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Les vérités métaphysiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu, et en dépendent tièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. Ne craignez point d'assurer et de publier partout que c'est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu'un roi établit les lois en son royaume. Or il n'y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre, si notre esprit se porte à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris ingenitæ, ainsi qu'un roi imprimeroit ses lois dans le cœur de tous ses sujets, s'il en avoit aussi bien le pouvoir. On vous dira que si Dieu avoit établi ces vérités, il les pourroit changer comme un roi fait ses lois, à quoi il faut répondre que oui, si sa volonté peut changer; mais je les comprends comme éternelles et immuables, et moi je juge le même de Dieu. Mais sa volonté est libre: oui, mais sa puissance est incompréhensible; et généralement nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non pas qu'il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre, car ce seroit témérité de penser que notre imagination a autant d'étendue que sa puissance.

CHAPITRE VII.

De l'existence des choses matérielles.

:

S 1.

Il ne me reste plus maintenant qu'à examiner s'il y a des choses matérielles et certes, au moins sais-je déjà qu'il y en peut avoir, en tant qu'on les considère comme l'objet des démonstratious de géométrie, vu que de cette façon je les conçois fort clairement et fort distinctement. Car il n'y a point de doute que Dieu n'ait la puissance de produire toutes les choses que je suis capable de concevoir avec distinction; et je n'ai jamais jugé qu'il lui fût impossible de faire quelque chose, que par cela seul que je trouvois de la contradiction à la pouvoir bien concevoir. De plus, la faculté d'imaginer qui est en moi, et de laquelle je vois par expérience que je me sers lorsque je m'applique à la considération des choses matérielles, est capable de me persuader leur existence car, quand je considère attentivement ce que c'est que l'imagination, je trouve qu'elle n'est autre chose qu'une certaine application de la faculté qui connoît, au corps qui lui est intimement present, et partant qui existe.

Je remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui est en moi, en tant qu'elle diffère de la puissance de concevoir, n'est en aucune façon nécessaire à ma nature ou à mon essence, c'est-à-dire à l'essence de mon esprit; car, encore que je ne l'eusse point, il est sans doute que je de

meurerois toujours le même que je suis maintenant: d'où il semble que l'on puisse conclure qu'elle dépend de quelque chose qui diffère de mon esprit. Et je conçois facilement que, si quelque corps existe auquel mon esprit soit tellement conjoint et uni qu'il se puisse appliquer à le considérer quand il lui plaît, il se peut faire que par ce moyen il imagine les choses corporelles; en sorte que cette façon de penser diffère seulement de la pure intellection en ce que l'esprit en concevant se tourne en quelque façon vers soimême, et considère quelqu'une des idées qu'il a en soi; mais en imaginant il se tourne vers le corps, et considère en lui quelque chose de conforme à l'idée qu'il a lui-même formée ou qu'il a reçue par les sens. Je conçois, dis-je, aisément que l'imagination se peut faire de cette sorte, s'il est vrai qu'il y ait des corps; et, parceque je ne puis rencontrer aucune autre voie pour expliquer comment elle se fait, je conjecture de là probablement qu'il y en a: mais ce n'est que probablement; et, quoique j'examine soigneusement toutes choses, je ne trouve pas néanmoins que, de cette idée distincte de la nature corporelle que j'ai en mon imagination, je puisse tirer aucun argument qui conclue avec nécessité l'existence de quelque corps.

Or j'ai accoutumé d'imaginer beaucoup d'autres choses outre cette nature corporelle qui est l'objet de la géométrie, à savoir les couleurs, les sons, les saveurs, la douleur, et autres choses semblables, quoique moins distinctement; et d'autant que j'aperçois beaucoup mieux ces choses-là par les sens, par l'entremise desquels et de la mémoire elles semblent être parvenues jusqu'à parvenues jusqu'à mon imagination, je crois que, pour les examiner plus commodément, il est à propos que j'examine en même temps ce que c'est que sentir, et que je voie si de ces idées que je reçois en mon esprit par cette façon de penser que j'appelle sentir, je ne pourrai point

TOME IV.

