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vint dire que dans peu il espérait savoir solfier. Pour moi, quoique, fort jeune, l'on m'ait bercée de musique, que l'on me l'ait fait apprendre avec soin, je vous jure que je n'ai pu, aux dépens du bon sens et de la raison, entendre tous ces héros me parler de leurs malheurs en chantant. » Acte II, scène 9.

C'est dans les premiers temps de l'Opéra que l'on a fait le plus de mauvaises plaisanteries sur le langage adopté pour la scène lyrique. Nous sommes trop avancés maintenant pour qu'il soit nécessaire de combattre les anciens adversaires du langage musical; que le personnage s'exprime en musique, en lignes rimées ou par gestes, il ne nous semble pas plus impertinent. Julia, la vestale, marchant au supplice; Didon, expirant sur le bucher, parlent et ne chantent pas : elles se servent du langage adopté pour le drame lyrique. Desireux de jouir d'un plaisir séduisant et nouveau, nous avons fait des concessions judicieuses sans lesquelles ce plaisir ne pourrait exister. On peut lire cependant les Amusements sérieux et comiques de Du Fresny, la Lettre de Saint-Évremond au duc de Buckingham, ces opuscules renferment, sur ce sujet, des choses très curieuses. Je donnerai dans cet ouvrage quelques scènes de la comédie de Saint-Évremond ayant pour titre les Opéras.

Certains commentateurs ont cru découvrir, dans le dernier couplet du Maître de musique, un trait satirique dirigé contre l'opéra italien introduit en France, par Mazarin, en 1645, et contre l'opéra français qui préparait son début. Je pense au contraire que par ces mots très significatifs : quand on a des personnes à faire parler en musique, Molière, en ouvrant la voie à notre Académie royale de Musique, impose silence aux mauvais plaisants qui voudraient faire croire qu'elle va chanter. Par la conclusion de son discours, il trace le plan de conduite de cette Académie, en lui disant que, pour la vraisemblance, il faut qu'elle donne dans la bergerie, et c'est ce qu'elle a fait. Molière exclut de la scène lyrique les princes et les bourgeois, c'était encore très bien raisonné, vu les objections plus ou moins ridicules des oppo

sants, qui TOUJOURS sont des envieux. Après de telles soustractions, que restait-il à Perrin, à Cambert, fondateurs de notre opéra, que leur restait-il? la mythologie et la féerie. Le champ était encore assez vaste, et des personnages fantastiques semblaient inventés tout exprés pour faire accepter un langage séduisant, mais très peu naturel. L'Académie a suivi le plan que le grand homme lui traçait; elle a même saisi le mot de l'énigme qu'il lui laissait à deviner, en exploitant les fictions de la mythologie antique, de la féerie du moyen âge, combinées plus ou moins adroitement avec les fadaises de la bergerie. Ce commerce de dieux, de demi-dieux, de nymphes, de dryades, de héros d'Homère, de paladins et de paladines, de pâtres et de patresses durait depuis cinquante-deux ans, lorsque Fuzelier dit à son musicien Colin de Blamont :

Je me sens pourtant là remuer une bile

Qui veut me conseiller une action virile.

Depuis cent ans et plus les Italiens ont produit sur la scène lyrique sainte Ursule, Marie Stuart et Christophe Colomb, il me semble que nous pourrions être audacieux au point de tenter la fortune avec Alcibiade et la belle Aspasie, Antoine et la gentille Cléopâtre, Tibulle et la tendre Délie, et montrer enfin des personnages historiques sur le théâtre de l'Opéra. >>

Les Fêtes grecques et romaines réussirent à merveille en 1723.

De Lafont et Mouret avaient pourtant introduit des marquis, des bourgeois, des paysans en habits français, taillés à la mode du jour, dans les Fêtes de Thalie, en 1714. Un acte de cet opéra-ballet était écrit en provençal. Il fallut que les bourgeois vinssent d'abord sonder le gué, les personnages historiques ne furent lancés que onze ans après; tant on avait de respect pour les héros de Plutarque !

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez

de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

Il paraît que ces deux jours de la semaine étaient spécialement choisis pour les réunions musicales. Je le crois avec d'autant plus de raison que les directeurs de l'Opéra, dont le théâtre fut ouvert l'année suivante (1671, 10 mars,) ne les prirent pas. L'Opéra donna ses représentations les dimanches, mardis, vendredis, depuis les fêtes de Pâques jusqu'à la Saint-Martin (11 novembre). Pour la saison d'hiver, une quatrième représentation par semaine avait lieu le jeudi. Pendant toute l'année, les premières représentations d'ouvrages nouveaux ou remis en scène étaient données invariablement le jeudi.

L'ordre relatif aux jours de la semaine fut observé jusqu'en 1817. Les directeurs des bals et jardins publics, que l'on avait mis de nouveau sous le joug de l'Opéra, pour lui payer un tribut sur leurs recettes, obtinrent alors que ce théâtre leur cédât le dimanche en toute propriété.

