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et partant qu'elle est indivisible, permanente et subsistante tout-à-la-fois, et dans laquelle on ne peut sans erreur et qu'improprement, à cause de l'imperfection de notre esprit, concevoir de passé ni d'avenir.

D'où il est manifeste qu'on ne peut concevoir qu'un Être infini existe, quand ce ne seroit qu'un moment, qu'on ne conçoive en même temps qu'il a toujours été et qu'il sera éternellement (ce que notre auteur même dit en quelque endroit), et partant que c'est une chose superflue de demander pourquoi il persévère dans l'être. Voire même, comme l'enseigne saint Augustin, lequel, après les auteurs sacrés, a parlé de Dieu plus hautement et plus dignement qu'aucun autre, en Dieu il n'y a point de passé ni de futur, mais un continuel présent; ce qui fait voir clairement qu'on ne peut sans absurdité demander pourquoi Dieu persévère dans l'être, vu que cette question enveloppe manifestement le devant et l'après, le passé et le futur, qui doivent être bannis de l'idée d'un Être infini.

De plus, on ne sauroit concevoir que Dieu soit par soi positivement comme s'il s'étoit lui-même premièrement produit; car il auroit été auparavant que d'être, mais seulement (comme notre auteur déclare en plusieurs lieux) parcequ'en effet il se conserve.

Mais la conservation ne convient pas mieux à l'Être infini que la première production. Car qu'est-ce, je vous prie, que la conservation, sinon une continuelle reproduction d'une chose; d'où il arrive que toute conservation suppose une première production; et c'est pour cela même que le nom de continuation, comme aussi celui de conservation, étant plutôt des noms de puissance que d'acte, emportent avec soi quelque capacité ou disposition à recevoir; mais l'Étre infini est un acte très pur, incapa

ble de telles dispositions.

Concluons donc que nous ne pouvons concevoir que

Dieu soit par soi positivement, sinon à cause de l'imperfection de notre esprit qui conçoit Dieu à la façon des choses créées.

RÉPONSE.

Passons aux choses que M. Arnauld désapprouve le plus, et qui toutefois me semblent mériter le moins sa censure; c'est à savoir où j'ai dit «< qu'il nous étoit loisible » de penser que Dieu fait en quelque façon la même chose » à l'égard de soi-même, que la cause efficiente à l'égard >> de son effet. >> Car, par cela même, j'ai nié ce qui lui semble un peu hardi et n'être pas véritable, à savoir que Dieu soit la cause efficiente de soi-même; parcequ'en disant qu'il fait en quelque façon la même chose, j'ai montré que je ne croyois pas que ce fût entièrement la même; et, en mettant devant ces paroles, il nous est tout-à-fait loisible de penser, j'ai donné à connoître que je n'expliquois ainsi ces choses qu'à cause de l'imperfection de l'esprit hu

main.

Mais qui plus est, dans tout le reste de mes écrits, j'ai toujours fait la même distinction: car dès le commencement, où j'ai dit « qu'il n'y a aucune chose dont on ne >> puisse rechercher la cause efficiente, » j'ai ajouté, «ou, » si elle n'en a point, demander pourquoi elle n'en a pas >> besoin; » lesquelles paroles témoignent assez que j'ai pensé que quelque chose existoit qui n'a pas besoin de cause efficiente. Or quelle chose peut être telle, excepté Dieu? Et même un peu après j'ai dit « qu'il y avoit en >> Dieu une si grande et si inépuisable puissance, qu'il n'a >> jamais eu besoin d'aucun secours pour exister et qu'il » n'en a pas encore besoin pour être conservé, en telle >> sorte qu'il est en quelque façon la cause de soi-même.>> Là où ces paroles, la cause de soi-même, ne peuvent en façon quelconque être entendues de la cause efficiente, mais

seulement que cette puissance inépuisable qui est en Dieu, est la cause ou la raison pour laquelle il n'a pas besoin de cause. Et d'autant que cette puissance inépuisable ou cette immensité d'essence est très positive, pour cela j'ai dit que la cause ou la raison pour laquelle Dieu n'a pas besoin de cause, est positive. Ce qui ne se pourroit dire en même façon d'aucune chose finie, encore qu'elle fût très parfaite en son genre. Car si on disoit qu'une chose finie fût par soi, cela ne pourroit être entendu que d'une façon négative, d'autant qu'il seroit impossible d'apporter aucune raison qui fût tirée de la nature positive de cette chose pour laquelle nous dussions concevoir qu'elle n'auroit pas besoin de cause efficiente.

Et ainsi en tous les autres endroits j'ai tellement comparé la cause formelle, ou la raison prise de l'essence de Dieu, qui fait qu'il n'a pas besoin de cause pour exister ni pour être conservé, avec la cause efficiente, sans laquelle les choses finies ne peuvent exister, que partout il est aisé de connoître de mes propres termes qu'elle est tout-à-fait différente de la cause efficiente.

Et il ne se trouvera point d'endroit où j'aie dit que Dieu se conserve par une influence positive, ainsi que les choses créées sont conservées par lui; mais bien seulement ai-je dit que l'immensité de sa puissance ou de son essence, qui est la cause pourquoi il n'a pas besoin de conservateur, est une chose positive.

Et partant, je puis facilement admettre tout ce que M. Arnauld apporte pour prouver que Dieu n'est pas la cause efficiente de soi-même, et qu'il ne se conserve pas par aucune influence positive ou bien par une continuelle reproduction de soi-même, qui est tout ce que l'on peut inférer de ses raisons.

Mais il ne niera pas aussi, comme j'espère, que cette immensité de puissance qui fait que

Dieu n'a

pas besoin de

cause pour exister, est en lui une chose positive, et que dans toutes les autres choses on ne peut rien concevoir de semblable qui soit positif, à raison de quoi elles n'aient pas besoin de cause efficiente pour exister; ce que j'ai seulement voulu signifier lorsque j'ai dit qu'aucune chose ne pouvoit être conçue exister par soi que négativement, hormis Dieu seul; et je n'ai pas eu besoin de rien avancer davantage pour répondre à la difficulté qui m'était proposée.

CHAPITRE XIV.

Preuve de l'existence de Dieu tirée de son essence.

Si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose, il s'ensuit que tout ce que je reconnois clairement et distinctement appartenir à cette chose lui appartient en effet (1), ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c'est-à-dire l'idée d'un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit : et je ne connois pas moins clairement et distinctement qu'une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature, que je connois que tout ce que je puis démontrer de quelque figure, ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre; et partant, encore que tout ce que j'ai conclu dans les méditations précédentes ne se trouvât point véritable, l'existence de Dieu devroit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine que j'ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures: bien qu'à la vérité cela ne paroisse pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque

(1) V. chap. vi.

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