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tirer quelque preuve certaine de l'existence des choses corporelles.

Et premièrement, je rappellerai en ma mémoire quelles sont les choses que j'ai ci-devant tenues pour vraies, comme les ayant reçues par les sens, et sur quels fondements ma créance étoit appuyée; après, j'examinerai les raisons qui m'ont obligé depuis à les révoquer en doute; et enfin, je considérerai ce que j'en dois maintenant croire.

$ 2.

Premièrement donc j'ai senti que j'avois une tête, des mains, des pieds, et tous les autres membres dont est composé ce corps que je considérois comme une partie de moimême ou peut-être aussi comme le tout : de plus, j'ai senti que ce corps étoit placé entre beaucoup d'autres, desquels il étoit capable de recevoir diverses commodités et incommodités, et je remarquois ces commodités par un certain sentiment de plaisir ou de volupté, et ces incommodités par un sentiment de douleur. Et, outre ce plaisir et cette douleur, je ressentois aussi en moi la faim, la soif, et d'autres semblables appétits; comme aussi de certaines inclinations corporelles vers la joie, latristesse, la colère, et autres semblables passions. Et au dehors, outre l'extension, les figures, les mouvements des corps, je remarquois en eux de la dureté, de la chaleur, et toutes les autres qualités qui tombent sous l'attouchement; de plus, j'y remarquois de la lumière, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des sons, dont la variété me donnoit moyen de distinguer le ciel, la terre, la mer, et généralement tous les autres corps les uns d'avec les autres. Et certes, considérant les idées de toutes ces qualités qui se présentoient à ma pensée, et lesquelles seules je sentois proprement et immédiatement, ce n'étoit pas sans raison que je croyois sentir des choses en

parce

tièrement différentes de ma pensée, à savoir des corps d'où procédoient ces idées : car j'expérimentois qu'elles se présentoient à elle sans que mon consentement y fût requis, en sorte que je ne pouvois sentir aucun objet, quelque volonté que j'en eusse, s'il ne se trouvoit présent à l'organe d'un de mes sens ; et il n'étoit nullement en mon pouvoir de ne le pas sentir lorsqu'il s'y trouvoit présent. Et que les idées que je recevois par les sens étoient beaucoup plus vives, plus expresses, et même à leur façon plus distinctes qu'aucunes de celles que je pouvois feindre de moimême en méditant, ou bien que je trouvois imprimées en ma mémoire, il sembloit qu'elles ne pouvoient procéder de mon esprit; de façon qu'il étoit nécessaire qu'elles fussent causées en moi par quelques autres choses. Desquelles choses n'ayant aucune connoissance, sinon celle que me donnoient ces mêmes idées, il ne me pouvoit venir autre chose en l'esprit, sinon que ces choses-là étoient semblables aux idées qu'elles causoient. Et pourceque je me ressouvenois aussi que je m'étois plutôt servi des sens que de ma raiet que je reconnoissois que les idées que je formois de moi-même n'étoient pas si expresses que celles que je recevois par les sens, et même qu'elles étoient le plus souvent composées des parties de celles-ci, je me persuadois aiséque je n'avois aucune idée dans mon esprit qui n'eût passé auparavant par mes sens. Ce n'étoit pas aussi sans quelque raison que je croyois que ce corps, lequel par un certain droit particulier j'appelois mien, m'appartenoit plus proprement et plus étroitement que pas un autre; car en effet je n'en pouvois jamais être séparé comme des autres corps je ressentois en lui et pour lui tous mes appétits et toutes mes affections; et enfin j'étois touché des sentiments de plaisir et de douleur en ses parties, et non pas en celles des autres corps, qui en sont séparés. Mais quand j'examinois pourquoi de ce je ne sais quel sentiment de douleur

son,

ment

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