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dans les Deux Prisonniers, pour annoncer l'arrivée de Clara. Est-ce une rencontre où bien un rendez-vous? Peu nous importe. Il suffit que vous me pardonniez cette petite observation critique.

On équivoquait en 1676, je vous l'ai déjà prouvé. Lorsque Sangaride chantait: Cybèle ca descendre, ou bien Atys est trop heureux, des plaisants répondaient : — Cybèle vend des cendres, Atys est procureux.

Ce mauvais jeu de mots n'est pas sans intérêt; il témoigne des soins que l'on prenait alors pour adoucir les aspérités brutales du langage français: piqueux, vielleux, picoteux, blanchisseux, procureux, valent bien mieux pour l'oreille que procureur, etc.

Marion vend de la glace, telle était l'annonce estampée en lettres cubitales au-dessus de la boutique d'une fruitière, dans l'impasse de l'Opéra. Borgia devint orgia quand un malin eut enlevé la première lettre de ce nom. Un facétieux renouvela cette plaisanterie dans le temps où l'on représentait Arion, drame lyrique de Fuzelier, musiqué par Matho (1714, avril). Une m supprimée fit annoncer par la fruitière, Arion vend de la glace.

Ninon de l'Enclos dansait à ravir la sarabande, avec les castagnettes obligées; c'était pourtant une danse grave, à trois temps, que nous avions empruntée aux Espagnols; mais Ninon, très jeune encore, y déployait tant de graces, de noblesse, de coquetterie, un charme si puissant, qu'elle séduisit tous les galants de la ville, quand elle fit son entrée dans le monde, en réglant ses pas sur un air de sarabande. 1631: Les habitants du Frioul sont appelés Forlans et leur danse forlane.

La bourrée nous vient de l'Auvergne, et le rigaudon, la farandoule, de la Provence.

Plusieurs veulent franciser farandoule, et défigurent ce mot en écrivant farandole, expression barbare que tous les dictionnaires repoussent. La langue d'oc était constituée un demi-siècle avant que l'on songeât à dégrossir, à dé

crasser le patois parisien; elle fournit plus de cinq mille mots à ce dialecte lorsqu'on voulut l'ennoblir et lui former un dictionnaire suffisant. Tous les mots en in, tels que jardin, matin; en as, tels que matelas, cadenas ; en our, tels que jour, retour; en ant, tels que brillant, charmant; en er, tels que iver, couvert; en oule, tels que boule, foule, et mille autres encore sont restés identiques dans l'un et l'autre idiome. Un grand nombre ont été légèrement altérés par la prononciation septentrionale: resoun est devenu raison; ounour, honneur. Raison vaut bien resoun, mais honneur est-il aussi gracieusement sonore que ounour? Plusieurs vocables ont changé de genre en devenant français; aussi les Provençaux non lettrés disent-ils de bons oranges, de l'huile vieux, de longues ongles, la sel, la sable, etc. Les Franciots, c'est ainsi que dans le pays de langue d'oc on désigne les Bourguignons, les Normands, les Lorrains, les Bretons; les Franciots nous ont pris des milliers de mots sans les gater. Depuis très peu de temps ils se sont emparés du vocable farandoule. Par quelle fantaisie voudraient-ils le franciser à leur manière en le défigurant, en écrivant farandole?

D'après le même principe, et détruisant l'œuvre de leurs devanciers, depuis cinq cents ans adoptée, ces novateurs devraient dire aussi : La fole se porte à la pièce nouvelle, l'argent role comme une bole dans la caisse du théâtre, où l'on voit des moines à grandes cagoles, mangeant des artichauts à la barigole, sous la porte de l'Ole. Ils devraient écrire noigat au lieu de nougat; peinte au lieu de pintade; morue secouée au lieu de brandade; Henriette d'Entreaux au lieu d'Entraigues; pechaire au lieu de pécaire, cédenet, teffeté, emberré, au lieu de cadenas, taffetas, embarras, s'ils voulaient être conséquents. Francisez les mots italiens que vous ne sauriez décliner sans devenir absurdes au dernier point, dites un soprane, un contralte, un quintette, afin de ne pas offenser l'œil, l'oreille et le bon sens, en écrivant des sopranos, des contraltos, un beau quintetti; mais laissez aux vocables provençaux leur élégance native, n'en faites pas des batards en les adoptant, Oseriez-vous

dire un bel animaux, un chevaux de prix ? Un beau quintetti reproduit exactement la même bévue ; elle n'en est pas moins offerte à nos yeux en lettres cubitales, sur des titres et frontispices chargés de tous les ornements de la gravure.

Dans tous les livres de géographie imprimés à Paris, le mont Ventour est appelé Ventoux. On a pensé que la cime de cette montagne était sans cesse battue par les tempêtes : au contraire, c'est le point que le vent respecte le plus. Lorsque les nuages sont poussés, tracassés, tourmentés dans la plaine, ils vont se réfugier au sommet du Ventour, se grouper, se camper dans ce lieu d'asile et d'immunité. C'est là précisément qu'ils se moquent du mistral et du marin; de ce marin redouté, violent au point d'arracher les cheminées des maisons, les queues des ânes, les cornes des bœufs. Si le marin d'Avignon avait soufflé sur Paris avant le 1er octobre 1850, la démolition de l'hotel de Nantes ne coutait rien à l'État. Les débris auraient comblé peut-être les bassins des Tuileries après avoir éborgné le grand pavillon, ma poco importa.

