le passé d'une manière plus réelle, plus animée, plus colorée, plus vraie. On remonta aux sources, on interrogea les documents de toutes sortes, on s'efforça de rendre par l'expression la vie et le mouvement aux hommes et aux choses qu'on avait entrevus dans la poussière des archives. Les systèmes devinrent moins exclusifs autrefois, les uns ne voyaient que du droit romain; d'autres, que des coutumes germaniques; d'autres, que la monarchie absolue ou la liberté pure. La nouvelle école étudie tous les éléments et cherche à faire à chacun sa part.

Le XIXe siècle accomplit sa mission littéraire à travers les vicissitudes et les obstacles des révolutions politiques; à peine la première moitié s'en est écoulée, et déjà il a produit des œuvres qui lui assurent une belle place dans l'histoire de la littérature. Mais il faut avouer que la réforme littéraire n'a pas été plus exempte d'excès que les révolutions politiques. La plupart des disciples de Chateaubriand n'ont su imiter que ce qu'il avait d'exagéré; d'autres l'ont dépassé, et ont prodigué l'image, la couleur, l'antithèse, la métaphore, l'hyperbole. D'autres, sous prétexte de rompre avec la froide élégance de la littérature impériale, n'ont trouvé que des périodes boiteuses, des phrases heurtées, dont la dureté systématique déconcerte l'oreille. Quelques-uns enfin,

abusant d'une facilité prodigieuse, et plus avides. d'argent que de gloire, ont créé la littérature industrielle. L'écrivain cesse d'être un artiste et devient un négociant, occupé de produire à bon marché et de vendre cher; il fait tout à la hâte pour arriver plus vite à la fortune.

Ces déplorables excès sont le résultat de notre état social et politique. Il existe une connexion intime entre l'état littéraire et l'état social: ce qui se produit dans la société se révèle aussitôt dans la littérature. Un goût pur, une raison élégante, le culte désintéressé de l'art, ne sauraient fleurir au milieu d'une société sans cesse bouleversée par les révolutions politiques.

SEGUR

(1753-1833)

Louis-Philippe, comte DE SÉGUR, fils du maréchal de Ségur, naquit à Paris. Il servit d'abord dans l'armée, puis il entra dans la diplomatie et fut nommé ministre plénipotentiaire auprès de Catherine II. Napoléon le nomma grand-maître des cérémonies, et Louis XVIII le créa pair de France.

Le comte de Ségur cultiva les lettres avec succès et écrivit un grand nombre d'ouvrages, tous remarquables par la facilité, la pureté, l'élégance du style. Les plus connus sont des Mémoires intéressants sur sa jeunesse, le meilleur de tous, une Galerie morale et politique, une Histoire ancienne, une Histoire romaine, une Histoire du Bas-Empire, une Histoire de France pendant le moyen âge.

Le comte de Ségur est le frère du vicomte de Ségur, qui a écrit un ouvrage sur les Femmes, leur condition et leur influence dans l'ordre social; et le père de M. Philippe de Ségur, lieutenant général, auteur d'une Histoire de la campagne de Russie, qui a eu un immense succès, d'une Histoire de Pierre le Grand et d'une Histoire de Charles VIII, roi de France.

Singulière méprise.

Un étranger très-riche, nommé Suderland, était banquier de la cour, et naturalisé en Russie; il jouissait auprès de Catherine II d'une assez grande faveur. Un matin, on lui annonce que sa maison est entourée de gardes, et que le maître de police demande à lui parler.

1. La plus grande impératrice de Russie, fille du prince d'Anhalt-Zerbst, épouse du czar Pierre Ill, qu'elle fit étrangler. Elle régna seule de 1760 à 1796.

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