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TROUPE DE SPECTATEURS chantants.

PREMIER HOMME du bel air.

SECOND HOMME du bel air.
PREMIÈRE FEMME du bel air.

SECONDE FEMME du bel air.
PREMIER GASCON.

SECOND GASCON.

UN SUISSE.

UN VIEUX BOURGEOIS babillard.

UNE VIEILLE BOURGEOISE babillarde.
ESPAGNOLS chantants.

ESPAGNOLS dansants.

UNE ITALIENNE.

UN ITALIEN.

DEUX SCARAMOUCHES.

DEUX TRIVELINS.

ARLEQUIN.

DEUX POITEVINS chantants et dansants.

POITEVINS et POITEVINES dansants.

La scène est à Paris, dans la maison de M. Jourdain,

ACTE PREMIER.

L'ouverture se fait par un grand assemblage d'instruments; et dans le milieu du théâtre on voit un élève du maître de musique qui compose, sur une table, un air que le bourgeois a demandé pour une sérénade.

-

SCENE PREMIÈRE.

UN MAÎTRE DE MUSIQUE, UN ÉLÈVE DU MAÎTRE DE MUSIQUE; UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS, UN MAÎTRE A DANSER, DANSEURS.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE, aux musiciens. Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne.

LE MAÎTRE A DANSER, aux danseurs. Et vous aussi, de ce côté.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE, à son élève.

Est-ce fait?

L'ÉLÈVE.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Voyons... Voilà qui est bien.

LE MAÎTRE A DANSER.

Est-ce quelque chose de nouveau ?
LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait com poser ici en attendant que notre homme fût éveillé.

LE MAITRE A DANSER.

Peut-on voir ce que c'est ?

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Vous l'allez entendre avec le dialogue, quand il viendra, il ne tardera guère.

LE MAITRE A DANSER.

Nos occupations, à vous et à moi, ne sont pas petites maintenant.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il est vrai nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux. Ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblat.

LE MAÎTRE A DANSER.

Non pas entièrement; et je voudrais, pour lui, qu'il se connut mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons. LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye bien; c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.

LE MAÎTRE A DANSER.

Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire. Les applaudissements me touchent, et je tiens que, dans tous les beaux-arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d'essuyer, sur des compositions, la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail (1). Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudisse

(1) Régaler, dans cette phrase, signifie récompenser, dédommager. Molière, dans l'Étourdi, avait déjà dit, pour vous régaler du souci, etc.; et on lit dans Scarron, il me devra son raccommodement, il m' en régalera. Régaler, propre ment, étymologiquement, c'est rendre égal; et, par conséquent, récompenser d'un travail est ce qui rend les choses égales. (A.)

ment qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites; mais cet encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise il y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse, ses louanges sont monnayées : et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduit ici.

LE MAÎTRE A DANSER.

Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement. LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne.

LE MAÎTRE A DANSER.

Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonheur; et je voudrais qu'avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Je le voudrais aussi; et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.

LE MAÎTRE A DANSER.

Le voilà qui vient.

SCÈNE II.

MONSIEUR JOURDAIN, en robe de chambre et en bonnet de nuit; LE MAÎTRE DE MUSIQUE, LE MAÎTRE A DANSER, L'ÉLÈVE DU MAÎTRE DE MUSIQUE, UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS, DANSEURS, DEUX LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN.

Eh bien, Messieurs! Qu'est-ce? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie?

LE MAÎTRE A DANSER.

Comment! quelle petite drôlerie?

MONSIEUR JOURDAIN.

Hé! la... Comment appelez-vous cela? Votre prologue ou dialogue de chansons et de danse.

LE MAÎTRE A DANSER.

Ah! ah!

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Vous nous y voyez préparés.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je vous ai fait un peu attendre; mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité; et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir. LE MAÎTRE A DANSER.

Tout ce qu'il vous plaira.

MONSIEUR JOURDAIN.

Vous me verrez épuipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Nous n'en doutons point.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je me suis fait faire cette indienne-ci.

LE MAÎTRE A DANSER.

Elle est fort belle.

MONSIEUR JOURDAIN.

Mon tailleur m'a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Cela vous sied à merveille.

MONSIEUR JOURDAIN.

Laquais! holà, mes deux laquais!

PREMIER LAQUAIS.

Que voulez-vous, Monsieur?

MONSIEUR JOURDAIN.

Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Au maitre de musique et au maître à danser.) Que dites-vous de mes livrées?

LE MAÎTRE A DANSER.

Elles sont magnifiques.

MONSIEUR JOURDAIN entr'ouvrant sa robe, et faisant voir son haut-de-chausses étroit, de velours rouge, et sa camisole de velours vert.

Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.

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MONSIEUR JOURDAIN, ôtant sa robe de chambre. Tenez ma robe. (Au maître de musique et au maître à danser.) Me trouvez-vous bien comme cela?

LE MAÎTRE A DANSER.

Fort bien; on ne peut pas mieux.

MONSIEUR JOURDAIN.

Voyons un peu votre affaire.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air (Montrant son élève.) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui, mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne

là.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres; et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement.

MONSIEUR JOURDAIN, à ses laquais.

Donnez-moi ma robe pour mieux entendre... Attendez, je crois que je serai mieux sans robe. Non, redonnez-la-moi; cela ira mieux.

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