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côté

qué en nous qui répugne à notre raison; en sorte qu'il n'y a point en ceci d'autre combat, sinon que la petite glande qui est au milieu du cerveau, pouvant être poussée d'un par l'ame, et de l'autre par les esprits animaux, qui ne sont que des corps, ainsi que j'ai dit ci-dessus, il arrive souvent que ces deux impulsions sont contraires, et que la plus forte empêche l'effet de l'autre. Or on peut distinguer deux sortes de mouvements excités par les esprits dans la glande les uns représentent à l'ame les objets qui meuvent les sens, ou les impressions qui se rencontrent dans le cerveau, et ne font aucun effort sur sa volonté ; les autres y font quelque effort, à savoir ceux qui causent les passions ou les mouvements du corps qui les accompagnent; et pour les premiers, encore qu'ils empêchent souvent les actions de l'ame, ou bien qu'ils soient empêchés par elle, toutefois, à cause qu'ils ne sont pas directement contraires, on n'y remarque point de combats. On en remarque seulement entre les derniers et les volontés qui leur répugnent; par exemple, entre l'effort dont les esprits poussent la glande pour causer en l'ame le désir de quelque chose, et celui dont l'ame la repousse par la volonté qu'elle a de fuir la même chose; et ce qui fait principalement paroître ce combat, c'est que la volonté n'ayant pas le pouvoir d'exciter directement les passions, ainsi qu'il a déjà été dit, elle est contrainte d'user d'industrie, et de s'appliquer à considérer successivement diverses choses dont, s'il arrive que l'une ait la force de changer pour un moment le cours des esprits, il peut arriver que celle qui suit ne l'a pas, et qu'ils le reprennent aussitôt après, à cause que la disposition qui a précédé dans les nerfs, dans le coeur et dans le sang, n'est pas changée, ce qui fait que l'ame se sent poussée presque en même temps à désirer et ne pas désirer une même chose; et c'est de là qu'on a pris occasion d'imaginer en elle deux puissances qui se combattent. Toutefois on

peut encore concevoir quelque combat, en ce que souvent la même cause qui excite en l'ame quelque passion, excite aussi certains mouvements dans le corps, auxquels l'ame ne contribue point, et lesquels elle arrête ou tâche d'arrêter sitôt qu'elle les aperçoit, comme on éprouve lorsque ce qui excite la peur fait aussi que les esprits entrent dans les muscles qui servent à remuer les jambes pour fuir, et que la volonté qu'on a d'être hardi les arrête.

Or c'est par le succès de ces combats que chacun peut connoître la force ou la foiblesse de son ame; car ceux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les mouvements du corps qui les accompagnent, ont sans doute les ames les plus fortes : mais il y en a qui ne peuvent éprouver leur force, pourcequ'ils ne font jamais combattre leur volonté avec ses propres armes, mais seulement avec celles que lui fournissent quelques passions pour résister à quelques autres. Ce que je nomme ses propres armes, sont des jugements fermes et déterminés touchant la connoissance du bien et du mal, suivant lesquels elle a résolu de conduire les actions de sa vie; et les ames les plus foibles de toutes sont celles dont la volonté ne se détermine point ainsi à suivre certains jugements, mais se laisse continuellement emporter aux passions présentes, lesquelles étant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à leur parti, et, l'employant à combattre contre elle-même, mettent l'ame au plus déplorable état qu'elle puisse être. Ainsi lorsque la peur représente la mort comme un mal extrême, et qui ne peut être évité que par la fuite, l'ambition d'autre côté représente l'infamie de cette fuite comme un mal pire que la mort; ces deux passions agitent diversement la volonté, laquelle obéissant tantôt à l'une, tantôt à l'autre, s'oppose continuellement à soi-même, et ainsi rend l'ame esclave et malheureuse.

CHAPITRE XII.

Des sens et des qualités sensibles des corps.

$ 1.

Encore que notre ame soit unie à tout le corps, elle exerce néanmoins ses principales fonctions dans le cerveau, et c'est là non seulement qu'elle entend et qu'elle imagine, mais aussi qu'elle sent; et ce par l'entremise des nerfs, qui sont étendus comme des filets très déliés, depuis le cerveau jusques à toutes les parties des autres membres, auxquelles ils sont tellement attachés, qu'on n'en sauroit presque toucher aucune qu'on ne fasse mouvoir les extrémités de quelque nerf, et que ce mouvement ne passe, par le moyen de ce nerf, jusqu'à cet endroit du cerveau où est le siége du sens commun. Les mouvements qui passent ainsi par l'entremise des nerfs jusques à cet endroit du cerveau auquel notre ame est étroitement jointe et unie, lui font avoir diverses pensées, à raison des diversités qui sont en eux; et ce sont ces diverses pensées de notre ame qui viennent immédiatement des mouvements qui sont excités l'entremise des nerfs dans le cerveau, que nous appepar lons proprement nos sentiments, ou bien les perceptions de nos sens.

