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LE

MALADE IMAGINAIRE,

COMÉDIE-BALLET (1673).

PERSONNAGES DE LA COMÉDIE.

ARGAN, malade imaginaire.

BÉLINE, seconde femme d'Argan.

ANGÉLIQUE, fille d'Argan, et amante de Cléante.
LOUISON, petite-fille d'Argan, et sœur d'Angélique.
BÉRALDE, frère d'Argan.

CLÉANTE, amant d'Angélique.

MONSIEUR DIAFOIRUS, médecin.

THOMAS DIAFOIRUS, son fils, et amant d'Angé

lique.

MONSIEUR PURGON, médecin d'Argan.

MONSIEUR FLEURANT, apothicaire.

MONSIEUR BONNEFOI, notaire.

TOINETTE, servante.

MOLIÈRE.

M MOLIÈRE.
La petite BAUVAL.

LA GRANGE.

BAUVAL.

Mile BAUVAL.

PERSONNAGES DES INTERMÈDES.

POLICHINELLE.

UNE VIEILLE.

VIOLONS.

DANS LE PREMIER ACTE.

ARCHERS, chantants et dansants.

DANS LE SECOND ACTE.

QUATRE ÉGYPTIENNES, chantantes.

ÉGYPTIENS ET ÉGYPTIENNES, chantants et dansants.

DANS LE TROISIÈME ACTE.

TAPISSIERS, dansants.

LE PRÉSIDENT de la Faculté de médecine.

DOCTEURS.

ARGAN, bachelier.

APOTHICAIRES, avec leurs mortiers et leurs pilons.

PORTE-SERINGUES.

CHIRURGIENS.

La scène est à Paris.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

ARGAN, assis, une table devant lui, comptant avec des jetons les parties de son apothicaire.

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt;

trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit <«< clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, << humecter et rafraîchir les entrailles de Monsieur. »> Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de Monsieur, << trente sols. » Oui; mais, monsieur Fleurant, ce n'est pas tout que d'être civil; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement! Je suis votre serviteur, je vous l'ai déjà dit; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu'à vingt sols; et vingt sols en langage d'apothicaire, c'est-à-dire dix sols; les voilà, dix sols. «< Plus, « dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catho<< licon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'or<< donnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de << Monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et << somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente« cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols six deniers. << Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative «< et corroborative, composée de casse récente avec séné levan<< tin, et autres, suivant l'ordonnance de monsieur Purgon, « pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. >> Ah! monsieur Fleurant, c'est se moquer: il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s'il vous plait. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine << et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. >> Bon, dix et quinze sols. « Plus, du vingt-sixième, un clystère «< carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de Monsieur, « réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. «Plus, du vingt-septième, une bonne médecine, «< composée pour håter d'aller, et chasser dehors les mauvai<< ses humeurs de Monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du << vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié et dulcoré, << pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de << Monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cor<< diale et préservative, composée avec douze grains de bé«<zoer, sirop de limon et grenades, et autres, suivant l'or<< donnance, cinq livres. » Ah! monsieur Fleurant, tout doux, s'il vous plaît; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs; vingt et

:

quarante sols. Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc que, de ce mois, j'ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et huit médecines; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements; et l'autre mois, il y avait douze médecines et vingt lavements. Je ne m'étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l'autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu'il mette ordre à cela. Allons, qu'on m'ôte tout ceci. (Voyant que personne ne vient, et qu'il n'y a aucun de ses gens dans sa chambre.) Il n'y a personne. J'ai beau dire on me laisse toujours seul; il n'y a pas moyen de les arrêter ici. (Après avoir sonné une sonnette qui est sur la table.) Ils n'entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d'affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds... Toinette! Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais point. Chienne! coquine! Drelin, drelin, drelin. J'enrage! (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables! Est-il possible qu'on laisse comme cela un pauvre malade tout seul? Drelin, drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable! Drelin, drelin, drelin. Ah! mon Dieu! ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.

SCÈNE II.

ARGAN, TOINETTE.

TOINETTE, en entrant.

On y va.

ARGAN.

Ah! chienne! ah! carogne!...

TOINETTE, faisant semblant de s'être cogné la tête. Diantre soit fait de votre impatience! Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de tête contre la carne d'un volet.

Ah! traîtresse!...

ARGAN, en colère.

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TOINETTE.

Ah!

ARGAN.

Tu m'as laissé...

TOINETTE.

Ah!

ARGAN.

Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.

.TOINETTE.

Çamon (1), ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait.

ARGAN.

Tu m'as fait égosiller, carogne.

TOINETTE.

Et vous m'avez fait, vous, casser la tête l'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte, si vous voulez.

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Quoi! il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de la quereller!

TOINETTE.

Querellez tout votre soûl je le veux bien.

ARGAN.

Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups.

TOINETTE.

Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aie le plaisir de pleurer: chacun le sien, ce n'est pas trop. Ah!

ARGAN.

Allons, il faut en passer par là. Ote-moi ceci, coquine,

(1) Çamon est une corruption de c'est mon, ancienne expression qui signifiait cela est certain. C'est une affirmation très forte on en voit un exemple dans Montaigne, liv. II, ch. XXVII. (B.)

ôte-moi ceci. (Après s'être levé.) Mon lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré ?

Votre lavement?

TOINETTE.

ARGAN.

Oui. Ai-je bien fait de la bile?

TOINETTE.

Ma foi! je ne me mêle point de ces affaires-là; c'est à monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit.

ARGAN.

Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre.

TOINETTE.

Ce monsieur Fleurant-là et ce monsieur Purgon s'égaient bien sur votre corps; ils ont en vous une bonne vache à lait, et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour faire tant de remèdes.

ARGAN.

Taisez-vous, ignorante; ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique j'ai à lui dire quelque chose.

TOINETTE.

La voici qui vient d'elle-même : elle a deviné votre pensée.

SCÈNE III.

ARGAN, ANGÉLIQUE, TOINETTE.

ARGAN.

Approchez, Angélique vous venez à propos; je voulais vous parler.

ANGÉLIQUE

Me voilà prête à vous ouïr.

ARGAN.

Attendez. (A Toinette.) Donnez-moi mon bâton. Je vais revenir tout à l'heure.

TOINETTE.

Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires.

SCÈNE IV.

ANGÉLIQUE, TOINETTE.

ANGÉLIQUE

Toinette!

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