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>> venez à reconnoître que l'existence convient affective>>ment à Dieu. » Mais certes il semble que vous fassiez de même; ou, si vous ne le faites pas, il est nécessaire que vous montriez que l'existence ne répugne point à la nature de Dieu, comme on montre qu'il répugne que le rhombe puisse être inscrit dedans le cercle.

RÉPONSE.

pas

Je ne vois pas de quel genre de choses vous voulez que l'existence soit, ni pourquoi elle ne peut pas aussi bien être dite une propriété comme la toute-puissance, prenant le nom de propriété pour toute sorte d'attribut ou pour tout ce qui peut être attribué à une chose, selon qu'en effet il doit ici être pris. Mais, bien davantage, l'existence nécessaire est vraiment en Dieu une propriété prise dans le sens le moins étendu, parcequ'elle convient à lui seul, et qu'il n'y a qu'en lui qu'elle fasse partie de l'essence. C'est pourquoi aussi l'existence du triangle ne doit pas être comparée avec l'existence de Dieu, parcequ'elle a manifestement en Dieu une autre relation à l'essence qu'elle n'a dans le triangle; et je ne commets pas plutôt en ceci la faute que les logiciens nomment une pétition de principe, lorsque je mets l'existence entre les choses qui appartiennent à l'essence de Dieu, que lorsque entre les propriétés du triangle je mets l'égalité de la grandeur de ses trois angles avec deux droits. Il n'est vrai aussi que pas l'essence et l'existence en Dieu, aussi bien que dans le triangle, peuvent être conçues l'une sans l'autre, parceque Dieu est son être, et non pas le triangle. Et toutefois je ne nie que l'existence possible ne soit une perfection dans l'idée du triangle, comme l'existence nécessaire est une perfection dans l'idée de Dieu; car cela la rend plus parfaite que ne sont les idées de toutes ces chimères que nous suppo

pas

sons ne pouvoir être produites. Et partant vous n'avez en rien diminué la force de mon argument, et vous demeurez toujours abusé par ce sophisme que vous dites avoir été si facile à résoudre. Quant à ce que vous ajoutez ensuite, j'y ai déjà suffisamment répondu ; et vous vous trompez grandement lorsque vous dites qu'on ne démontre pas l'existence de Dieu comme on démontre que tout triangle rectiligne a ses trois angles égaux à deux droits car la raison est pareille en tous les deux, hormis que la démonstration qui prouve l'existence en Dieu est beaucoup plus simple et plus évidente que l'autre.

CHAPITRE XV.

De l'existence de Dieu, et de la distinction entre l'esprit et le corps, démontrées à la manière des géomètres.

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Dans la façon d'écrire des géomètres je distingue deux choses, à savoir l'ordre, et la manière de démontrer.

L'ordre consiste en cela seulement que les choses qui sont proposées les premières doivent être connues sans l'aide des suivantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle façon, qu'elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent. Et certainement j'ai tâché autant que j'ai pu de suivre cet ordre en mes Méditations. Et c'est ce qui a fait que je n'ai pas traité dans la seconde de la distinction qui est entre l'esprit et le corps, mais seulement dans la sixième, et que j'ai omis tout exprès beaucoup de choses dans tout ce traité, parcequ'elles présupposoient l'explication de plusieurs autres.

La manière de démontrer est double: l'une se fait par l'analyse ou résolution, et l'autre par la synthèse ou composition.

L'analyse montre la vraie voie par laquelle une chose a été méthodiquement inventée, et fait voir comment les effets dépendent des causes; en sorte que si le lecteur la veut suivre, et jeter les yeux soigneusement sur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement la chose ainsi démontrée, et ne la rendra pas moins sienne, que si lui-même l'avoit inventée. Mais cette sorte de démonstration n'est pas propre à convaincre les lecteurs opiniâtres ou peu attentifs : car si on laisse échapper sans y prendre garde la moindre des choses qu'elle propose, la nécessité

de ses conclusions ne paroîtra point; et on n'a pas coutume d'y exprimer fort amplement les choses qui sont assez claires d'elles-mêmes, bien que ce soit ordinairement celles auxquelles il faut le plus prendre garde.

La synthèse au contraire, par une voie toute différente, et comme en examinant les causes par leurs effets, bien que la preuve qu'elle contient soit souvent aussi des effets par les causes, démontre à la vérité clairement ce qui est contenu en ses conclusions, et se sert d'une longue suite de définitions, de demandes, d'axiomes, de théorèmes et de problèmes, afin que si on lui nie quelques conséquences, elle fasse voir comment elles sont contenues dans les antécédents, et qu'elle arrache le consentement du lecteur, tant obstiné et opiniâtre qu'il puisse être; mais elle ne donne pas comme l'autre une entière satisfaction à l'esprit de ceux qui désirent d'apprendre, parcequ'elle n'enseigne pas la méthode par laquelle la chose a été inventée.

Les anciens géomètres avoient coutume de se servir seulement de cette synthèse dans leurs écrits, non qu'ils ignorassent entièrement l'analyse, mais à mon avis parcequ'ils en faisoient tant d'état qu'ils la réservoient pour eux seuls comme un secret d'importance.

Pour moi, j'ai suivi seulement la voie analytique dans mes Méditations, pourcequ'elle me semble être la plus vraie et la plus propre pour enseigner; mais quant à la synthèse, laquelle sans doute est celle que vous désirez de moi, encore que, touchant les choses qui se traitent en la géométrie, elle puisse utilement être mise après l'analyse, elle ne convient pas toutefois si bien aux matières qui appartiennent à la métaphysique. Car il y a cette différence, que les premières notions qui sont supposées pour démontrer les propositions géométriques, ayant de la convenance avec les sens, sont reçues facilement d'un chacun : c'est pourquoi il n'y a point là de difficulté, sinon à bien

tirer les conséquences, ce qui se peut faire par toutes sortes de personnes, même par les moins attentives, pourvu seulement qu'elles se ressouviennent des choses précédentes; et on les oblige aisément à s'en souvenir, en distinguant autant de diverses propositions qu'il y a de choses à remarquer dans la difficulté proposée, afin qu'elles s'arrêtent séparément sur chacune, et qu'on les leur puisse citer par après pour les avertir de celles auxquelles elles doivent penser. Mais au contraire, touchant les questions qui appartiennent à la métaphysique, la principale difficulté est de concevoir clairement et distinctement les premières notions. Car, encore que de leur nature elles ne soient pas moins claires, et même que souvent elles soient plus claires que celles qui sont considérées par les géomètres, néanmoins, d'autant qu'elles semblent ne s'accorder pas avec plusieurs préjugés que nous avons reçus par les sens, et auxquels nous sommes accoutumés dès notre enfance, elles ne sont parfaitement comprises que par ceux qui sont fort attentifs et qui s'étudient à détacher autant qu'ils peuvent leur esprit du commerce des sens : c'est pourquoi, si on les proposoit toutes seules, elles seroient aisément niées par ceux qui ont l'esprit porté à la contradiction. Et c'est ce qui a été la cause que j'ai plutôt écrit des Méditations que des disputes ou des questions, comme font les philosophes; ou bien des théorèmes ou des problèmes, comme les géomètres, afin de témoigner par là que je n'ai écrit que pour ceux qui se voudront donner la peine de méditer avec moi sérieusement et considérer les choses avec attention. Car, de cela même que quelqu'un se prépare à combattre la vérité, il se rend moins propre à la comprendre, d'autant qu'il détourne son esprit de la considération des raisons qui la persuadent, pour l'appliquer à la recherche de celles qui la détruisent.

Mais néanmoins, pour témoigner combien je défère à

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