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Créateur de toutes les choses qui sont au monde. Je puis former quelque image de la création par le moyen des choses que j'ai vues, par exemple de ce que j'ai vu un homme naissant, et qui est parvenu, d'une petitesse presque inconcevable, à la forme et à la grandeur qu'il a maintenant; et personne à mon avis n'a d'autre idée à ce nom de créateur: mais il ne suffit pas, pour prouver la création du monde, que nous puissions imaginer le monde créé. C'est pourquoi, encore qu'on eût démontré qu'un être infini, indépendant, tout-puissant, etc., existe, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'un créateur existe, si ce n'est que quelqu'un pense qu'on infère fort bien de ce qu'un certain être existe, lequel nous croyons avoir créé toutes les autres choses, que pour cela le monde a autrefois été créé par lui.

RÉPONSE.

Aucune chose de celles que nous attribuons à Dieu ne peut venir des objets extérieurs comme d'une cause exemplaire : car il n'y a rien en Dieu de semblable aux choses extérieures, c'est-à-dire aux choses corporelles. Or il est manifeste que tout ce que nous concevons être en Dieu de dissemblable aux choses extérieures ne peut venir en notre pensée par l'entremise de ces mêmes choses, mais seulement par celle de la cause de cette diversité, c'està-dire de Dieu.

Et je demande ici de quelle façon ce philosophe tire l'intellection de Dieu des choses extérieures : car pour moi j'explique aisément quelle est l'idée que j'en ai, en disant que par le mot d'idée j'entends la forme de toute perception; car qui est celui qui conçoit quelque chose qui ne s'en aperçoive, et partant qui n'ait cette forme ou cette idée de l'intellection, laquelle venant à étendre à l'infini il forme l'idée de l'intellection divine? Et ce que je dis de cette per

fection se doit entendre de même de toutes les autres. Mais, d'autant que je me suis servi de l'idée de Dieu qui est en nous pour démontrer son existence, et que dans cette idée une puissance si immense est contenue que nous concevons qu'il répugne, s'il est vrai que Dieu existe, que quelque autre chose que lui existe si elle n'a été créée lui, il suit clairement de ce que son existence a été démontrée qu'il a été aussi démontré que tout ce monde, c'està-dire toutes les autres choses différentes de Dieu qui existent, ont été créées par lui.

$ 2.

RÉPONSE A UNE OBJECTION DE REGIUS.

par

Vous dites que de ce qu'il y a en nous quelque sagesse, quelque pouvoir, quelque bonté, quelque quantité, etc., nous nous formons l'idée d'une sagesse, d'une puissance, d'une bonté infinie, ou du moins indéfinie, et des autres perfections que nous attribuons à Dieu comme l'idée d'une quantité infinie. Je vous accorde volontiers tout cela, et je suis pleinement convaincu que nous n'avons point d'autre idée de Dieu, que celle qui se forme en nous de cette manière; mais toute la force de ma preuve consiste en ce que je prétends que ma nature ne pourroit être telle que je pusse augmenter à l'infini par un effort de ma pensée ces perfections qui sont très petites en moi, si nous ne tirions origine de cet être en qui ces perfections se trouvent actuellement infinies. De même que par la seule considération d'une quantité fort petite, ou du corps fini, je ne pourrois jamais concevoir une quantité indéfinie, si la grandeur du monde n'étoit ou ne pouvoit être indéfinie.

OBJECTION FAITE PAR GASSENDI.

Toutes ces hautes perfections que nous avons coutume d'attribuer à Dieu semblent avoir été tirées des choses que nous admirons ordinairement en nous, comme sont la durée, la puissance, la science, la bonté, le bonheur, etc., auxquelles ayant donné toute l'étendue possible, nous disons que Dieu est éternel, tout-puissant, tout-connoissant, souverainement bon, parfaitement heureux, etc.

RÉPONSE.

Et d'où nous peut venir cette faculté d'amplifier toutes les perfections créées, c'est-à-dire de concevoir quelque chose de plus grand et de plus parfait qu'elles ne sont, sinon de cela seul que nous avons en nous l'idée d'une chose plus grande, à savoir de Dieu même ?

OBJECTION FAITE PAR LE MÊME.

