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Naples, et l'autre à Venise. Mais cela suffit-il pour prouver que les Italiens avaient oublié les doctrines de Guido et de Marchetto, et qu'ils ne connaissaient plus un art dont ils sentaient plus vivement le besoin et faisaient plus d'usage que les autres nations? Le concours d'artistes étrangers n'elut pas la coexistence des artistes nationaux ; il peut même prouver que les uns accouraient dans un pays où l'art était mieux apprécié, où le grand nombre des cours, des villes, des chapelles attirait un nombre proportionné de professeurs et d'exécutans. Ce qui aurait été surabondant pour les PaysBas ou pour quelque autre pays, ne pouvait pas l'être également pour l'Italie, où il fallait entretenir des chapelles et des écoles dans la plupart des villes, telles que Milan, Venise, Florence, Rome, Naples, Palerme, Ferrare, Urbin, Mantoue, etc.

Au commencement du XVIe siècle, le comte Castiglione nous assure que la musique faisait une partie essentielle de l'éducation de tout homme de cour. Les dames elles-mêmes, qui brillèrent le plus dans ce siècle par leurs talens, cultivaient surtout la musique instrumentale et vocale. Gaspara Stampa, Elisabetta Gonzaga, Tullia d'Aragona, Maria Cardona, Tarquinia Molza, etc., toutes dignes de servir de modèle par leur esprit et par leurs talens, se faisaient également admirer dans la littérature et dans la musique.

Qu'on ne croie pas qu'elle était un simple objet d'amusement pour les grands. Léon X, à qui Poliziano avait communiqué son goût pour cet art comme pour tous les autres, en faisait un objet d'étude; il s'occupait souvent, et de son luth favori, et des théories les plus difficiles de l'harmonie. Or, quelle influence ne dut pas exercer le goût particulier de ce souverain pontife sur les artistes et les savans de son tems? Léonard de Vinci était si habile dans la musique instrumentale et vocale, qu'on débita que Louis Sforze l'avait

appelé à Milan pour qu'il exercât ce talent à sa cour. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il étonnait tous les courtisans et les musiciens, et même ces chanteurs ultramontains qu'entretenait la cour de Milan. On sait aussi que ce fameux artiste mathématicien avait donné des formes nouvelles et mieux combinées à sa lyre, à une viole et à un clavier. Vinci fut ensuite imité par le Parmegianino, Cellini, le Tintoretto et l'un des Caracci, tous habiles artistes et musiciens à la fois. On pourrait citer encore beaucoup de savans et de poètes qui cultivèrent la musique avec une sorte de passion.

Mais qui pourrait compter ceux qui en faisaient leur profession spéciale? F. A. Doni en a laissé une liste, dans son ouvrage sur la Musique, et dans sa Bibliothèque, qui n'appartiennent tous qu'à la première moitié du XVIe siècle. F. Patrizi a fait mention d'une partie de ceux qui brillèrent dans l'autre moitié. Signalons quelques uns des plus célèbres.

Franchino Gaffurio, contemporain et non élève de Tinctorís, avait étudié la musique à Lodi, sa patrie, et à Mantoue; et lorsqu'il se rendit à Naples, il n'y apprit rien de nouveau ; il disputa même en soutenant quelques-unes de ses théories, et publia, en 1480, son premier Traité sur l'harmonie (Theoricum opus harmonica discipline). Depuis cette époque jusqu'à la fin du xvre siècle, le nombre des traités didactiques de ce genre est extraordinaire. Il est vrai que Zarlino, ce premier restaurateur de la musique après Guido d'Arezzo, fit oublier tous ses devanciers. Mais combien d'ouvrages ne furent pas encore publiés d'après son exemple? Il semblait que la plupart des savans les plus distingués ne s'occupassent que du perfectionnement de la musique. Tels étaient sans doute Orazio Tigrini, Lodovico Zocconi, l'Aleandro, le Maurolico, Vincent Galilei, père du grand Galilée, F. Patrizi, G. Mei, Artusi, Botrigari et tant d'autres, dont les

noms sont honorablement consacrés dans l'histoire littéraire de l'Italie.

Il est vrai que, pendant quelque tems, et ce fut peu avant Gaffurio, vers la moitié du xve siècle, l'art de la musique florissait chez les Anglais, les Français, les Espagnols, et surtout chez les Flamands; mais pourquoi n'a-t-on pas imprimé leurs ouvrages, pendant qu'on ne cessait de réimprimer tant d'ouvrages italiens depuis cette époque? On n'a trouvé que deux ou trois exemplaires du Dictionnaire de musique (Definitorium, etc.), de Tinctoris, regardé comme le premier livre de ce genre qui ait été imprimé; et, s'il ne fut pas composé avant 1478, comme l'a remarqué M. Perne, il n'a devancé que d'un an l'ouvrage de Gaffurio, imprimé à Naples en 1480.

