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Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien; car il y avait trois jours qu'il n'avait mangé. Ensuite il ferma la porte, et s'en alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le petit Chaperon Rouge, qui quelque temps après vint heurter à la porte: Toc, toc. — « Qui est-là ? » Le petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d'abord, mais, croyant que sa mère-grand était enrhumée, répondit : « C'est votre fille le petit Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. » Le Loup lui cria, en adoucissant un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le petit Chaperon Rouge tira la chevillette, et la porte s'ouvrit. Le Loup la voyant entrer, lui dit en se cachant sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche 1, et viens te coucher avec moi. » Le petit Chaperon Rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mèregrand était faite en son déshabillé. Elle lui dit : mère-grand, que vous avez de grands bras! pour mieux t'embrasser, ma fille. vous avez de grandes jambes!

« Ma C'est

Ma mère-grand, que

C'est pour mieux marcher, mon enfant. Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ! - C'est pour mieux écouter, mon enMa mère-grand, que vous avez de grands yeux! C'est pour mieux voir, mon enfant! Ma mèregrand, que vous avez de grandes dents!

fant.

C'est pour

mieux te manger. » En disant ces mots, le méchant Loup se jeta sur le petit Chaperon Rouge et le mangea.

MORALITÉ.

On voit ici que les jeunes enfants

Font très-mal d'écouter toutes sortes de gens.

1. Huche, grand coffre de bois où l'on pétrit le pain.

BOSSUET

(1627-1704)

Jacques-Bénigne BOSSUET, le Démosthène de la tribune évangélique et le dernier des Pères de l'Église, était fils d'un magistrat de Dijon. Destiné dès son enfance à l'état ecclésiastique, il se distingua de bonne heure par sa piété, son génie et son amour infatigable pour le travail. Il fut successivement nommé évêque de Condom, précepteur du Dauphin, membre de l'Académie française, évêque de Meaux et conseiller d'État.

Peu d'hommes ont mené une vie plus active et plus laborieuse et exercé sur leurs contemporains une influence plus puissante que l'immortel évêque de Meaux. On le voit lutter à la fois contre les protestants, les jansénistes, les quiétistes et les ultramontains; marquer les limites de la puissance spirituelle des papes et du pouvoir temporel des rois; élever l'héritier du trône de Louis XIV; tonner dans la chaire contre les vices de la ville et de la cour; diriger les assemblées du clergé; ramener à la pénitence madame de La Vallière, et Turenne au joug de la foi; préparer à la mort Henriette d'Angleterre, le grand Condé et les personnages les plus illustres du temps; répondre à tous les théologiens, à tous les hommes d'État qui le consultent comme un oracle, et composer ces ouvrages sublimes d'éloquence, d'histoire et de controverse, qui lui assurent le premier rang parmi les écrivains de la France.

Parmi les ouvrages de Bossuet, on distingue ses Oraisons funèbres, où il déploie toute la force de son génie et toute la pompe de son style, et son Discours sur l'histoire universelle, où, appliquant l'art oratoire à l'histoire même, il retrace avec une incomparable éloquence toute la suite des siècles, depuis la création du monde jusqu'au règne de Charlemagne. Nous lui devons aussi une Exposition de la doctrine catholique, où il expose d'une manière simple et précise tout ce que l'Église enseigne comme articles de foi; l'Histoire des variations des Églises protestantes, chef-d'œuvre d'histoire, de polémique et de style; des Élévations sur les Mystères, qui offrent les réflexions les plus profondes et les plus sublimes sur les mystères de la religion; des Méditations sur l'Évangile, espèce de suite aux

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Élévations; des Avertissements aux protestants, qui rappellent les Provinciales de Pascal; un Traité de la politique tirée de l'Écriture sainte, où il s'applique à fonder sur la Bible les éléments de la politique; un Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, un Traité de logique, un Traité sur le libre-arbitre, des Sermons, etc. C'est à tort que certaines personnes préfèrent aux sermons de Bossuet ceux de Bourdaloue, son successeur. Si les plans de Bourdaloue sont plus réguliers, si l'ordre de ses discours est plus méthodique, il n'a ni l'inspiration, ni l'élan, ni les fortes peintures de la vie, ni les images grandes ou familières de l'Aigle de Meaux.