Vous savez comment les poëtes nous décrivent la Pandore; pourquoi donc vous pareillement, après avoir admiré en divers hommes une science éminente, une haute sagesse, une puissance souveraine, une santé vigoureuse, une beauté parfaite, un bonheur sans disgrace et une longue vie; pourquoi, dis-je, n'auriez-vous pu assembler toutes ces perfections et penser que celui-là seroit digne d'admiration qui les pourroit posséder toutes ensemble? Pourquoi ensuite n'auriez-vous pu augmenter toutes ces perfections jusqu'à tel point que l'état de celui-là fût encore plus à admirer, si non seulement il ne manquoit rien à sa science, à sa puissance, à sa durée, et à toutes ses autres perfections, mais aussi qu'elles fussent si accomplies qu'on n'y pût rien ajouter, et qu'ainsi il fut tout-connois

sant, tout-puissant, éternel, et qu'il possédât en un souverain degré toutes sortes de perfections? Et, voyant que la nature humaine n'est pas capable de contenir un tel assemblage et assortiment de perfections, pourquoi n'auriezvous pu penser que cette nature-là seroit parfaitement heureuse à qui toutes ces choses pourroient appartenir? Pourquoi aussi ne pas croire une chose digne de votre recherche, de savoir si une telle nature existe ou non dans le monde? Pourquoi n'être pas tellement persuadé par certains arguments, qu'il vous semble que ce soit une chose plus convenable qu'une telle nature existe que de n'exister pas? Et pourquoi enfin, supposé qu'elle existe, ne pourriez-vous pas lui dénier la corporéité, la limitation, et toutes les autres choses qui enferment dans leur concept quelque sorte d'imperfection? Et c'est ainsi qu'ils nous dépeignent non seulement la Pandore comme une déesse ornée de toutes sortes de perfections; mais c'est ainsi aussi qu'ils forment l'idée d'une parfaite république et d'un orateur accompli, etc. Enfin, de ce que vous êtes, et de ce que l'idée d'un être souverainement parfait est en vous, vous concluez, « qu'il est très évidemment démontré que » Dieu existe. » Mais encore que la conclusion soit très vraie, à savoir que Dieu existe, je ne vois pas néanmoins qu'elle suive nécessairement des principes que vous avez posés.

RÉPONSE.

Vous avouez vous-même que je puis tellement accroître et augmenter toutes les perfections que je reconnois être dans l'homme, qu'il me sera facile de reconnoître qu'elles sont telles qu'elles ne sauroient convenir à la nature humaine, ce qui me suffit entièrement pour démontrer l'existence de Dieu car je soutiens que cette vertu-là d'augmenter et d'accroître les perfections humaines jusqu'à tel

point qu'elles ne soient plus humaines, mais infiniment relevées au dessus de l'état et condition des hommes, ne pourroit être en nous, si nous n'avions un Dieu pour auteur de notre être (1).

En s'arrêtant assez long-temps sur la seconde Méditation, on acquiert peu-à-peu une connoissance très claire, et, si j'ose ainsi parler, intuitive, de la nature intellectuelle en général; l'idée de laquelle étant considérée sa limitation, est celle qui nous représente Dieu, et limitée, est celle d'un ange ou d'une ame humaine.

RÉPONSE A UNE OBJECTION FAITE PAR UN THELO GIEN OU PHILOSOPHE.

Je veux bien ici avouer franchement que l'idée que nous avons, par exemple, de l'entendement divin ne me semble point différer de celle que nous avons de notre propre entendement, sinon seulement comme l'idée d'un nombre infini diffère de l'idée du nombre binaire ou du ternaire; et il en est de même de tous les attributs de Dieu, dont nous reconnoissons en nous quelque vestige.

Mais, outre cela, nous concevons en Dieu une immensité, simplicité ou unité absolue, qui embrasse et contient tous ses autres attributs, et de laquelle nous ne trouvons ni en nous ni ailleurs aucun exemple; mais elle est, ainsi que je l'ai dit (2), comme la marque de l'ouvrier imprimée sur son ouvrage. Et, par son moyen, nous connoissons qu'aucune des choses que nous concevons être en Dieu et en nous, et que nous considérons en lui par parties, et comme

(1) Voyez le chapitre suivant.

(2) Voyez le § 4.

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