Il existe encore une Couronne, ou recueil de messes et de motets, par d'anciens compositeurs de musique étrangers, publié au commencement du XVIe siècle. Mais ces morceaux mêmes, tout en accordant à leurs auteurs les éloges qu'ils méritent, ne pourraient-ils pas nous faire penser, que, bien que leurs auteurs aient concouru avec les Italiens à propager cette étude, ils ont de même contribué à corrompre l'art par des recherches et des entrelacemens laborieux de contrepoint, qui le rendirent plutôt un objet de travail que d'agréinent? N'auraient-ils pas introduit dans la musique ce que les Grecs, venus en même tems de Constantinople, avaient introduit dans la philosophie? Du moins c'est là, ce me semble, que s'arrêta l'école flamande, ou plutôt la musique étrangère, tandis que l'école italienne prit bientôt le caractère de son climat, et se développa de plus en plus jusqu'à la fin du XVIe siècle. En effet, presque toutes les compositions musicales et didactiques de ce tems, portent le cachet de cet esprit d'invention, qui cherche, qui réforme, qui crée. On le trouve dans les découvertes ou dans les essais de Vinci, de

Nicola Vicentino, de Palestrina, de Zarlino, de Galilei, etc. Et c'est enfin à cet esprit qu'on doit le développement de la mélopée.

Je serai encore plus bref, en touchant cet autre objet si curieux de l'histoire littéraire d'Italie.

D'après les farces, les mysières et les fêtes qu'on célébrait dans ce pays, et à peu près partout ailleurs, la musique s'introduisit, dès la fin du xv siècle, dans tous les genres de représentation théâtrale. Il semble qu'on devait chanter quelques morceaux de l'Orphée de Poliziano, première pastorale italienne, jouée avant 1483. Dans l'Errore femineo, pièce tragique du Notturno, poète napolitain, on rencontre des strophes anacréontiques, destinées sans doute à être chantées. Pendant le XVIe siècle, on employa souvent la musique dans des tragédies, des comédies et des pastorales, même en prose, mais seulement pour des intermèdes, des chœurs, et tout au plus pour quelque trait isolé dans quelque scène particulière. La musique, faite pour le Sacrificio de Beccari, pour l'Egle du Giraldi, pour plusieurs tragédies, pour l'Aminta, le Pastor Fido, etc., ne fut jamais appliquée à toute la pièce, mais seulement à quelques-unes des parties que nous venons d'indiquer.

Mais quelle fut la première pièce qu'on chanta tout entière? Lors même qu'on accorderait cet honneur à l'Orphée de Zarlino, et que l'on prouverait que les deux Pastorales, mises en musique par Emilio del Cavaliere, furent chantées entièrement, en 1590, il reste toujours à déterminer quel était le caractère de leur musique. Or, il est incontestable que ce n'était que de la musique qu'on appelait madrigalesque, et qui, appropriée à de telles pièces, leur donnait la forme d'une suite continue de madrigaux, dont la longueur faisait ressortir encore plus la monotonie d'un style traînant et désagréable. L'Anfiparnaso d'Orazio Vecchi, poète et muši

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cien, représenté à Venise avant 1597, a été regardé, par Muratori et d'autres, comme le premier opéra moderne; mais on n'y trouve pas cette déclamation notée, ce chant expressif et rapide qui constitue le caractère de la moderne mélopée. Cette découverte date de la même époque; mais l'honneur en est dû à tout autres compositeurs que ceux dont nous venons de citer les noms.

On avait déjà reconnu que la tragédie grecque était chantée tout entière. Celui des savans du xvre siècle qui avait démontré, on ne peut mieux, cette vérité, et qui détermina or devina le caractère de l'ancienne mélopée des Grecs, fut Francesco Patrizi. V. Galilei et G. Mei s'unirent au comte Bardi et à Jacopo Corsi, tous deux poètes et musiciens, pour faire des essais, d'après ce type idéal de mélodie dramatique. Le jeune poète Rinuccini, l'amant secret de Marie de Médicis, composa la Daphné; Caccini et Peri en firent la musique; et cette pastorale fut représentée à Florence, on 1594. Le succès de ce premier essai en fit aussitôt entreprendre un second; et la fable d'Euridice et Orphée fut jouée, en 1600, avec beaucoup plus d'éclat. C'est là que l'on peut reconnaître ce nouveau chant qu'on nomma représentatif ou récitatif, et que l'on aperçoit même quelques traces des airs et des duos, que l'on marqua davantage, dans l'Ariane, drame lyrique, composé par Rinuccini, mis en musique, d'après les mêmes principes, par Claudio Monteverde, et représenté à Mantoue, en 1608.

Je n'ai fait que rapprocher et indiquer les principaux objets des recherches auxquelles le comte Orloff's'est livré. On trouvera les détails dans son ouvrage, que les amateurs de l'art musical pourront lire et consulter avec un vif plaisir, et dont ce rapide extrait peut faire apprécier le caractère et le mérite. Nous ne pouvons que savoir gré au comte Orloff des soins qu'il prend pour nous intéresser à l'histoire des beauxarts en Italie.

F. SALFI.

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