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titude, la distinguant de celle que nous en avons maintenant, en ce qu'elle sera intuitive; et si ce terme ne vous satisfait pas, et que vous, croyiez que cette connoissance de Dieu intuitive soit pareille, ou seulement différente de la nôtre, dans le plus et le moins des choses connues, et non en la façon de connoître, c'est en cela qu'à mon avis vous vous détournez du droit chemin. La connoissance intuitive est une illustration de l'esprit par laquelle il voit en la lumière de Dieu les choses qu'il lui plaît lui découvrir par une impression directe de la clarté divine sur notre entendement, qui en cela n'est point considéré comme agent, mais seulement comme recevant les rayons de la divinité. Or, toutes les connoissances que nous pouvons avoir de Dieu sans miracle en cette vie descendent du raisonnement et du progrès de notre discours, qui les déduit des principes de la foi, qui est obscure; ou viennent des idées et des notions naturelles qui sont en nous, qui, pour claires qu'elles soient, ne sont que grossières et confuses sur un si haut sujet : de sorte que ce que nous avons ou acquérons de connaissance le chemin que par tient notre raison, a premièrement les ténébres des principes dont il est tiré, et de plus l'incertitude que nous éprouvons en tous nos raisonnements.

Comparez maintenant ces deux connoissances, et voyez s'il y a quelque chose de pareil en cette perception trouble et douteuse, qui nous coûte beaucoup de travail, et dont encore ne jouissons-nous que par moments, après que nous l'avons acquise à une lumière pure, constante, claire, certaine, sans peine et toujours présente.

Or que notre esprit, lorsqu'il sera détaché du corps ou que ce corps glorifié ne lui fera plus d'empêchement, ne puisse recevoir de telles illustrations et connoissances directes, en pouvez-vous douter, puisque dans ce corps même les sens lui en donnent des choses corporelles et sen

sibles, et que notre ame en a déjà quelques unes de la bénéficence de son créateur, sans lesquelles il ne seroit pas capable de raisonner? J'avoue qu'elles sont un peu obscurcies par le mélange du corps; mais encore nous donnentelles une connoissance première, gratuite, certaine, et que nous recevons de l'esprit avec plus de confiance que nous n'en donnons au rapport de nos yeux. Ne m'avouerez-vous pas que vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous voyez, que de la vérité de cette proposition, je pense, donc je suis? Or cette connoissance n'est point un ouvrage de votre raisonnement, ni une instruction que vos maîtres vous aient donnée; votre esprit la voit, la sent et la manie; et quoique votre imagination, qui se mêle importunément dans vos pensées, en diminue la clarté la voulant revêtir de ses figures, elle vous est pourtant une preuve de la capacité de nos ames à recevoir de Dieu une connoissance intuitive. Il me semble voir que vous avez pris occasion de douter, sur l'opinion que vous avez que la connoissance intuitive de Dieu est celle où l'on connoît Dieu par lui-même; et sur ce fondement, vous avez bâti ce raisonnement: Je connois que Dieu est un, parceque je connois qu'il est un être nécessaire; or cette forme de connoître ne se sert que de Dieu même; donc je connois que Dieu est un par lui-même, et par conséquent je connois intuitivement que Dieu est un. Je ne pense pas qu'il soit besoin d'un grand examen pour détruire ce discours. Vous voyez bien que connoître Dieu par soi-même, c'est-à-dire par une illustration immédiate de la divinité sur notre esprit, comme on l'entend par connoissance intuitive, est bien autre chose que se servir de Dieu même pour en faire une induction d'un attribut à l'autre, ou, pour parler plus convenablement, se servir de la connoissance naturelle (et par conséquent un peu obscure, du moins si vous la comparez à l'autre) d'un

la

attribut de Dieu, pour en former un argument qui conclura un autre attribut de Dieu. Confessez donc qu'en cette vie vous ne voyez pas en Dieu et par sa lumière qu'il est un ; mais vous le concluez d'une proposition que vous avez faite de lui, et vous la tirez par la force de l'argumentation, qui est une machine souvent défectueuse.

