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çons dont ils sont mus. Et l'expérience nous montre quelquefois très clairement que les seuls mouvements excitent en nous non seulement du chatouillement et de la douleur, mais aussi des sons et de la lumière. Car si nous recevons en l'oeil quelque coup assez fort, en sorte que le nerf optique en soit ébranlé, cela nous fait voir mille étincelles de feu, qui ne sont point toutefois hors de notre oil; et quand nous mettons le doigt un peu avant dans notre oreille nous oyons un bourdonnement dont la cause ne peut être attribuée qu'à l'agitation de l'air que nous y tenons enfermé. Nous pouvons aussi souvent remarquer que chaleur, la dureté, la pesanteur, et les autres qualités sensibles, en tant qu'elles sont dans les corps que nous appelons chauds, durs, pesants, etc., et même aussi les formes de ces corps qui sont purement matérielles, comme la forme du feu, et semblables, y sont produites par le mouvement de quelques autres corps, et qu'elles produisent aussi par après d'autres mouvements en d'autres corps. Et nous pouvons fort bien concevoir comment le mouvement d'un corps peut être causé par celui d'un autre, et diversifié par la grandeur, la figure et la situation de ses parties; mais nous ne saurions concevoir en aucune façon comment ces mêmes choses, à savoir la grandeur, la figure et le mouvement, peuvent produire des natures entièrement différentes des leurs, telles que sont celles des qualités réelles et des formes substantielles, que la plupart des philosophes ont supposé être dans les corps; ni aussi comment ces formes ou qualités, étant dans un corps, peuvent avoir la force d'en mouvoir d'autres. Or, puisque nous savons que notre ame est de telle nature que les divers mouvements de quelques corps suffisent pour lui faire avoir tous les divers sentiments qu'elle a, et que nous voyons bien par expérience que plusieurs de ses sentiments sont véritablement causés par de tels mouvements, mais que nous

n'apercevons point qu'aucune autre chose que ces mouvements passe jamais par les organes des sens jusques au cerveau, nous avons sujet de conclure que nous n'apercevons point aussi en aucune façon que tout ce qui est dans les objets que nous appelons leur lumière, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs goûts, leurs sons, leur chaleur ou froideur, et leurs autres qualités qui se sentent par l'attouchement, et aussi ce que nous appelons leurs formes substantielles, soit en eux autre chose que les diverses figures, situations, grandeurs et mouvements de leurs parties, qui sont tellement disposées qu'elles peuvent mouvoir nos nerfs en toutes les diverses façons qui sont requises pour exciter en notre ame tous les divers sentiments qu'ils y excitent.

CHAPITRE XIII.

Des principes des choses matérielles.

S 1.

La nature de la matière ou du corps pris en général ne consiste point en ce qu'il est une chose dure, ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu'il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur. Pour ce qui est de la dureté, nous n'en connoissons autre chose par le moyen de l'attouchement, sinon que les parties des corps durs résistent au mouvement de nos mains lorsqu'elles les rencontrent: mais si toutes les fois que nous portons nos mains quelque part les corps qui sont en cet endroit-là se retiroient aussi vite comme elles en approchent, il est certain que nous ne sentirions jamais de dureté ; et néanmoins nous n'avons aucune raison qui nous puisse faire croire que les corps qui se retireroient de cette sorte perdissent pour cela ce qui les fait corps. D'où il suit que leur nature ne consiste pas en la dureté que nous sentons quelquefois à leur occasion, ni aussi en la pesanteur, chaleur, et autres qualités de ce genre: car si nous examinons quelque corps que ce soit, nous pouvons penser qu'il n'a en soi aucunes de ces qualités, et cependant nous connoissons clairement et distinctement qu'il a tout ce qui le fait corps, pourvu qu'il ait de l'extension en longueur, largeur et profondeur; d'où il suit aussi que pour être il n'a besoin d'elles en aucune façon, et que sa nature consiste en cela seul qu'il est une substance qui a de l'extension.

Pour rendre cette vérité entièrement évidente, il ne reste ici que deux difficultés à éclaircir. La première consiste en ce que quelques uns, voyant proche de nous des corps qui sont quelquefois plus et quelquefois moins raréfiés, se sont imaginés qu'un même corps a plus d'extension lorsqu'il est raréfié que lorsqu'il est condensé; il y en a même qui ont subtilisé jusques à vouloir distinguer la substance d'un corps d'avec sa propre grandeur, et la grandeur même d'avec son extension. L'autre n'est fondée que sur une façon de penser qui est en usage, à savoir qu'on n'entend pas qu'il y ait un corps où l'on dit qu'il n'y a qu'une étendue en longueur, largeur et profondeur, mais seulement un espace, et encore un espace vide, qu'on se persuade aisément n'être rien.

$ 2.

Pour ce qui est de la raréfaction et de la condensation, quiconque voudra examiner ses pensées, et ne rien admettre sur ce sujet que ce dont il aura une idée claire et distincte, ne croira pas qu'elles se fassent autrement que par un changement de figure qui arrive au corps, lequel est raréfié ou condensé; c'est-à-dire que toutes fois et quantes que nous voyons qu'un corps est raréfié, nous devons penser qu'il y a plusieurs intervalles entre ses parties, lesquels sont remplis de quelque autre corps, et que lorsqu'il est condensé, ses mêmes parties sont plus proches les unes des autres qu'elles n'étoient, soit qu'on ait rendu les intervalles qui étoient entre elles plus petits, ou qu'on les ait entièrement ôtés, auquel cas on ne sauroit concevoir qu'un corps puisse être davantage condensé; et toutefois il ne laisse pas d'avoir tout autant d'extension que lorsque ces mêmes parties étant éloignées les unes des autres, et comme éparses en plusieurs branches, embrassoient un

plus grand espace. Car nous ne devons point lui attribuer l'étendue qui est dans les pores ou intervalles que ses parties n'occupent point lorsqu'il est raréfié, mais aux autres corps qui remplissent ces intervalles; tout de même que voyant une éponge pleine d'eau ou de quelque autre liqueur, nous n'entendons point que chaque partie de cette éponge ait pour cela plus d'étendue, mais seulement qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont plus grands que lorsqu'elle est sèche et plus serrée.

Je ne sais pourquoi, lorsqu'on a voulu expliquer comment un corps est raréfié, on a mieux aimé dire que c'étoit par l'augmentation de sa quantité, que de se servir de l'exemple de cette éponge. Car bien que nous ne voyions point, lorsque l'air ou l'eau sont raréfiés, les pores qui sont entre les parties de ces corps, ni comment ils sont devenus plus grands, ni même le corps qui les remplit, il est toutefois beaucoup moins raisonnable de feindre je ne sais quoi qui n'est pas intelligible, pour expliquer seulement en apparence, et par des termes qui n'ont aucun sens, la façon dont un corps est raréfié, que de conclure, en conséquence de ce qu'il est raréfié, qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont devenus plus grands, et qui sont pleins de quelque autre corps. Et nous ne devons pas faire difficulté de croire que la raréfaction ne se fasse ainsi que je dis, bien que nous n'apercevions par aucun de nos sens le corps qui les remplit, parce qu'il n'y a point de raison qui nous oblige à croire que nous devions apercevoir par nos sens tous les corps qui sont autour de nous, et que nous voyons qu'il est très aisé de l'expliquer en cette sorte, et qu'il est impossible de la concevoir autrement; car, enfin, il y auroit, ce me semble, une contradiction manifeste qu'une chose fût augmentée d'une grandeur ou d'une extension qu'elle n'avoit point, et qu'elle ne fût pas accrue par même moyen d'une nouvelle substance étendue ou

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