- Toutes les saisons sont bonnes pour les bonnes comédies; mais les grands auteurs ne veulent guère exposer leurs pièces nouvelles que depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, lorsque toute la cour est rassemblée au Louvre et à SaintGermain. Ainsi l'hiver est destiné pour les pièces héroïques, et les comiques règnent l'été : la gaie saison voulant des divertissements de même nature.

>> Il est bon de remarquer ici, que les comédiens n'ouvrent le théâtre que trois jours de la semaine : le vendredi, le dimanche et le mercredi; si ce n'est qu'il survienne, hors de ces jours-là, quelque fête non solennelle. Ces jours ont été choisis avec prudence; le lundi étant le grand ordinaire pour l'Allemagne, pour l'Italie, et pour toutes les provinces qui sont sur la route; le mercredi et le samedi, jours de marché et d'affaires, où le bourgeois est plus occupé qu'en d'autres; et le jeudi étant consacré en bien des lieux pour un jour de promenade, surtout aux académies, aux colléges. La

première représentation d'une pièce nouvelle se donne le vendredi, pour préparer l'assemblée à se rendre plus grande le dimanche suivant, par les éloges que lui donnent l'annonce et l'affiche. On ne joue la comédie que trois jours de la semaine pour donner quelque relâche au théâtre, et comme l'attachement aux affaires veut des intervalles, les divertissements demandent aussi les leurs. Voluptates commendat rarior usus. » CHAPPUZEAU, le Théâtre François. 1674.

Alternant avec la Comédie-Italienne, les deux ThéâtresFrançais ouvraient leurs salles aux jours qu'ils s'étaient choisis avec prudence. Leurs représentations étaient données en même temps, aux mêmes heures ; de sorte que nul ne pût assister aux deux premières exhibitions de l'Alexandre de Racine, produit sur deux théâtres rivaux pendant une même soirée. J'aime beaucoup ce trait de galanterie française, de prudence bien éveillée, cet abandon généreux du lundi que Lyon et Milan, Strasbourg et Munich avaient adopté; respect à la propriété! L'annonce, faite sur le théâtre, donnait des éloges à la pièce nouvelle, c'était bien naturel; mais il paraît que l'affiche poussait la hardiesse jusqu'à se permettre la réclame.

Après une telle digression le da capo de la réplique me semble nécessaire; si je veux reprendre et renouer le fil de mon discours. Una altra volta, per carità, sior maestro.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

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Sans doute. Il vous faudra trois voix, un dessus, une haute-contre et

une basse qui seront accompagnées d'une basse de viole, d'un téorbe et d'un clavecin pour les basses-continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles.

On voit que le mot impropre de basse-taille, pour désigner la voix grave qui chante la basse, n'était point encore en usage. J'ai fait abandonner ce mot en lui substituant celui de baryton, adopté généralement depuis quelques années; et nous disons aujourd'hui comme nos anciens disaient une basse, une voix de basse pour désigner l'organe de Lablache, de Levasseur, d'Herman-Léon, d'Obin, de Brémond; j'ai remis en crédit l'ancienne dénomination de ténor. Le mot haute-contre désignait une voix plus élevée et moins volumineuse que le ténor, c'était le contraltino des Italiens. Tous les termes choisis pour la nomenclature des voix, et même des morceaux de musique et de leurs mouvements, ont été dans l'origine empruntés au latin. Superius, secundus superius, contra altus, tenor, barytonans, bassus, sont devenus sans aucun effort, soprane, second soprane, contralte, ténor, baryton, basse. Si je préfère soprane, francisé légèrement, à dessus employé par Molière, c'est que soprane sonne plus agréablement à l'oreille et ne présente pas un double sens.

- Il m'a cité l'exemple d'un chantre de Notre-Dame (je crois que c'était une basse) à qui un rhume avait fait perdre entièrement la voix depuis six mois; ce médecin l'entreprit, et avec une tisane d'erysimum, le tira d'affaire en telle sorte que non-seulement il parle, mais il chante, et a la voix aussi forte qu'il l'ait jamais eue. » RACINE. Lettre Và Boileau, Paris, 25 juillet 1687.

S'il advenoit qu'il feust despité, courroussé, fasché, ou marry; s'il trepignoit, s'il pleuroit, s'il cryoit, lui apportant à boyre, l'on le remettoit en nature et soubdain demeuroit quoy et joyeulx. Une de ses gouvernantes m'ha dit jurant sa fy, que de ce faire il estoit tant coustumier, qu'au seul son des pinthes et flaccons, il entroit en ecstase, comme s'il goustoit les joyes du paradis. En sorte que elles, considérans ceste complexion divine, pour le resjouir au matin

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