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unes auprès des autres, il ne paroît pas que vous puissiez dire que chacune de ses parties ne touche pas les voisines, et cette faculté d'être touché est une véritable propriété qui est intime au sujet, et non celle que les sens nous font appeler le toucher.

On ne peut pas aussi comprendre qu'une partie d'une chose étendue pénètre une autre partie qui lui soit égale, sans comprendre en même temps que l'étendue qui est au milieu de ces deux parties est ôtée ou anéantie; or une chose réduite au néant n'en sauroit pénétrer une autre : ainsi on peut démontrer, selon moi, que l'impénétrabilité appartient à l'essence de l'étendue, et non à l'essence d'aucune autre chose.

Quand vous soutenez qu'il y a une autre étendue aussi véritable, nous sommes d'accord sur le fond, et il ne s'agit plus entre nous que d'une question de nom, savoir, s'il faut donner le nom de véritable étendue à cette dernière. Pour moi, je ne conçois aucune étendue de substance, ni en Dieu, ni dans les anges, ni dans notre ame; mais seulement une étendue de puissance, ou une extension en puissance; en sorte qu'un ange peut proportionner ce pouvoir d'extension, tantôt à une plus grande ou moindre partie de la substance corporelle; car s'il n'y avoit aucun corps, je ne comprendrois aussi aucun espace à qui Dieu ou l'ange correspondissent par l'étendue. Quant à ce qu'on attribue à la substance l'étendue qui n'appartient qu'à la puissance, c'est un effet du même préjugé qui nous fait supposer toute substance en Dieu même, comme tombant sous l'imagination.

INSTANCE.

Il me semble qu'il y auroit contradiction que la puissance de l'ame fût étendue, lorsque l'ame elle-même ne le seroit en aucune façon; car la puissance de l'ame étant un

mode intrinsèque de l'ame, elle n'est pas hors de l'ame même, comme cela est clair. Il faut dire la même chose de Dieu, ce qui fait que je suis dans un pareil étonnement de ce que vous avouez qu'il est partout à raison de sa puissance, et non à raison de son essence, comme si la puissance divine, qui est un mode de Dieu, étoit située hors de Dieu, puisque chaque mode réel est toujours intimement uni à la chose dont il est mode; d'où il s'ensuit nécessairement que Dieu est partout, si sa puissance est par

tout.

Et je ne saurois soupçonner que par puissance divine vous vouliez entendre un effet transmis à la matière. Si vous entendiez même cela, la chose, selon moi, reviendroit au même, car cet effet n'est transmis que par la puissance divine, qui touche la matière qui reçoit son impression, c'est-à-dire qui est unie à elle par quelque mode réel, et par conséquent cette puissance est étendue, sans être pour cela séparée de l'essence divine; car il semble, comme j'ai dit, qu'il y a là une contradiction manifeste.

RÉPONSE.

Quand on aura une fois bien compris que le néant n'a aucune propriété, et que par conséquent ce qu'on appelle communément un espace vide n'est pas un rien, mais un vrai corps dépouillé de tous ses accidents, je veux dire de ceux qui peuvent se trouver et ne se pas trouver sans la corruption du sujet, et qu'on aura remarqué comment chaque partie ou de cet espace ou de ce corps est différente de toutes les autres, et impénétrable, on verra facilement que la même divisibilité, la même faculté d'être touché et la même impénétrabilité ne peuvent convenir à aucune autre chose. J'ai dit que Dieu est étendu en puissance, parceque cette puissance se fait voir ou se peut

faire voir dans la chose étendue; et il est certain que l'essence de Dieu doit être présente partout, afin que sa puissance s'y puisse mettre au jour; mais je dis qu'elle n'y est pas à la manière des choses étendues, c'est-à-dire de la manière que j'ai décrit ci-dessus la chose étendue.

Lorsque je concevois la pesanteur comme une qualité réelle, inhérente et attachée aux corps massifs et grossiers, encore que je la nommasse une qualité en tant que je la rapportois aux corps dans lesquels elle résidoit; néanmoins, parceque j'ajoutois ce mot de réelle, je pensois en effet que c'étoit une substance: de même qu'un habit considéré en soi est une substance, quoique étant rapporté à un homme habillé, il puisse être dit une qualité; et ainsi, bien que l'esprit soit une substance, il peut néanmoins être dit une qualité, eu égard au corps auquel il est uni. Et bien que je conçusse que la pesanteur est répandue par tout le corps qui est pesant, je ne lui attribuois pas néanmoins la même sorte d'étendue qui constitue la nature du corps, car cette étendue est telle, qu'elle exclut toute pénétrabilité des parties; et je pensois qu'il y avoit autant de pesanteur dans une masse d'or, ou de quelque autre métal de la longueur d'un pied, qu'il y en avoit dans une pièce de bois longue de dix pieds, voire même j'estimois que toute cette pesanteur pouvoit être contenue sous un point mathématique. Et même, lorsque cette pesanteur étoit ainsi également étendue par tout le corps, je voyois qu'elle pouvoit exercer toute sa force en chacune de ses parties, parceque, de quelque façon que ce corps fût suspendu à une corde, il la tiroit de toute sa pesanteur, comme si toute cette pesanteur eût été renfermée dans la partie qui touchoit la corde. Et certes je ne conçois point encore au

jourd'hui que l'esprit soit autrement étendu dans le corps, lorsque je le conçois être tout entier dans le tout, et tout entier dans chaque partie.

Si l'on avoit remarqué la façon dont j'ai expliqué que l'idée que nous avons du corps en général ou de la matière ne diffère point de celle que nous avons de l'espace, on ne s'arrêteroit point, comme on fait aussi, à vouloir faire concevoir la pénétration des dimensions par l'exemple du mouvement; car nous avons une idée très distincte des diverses vitesses du mouvement; mais il implique contradiction et est impossible de concevoir que deux espaces se pénètrent

l'un l'autre.

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Vous me pourriez proposer ici une difficulté qui est assez considérable; c'est à savoir que les parties qui composent les corps liquides ne peuvent pas, ce semble, se remuer incessamment comme elles font, si ce n'est qu'il se trouve de l'espace vide parmi elles, au moins dans les lieux d'où elles sortent à mesure qu'elles se remuent; à quoi j'aurois de la peine à répondre, si je n'avois reconnu, par diverses expériences, que tous les mouvements qui se font au monde sont en quelque façon circulaires, c'est-à-dire que, quand un corps quitte sa place, il entre toujours en celle d'un autre, et celui-ci en celle d'un autre, et ainsi de suite jusqu'au dernier, qui occupe au même instant le lieu délaissé par le premier, en sorte qu'il ne se trouve pas davantage de vide parmi eux lorsqu'ils se remuent que lorsqu'ils sont arrêtés. Et remarquez ici qu'il n'est point pour cela nécessaire que toutes les parties des corps qui se remuent ensemble soient exactement disposées en rond comme un vrai cercle, ni même qu'elles soient de pareille grosseur et figure; car ces inégalités peuvent aisément être compensées par d'autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse.

Or nous ne remarquons pas communément ces mouvements circulaires quand les corps se remuent en l'air, parceque nous sommes accoutumés de ne concevoir l'air que comme un espace vide; mais voyez nager des poissons dans le bassin d'une fontaine, s'ils ne s'approchent point trop

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