Et on peut aisément prouver que l'ame ne sent pas, en tant qu'elle est en chaque membre du corps, mais seulement en tant qu'elle est dans le cerveau, où les nerfs, par leurs mouvements, lui rapportent les diverses actions des objets extérieurs qui touchent les parties du corps dans lesquelles ils sont insérés. Car, premièrement, il y a plu

pas en

sieurs maladies qui, bien qu'elles n'offensent que le cerveau seul, ôtent néanmoins l'usage de tous les sens, comme fait aussi le sommeil, ainsi que nous expérimentons tous les jours, et toutefois il ne change rien que dans le cerveau. De plus, encore qu'il n'y ait rien de mal disposé, ni dans le cerveau, ni dans les membres où sont les organes des sens extérieurs, si seulement le mouvement de l'un des nerfs qui s'étendent du cerveau jusques à ces membres, est empêché en quelque endroit de l'espace qui est entre deux, cela suffit pour ôter le sentiment à la partie du corps où sont les extrémités de ces nerfs. Et, outre cela, nous sentons quelquefois de la douleur, comme si elle étoit en quelques uns de nos membres, dont la cause n'est ces membres où elle se sent, mais en quelque lieu plus proche du cerveau par où passent les nerfs qui en donnent à l'ame le sentiment: ce que je pourrois prouver par plusieurs expériences; mais je me contenterai ici d'en rapporter une fort manifeste. On avoit coutume de bander les yeux à une jeune fille lorsque le chirurgien la venoit panser d'un mal qu'elle avoit à la main, à cause qu'elle n'en pouvoit supporter la vue; et la gangrène s'étant mise à son mal, on fut contraint de lui couper jusques à la moitié du bras, ce qu'on fit sans l'en avertir, parcequ'on ne la vouloit pas attrister; et on lui attacha plusieurs linges liés l'un sur l'autre en la place de la partie qu'on lui avoit coupée, en sorte qu'elle demeura long-temps après sans le savoir. Et ce qui est en ceci fort remarquable, elle ne laissoit pas cependant d'avoir diverses douleurs qu'elle pensoit être dans la main qu'elle n'avoit plus, et de se plaindre de ce qu'elle sentoit, tantôt en l'un de ses droits, et tantôt à l'autre ; de quoi on ne sauroit donner d'autre raison, sinon que les nerfs de sa main, qui finissoient alors vers le coude, y étoient mus en la même façon qu'ils auroient dû être auparavant dans les extrémités de ses doigts, pour

faire avoir à l'ame dans le cerveau le sentiment de semblables douleurs. Et cela montre évidemment que la douleur de la main n'est pas sentie par l'ame en tant qu'elle est dans la main, mais en tant qu'elle est dans le cerveau.

S 2.

Toutes les variétés de nos sentiments dépendent premièrement de ce que nous avons plusieurs nerfs, puis aussi de ce qu'il y a divers mouvements en chaque nerf: mais néanmoins nous n'avons pas autant de sens différents que nous avons de nerfs. Et je n'en distingue principalement que sept, deux desquels peuvent être nommés intérieurs, et les cinq autres extérieurs. Le premier sens, que je nomme intérieur, comprend la faim, la soif, et tous les autres appétits naturels; et il est excité en l'ame par les mouvements des nerfs de l'estomac, du gosier, et de toutes les autres parties qui servent aux fonctions naturelles pour lesquelles on a de tels appétits. Le second comprend la joie, la tristesse, l'amour, la colère, et toutes les autres passions, et il dépend principalement d'un petit nerf qui va vers le cœur, puis aussi de ceux du diaphragme, et des autres parties intérieures. Car, par exemple, lorsqu'il arrive que notre sang est fort pur et bien tempéré, en sorte qu'il se dilate dans le coeur plus aisément et plus fort que de coutume, cela fait tendre les petits nerfs qui sont aux entrées de ses concavités, et les meut d'une certaine façon qui répond jusques au cerveau, au cerveau, et y excite notre ame à sentir naturellement de la joie. Et toutes et quantes fois que ces mêmes nerfs sont mus de la même façon; bien que ce soit pour d'autres causes, ils excitent en notre ame ce même sentiment de joie. Ainsi, lorsque nous pensons jouir de quelque bien, l'imagination de cette jouissance ne contient pas en soi le sentiment de la joie, mais elle fait que

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