CHAPITRE XIII.

Preuve de l'existence de Dieu tirée de celle de l'homme.

Certes je ne vois rien en tout ce que je viens de dire qui ne soit très aisé à connoître par la lumière naturelle à tous ceux qui voudront y penser soigneusement; mais lorsque je relâche quelque chose de mon attention, mon esprit se trouvant obscurci et comme aveuglé par les images des choses sensibles, ne se ressouvient pas facilement de la raison pourquoi l'idée que j'ai d'un être plus parfait que le mien doit nécessairement avoir été mise en moi par un être qui soit en effet plus parfait. C'est pourquoi je veux ici passer outre, et considérer si moi-même qui ai cette idée de Dieu, je pourrois être, en cas qu'il n'y eût point de Dieu. Et je demande, de qui aurois-je mon existence? Peut-être de moi-même, ou de mes parents, ou bien de quelques autres causes moins parfaites que Dieu; car on ne se peut rien imaginer de plus parfait, ni même d'égal à lui.'Or, si j'étois indépendant de tout autre, et que je fusse moi-même l'auteur de mon être, je ne douterois d'aucune chose, je ne concevrois point de désirs; et enfin il ne me manqueroit aucune perfection, car je me serois donné moimême toutes celles dont j'ai en moi quelque idée; et ainsi je serois Dieu. Et je ne me dois pas imaginer que les choses qui me manquent sont peut-être plus difficiles à acquérir que celles dont je suis déjà en possession; car au contraire il est très certain qu'il a été beaucoup plus difficile que moi, c'est-à-dire une chose ou une substance qui pense, sois sorti du néant, qu'il ne me seroit d'acquérir les lumières et les connoissances de plusieurs choses que j'ignore, et qui 23

TOME IV.

ne sont que des accidents de cette substance; et certainement si je m'étois donné ce plus que je viens de dire, c'està-dire si j'étois moi-même l'auteur de mon être, je ne me serois pas au moins dénié les choses qui se peuvent avoir avec plus de facilité, comme sont une infinité de connoissances dont ma nature se trouve dénuée : je ne me serois pas même dénié aucune des choses que je vois être contenues dans l'idée de Dieu, parcequ'il n'y en a aucune qui me semble plus difficile à faire ou à acquérir; et s'il y en avoit quelqu'une qui fût plus difficile, certainement elle me paroîtroit telle (supposé que j'eusse de moi toutes les autres choses que je possède), parceque je verrois en cela ma puissance terminée. Et encore que je puisse supposer que peut-être j'ai toujours été comme je suis maintenant, je ne saurois pas pour cela éviter la force de ce raisonnement, et ne laisse pas de connoître qu'il est nécessaire que Dieu soit l'auteur de mon existence. Car tout le temps de ma vie peut être divisé en une infinité de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune façon des autres; et ainsi, de ce qu'un peu auparavant j'ai été, il ne s'ensuit pas que je doive maintenant être, si ce n'est qu'en ce moment quelque cause me produise et me crée pour ainsi dire derechef, c'est-à-dire me conserve. En effet, c'est une chose bien claire et bien évidente à tous ceux qui considèreront avec attention la nature du temps, qu'une substance, pour être conservée dans tous les moments qu'elle dure, a besoin du même pouvoir et de la même action qui seroit nécessaire pour la produire et la créer tout de nouveau, si elle n'étoit point encore; en sorte que c'est une chose que la lumière naturelle nous fait voir clairement, que la conservation et la création ne diffèrent qu'au regard de notre façon de penser, et non point et non point en effet. Il faut donc seulement ici que je m'interroge et me consulte moi-même, pour voir si j'ai en moi quelque pouvoir et quelque vertu

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