Quand on veut savoir le nom de quelqu'un, il est assez ordinaire qu'on le lui demande. Si par hasard cette personne est sourde et muette comme un rocher, on s'adresse à sa famille, à ses voisins avant de lui donner un nom de fantaisie. Si les géographes parisiens avaient pris des informations dans les environs de Bédoin, de Vaison, de Méthamis, de Mormoiron ou dans la vallée de Sault; on leur aurait dit que le mont Ventour, bien que vanté par les poètes, n'avait rien de venté, de venteux, de ventôse, de ventoux. La preuve solide, vivante, irréfragable de ce fait, c'est que la petite chaîne du Ventour, le frère puiné de cet Atlas, est appelé depuis des siècles le Ventouret et non pas le Ventouzet; nom qu'il porterait nécessairement si le Ventoux était son ainé. Les anciennes familles tiennent à conserver leur nom dans toute leur pureté.

Lisez les œuvres anciennes et modernes des troubadours, vous y verrez Ventour rimer agréablement avec amour, flour, retour, et non jamais avec renous, crentous, despichous.

Dins l'iver, à la bella estella,

Sensa vesta, la niu, lou jour,
Foût-y pregar vers la capella
Qu'eis à la cima dou Ventour?

-Ventour ou ventoux procèdent également de vent, nous disputons sur une lettre. C'est ce qui vous trompe encore; ne vous ai-je pas dit que le vent n'était pour rien dans cette affaire?

Mons Venturi, la montagne de celui qui doit venir, de l'arrivant, la montagne signal, telle est l'origine réelle de l'épithète donnée au géant de la Provence. Le Ventour est le premier point du territoire français que l'on aperçoit de la pleine mer, en venant de la côte d'Afrique, du Levant ou de l'Espagne, pour se remiser à Toulon, à Marseille. C'est la montague signal, le point culminant signalé par les gabiers, le Mont de l'Arrivant, Mons Venturi, dont on a fait, le plus naturellement possible, Mont Ventour.

On me dira que plusieurs gazettes du midi de la France consacrent journellement ces locutions vicieuses en écrivant farandole, ventoux. Cela prouve seulement que dans nos provinces on accepte sans réflexion, sans examen, tout ce qui vient de la capitale; que l'on y reproduit les fautes d'impression des typographes parisiens, et que l'on y respecte même les plus drôlatiques bévues de l'Académie française.

Revenons à la danse.

A la Comédie-Italienne, où le spectacle se composait de comédies, d'opéras comiques et de ballets, la plus grande part des actrices commençaient par se montrer dans les ballets. Ces danseuses s'exerçaient ensuite dans la comédie, et chantaient enfin l'opéra d'une manière plus ou moins agréable. C'est la réunion de ces trois talents que l'on exigeait, que l'on applaudissait dans les rôles de jeune fille, de coquette ou de suivante, rôles établis d'abord par Mme Favart, Mile Foulquier, dite Catinon, continués par Me Adeline (Marie Madeleine Rigieri, dite) et Mm Dugazon, qui les rendit

avec une perfection telle, que cet emploi prit le nom de dugazon et le conserve encore de nos jours. Mme Saint-Aubin et sa fille Alexandrine, Mmes Gavaudan, Boulanger, Pradher, Mile Darcier, ont successivement brillé dans cet emploi gracieux, et souvent d'un haut intérêt dramatique, d'actrice, cantatrice et danseuse. Cette dernière qualité n'était plus exigée depuis trente-cinq ans, et pourtant nous avons applaudi naguère une Cendrillon dansante, Mlle Darcier, digne émule de Mlle Saint-Aubin.

Elmire des Trois Sultanes était un personnage dansant; et Denise de l'Epreuve villageoise, chantait des couplets, Mon bon André, dont la ritournelle devait être figurée et dansée avec coquetterie. L'allemande était à la mode en 1784, époque où l'Épreuve villageoise fut mise au jour; le vaudeville final de cet opéra comique reproduisit les formes, le rhythme; l'allure de l'allemande, que Denise et son amant dansèrent à la fin de la pièce. L'allemande avait été depuis longtemps abandonnée par les Denises de Paris, et la tradition, l'usage faisaient demander encore cette danse aux Denises de la province.

Si je suis entré dans quelques détails au sujet des airs de danse, c'est que dans les salons comme au théâtre, ils ont été de la plus haute importance. Les premiers recueils de musique instrumentale se composaient presque en entier de gigues, de sarabandes, de courantes, de tambourins, de menuets, etc. (1). De là vient que nos anciens n'indiquaient point le mouvement de leurs morceaux de musique, dont le caractère était déjà connu. Cet usage est suivi par nos musiciens, quand ils publient des valses, des polkas, des contredanses. Le menuet s'est maintenu dans les quatuors, les

(1) Preludi, allemande, correnti, gighe, sarabande, gavotte e Follia, voilà ce que nous lisons sur le titre de l'admirable œuvre V, du violoniste Corelli, mis au jour à Rome en 1700. Voyez les recueils de pièces de clavecin de Chambonnières, de d'Anglebert, de Couperin, de

Rameau.

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