Charles-Gustave, roi de Suède1.

Charles-Gustave parut à la Pologne surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle ? Où sont ces armes guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain ? Ni les chevaux ne sont vites 2, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur... Tout nage dans le sang, et on ne tombe que sur des corps morts 3.

(Oraison funèbre de la princesse palatine, prononcée en 1685.)

Saint Paul, orateur 4.

Saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. Son discours, bien loin de couler avec cette douceur

1. Charles X ou Charles-Gustave (1622-1660), fils du duc de Deux-Ponts et d'une fille de Charles IX, devint roi de Suède en 1654. L'année suivante il envahit la Pologne, dont le roi Jean-Casimir réclamait la couronne de Suède. Un grand nombre de Polonais allèrent au-devant des envahisseurs.

2. Vite, léger, rapide. (Employé adjectivement.)

3. L'orateur imite, par la rapidité du style, la marche rapide du conquérant. Quel coloris ! quelle vigueur! quel mouvement!

4. Saint Paul (2-66), né à Tarse en Cilicie, décapité à Rome.

Bossuet

agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l'ont pas assez pénétré; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de son style irrégulier. Mais, mes frères, n'en rougissons pas. Le discours de l'Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. S'il ignore la rhétorique 1, s'il méprise la philosophie, Jésus-Christ lui tient lieu de tout; et son nom, qu'il a toujours à la bouche, ses mystères, qu'il traite si divinement, rendront sa simplicité toute-puissante. Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution 2 rude, avec cette phrase qui sent l'étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon 3 n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine. Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'Aréopage 4 en l'école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes: il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul 5, et il fera trembler dans les tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome même entendra sa voix; et un jour cette ville maîtresse se tien

semble avoir indiqué lui-même le caractère de ses sermons en parlant de l'éloquence de saint Paul.

1. Rhétorique, l'art oratoire.

2. Elocution, manière de s'exprimer, serait aujourd'hui le mot propre. Locution signifie expression, façon particulière de parler.

3. Platon (430-387 avant J.-C.), célèbre philosophe grec, surnommé le divin, disciple de Socrate et fondateur de l'école appelée Académie, qu'il tenait sur la place d'Académus. Ses Œuvres complètes en treize volumes ont été traduites par M. Cousin.

4. Aréopage, célèbre tribunal d'Athènes, qui siégeait sur la colline de Mars (de pagos, colline, et Areios, de Mars). Saint Denys, dit l'Arcopagite, était juge, lorsque saint Paul le convertit.

Sergius Paulus, proconsul en Chypre, converti par saint Paul,

dra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul adressée à ses concitoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron 1.

Et d'où vient cela, chrétiens? C'est que Paul a des moyens pour persuader, que la Grèce n'enseigne pas et que Rome n'a pas appris. Une puissance surnaturelle, qui se plaît de relever 2 ce que les superbes méprisent, s'est répandue et mêlée dans l'auguste simplicité de ses paroles. De là vient que nous admirons, dans ses admirables épîtres, une certaine vertu plus qu'humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendements; qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur. De même qu'on voit un grand fleuve qui retient encore, coulant dans la plaine, cette force violente et impétueuse qu'il avait acquise aux montagnes d'où il tire son origine, ainsi cette vertu céleste qui est contenue dans les écrits de saint Paul, même dans cette simplicité de style, conserve toute la vigueur qu'elle apporte du ciel, d'où elle descend.

(Panegyrique de saint Paul, prêché en 1661.)

EXORDE 3

DE L'ORAISON FUNÈBRE DE LA REINE D'ANGLETERRE

Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient 5 la gloire, la majesté

1. Cicéron (107-43), le plus grand orateur romain.

2. On dit maintenant se plaire à.

3. Cet exorde est peut-être le plus imposant qui ait jamais ouvert un discours religieux,

4. Henriette (1609-1669), fille de Henri IV, épousa Charles Ier en 1625. Elle mourut au couvent de la Visitation, qu'elle avait fondé à Chaillot.

B. Appartient au singulier par harmonio.

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