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et qu'alors il ne devait obtenir, comme le poète objet de ses nobles réclamations, que les secours d'une insultante pitié.

Les Mémoires de Goldoni abondent en détails curieux, en anecdotes intéressantes. L'existence de cet écrivain fut continuellement attachée à celle des comédiens; initié dans le 'seeret de leurs petites passions, de leurs jalousies, de leurs préjugés, il les peint avec complaisance ; c'est un vieillard qui écrit, il aime à conter: historien naïf et sans prétention, il se montre tel qu'il fut, léger, inconstant, mais toujours honnête et modéré dans ses goûts; plein de cette insouciance qui est le cachet du génie, vivant au jour le jour, sans ambition, et ce qui est plus rare, sans amour-propre. Goldoni parle de lui-même avec franchise, jamais avec orgueil; il ne se pique ni de finesse, ni de politique; il avoue jusqu'aux chaînes qu'il porte; il consent à se montrer attaché à la fortune d'un entrepreneur de comédie, qui jadis avait été danseur de corde. Il travaille sous ses ordres, et, consciencieux en tout, donne toujours plus qu'il n'a promis. Ne lui demandez ni un caractère énergique, ni une noble indépendance; il ne vous entendra pas. Il a toujours vu le génie à la solde de l'opulence, et il ne suppose pas que cela puisse ou doive être autrement. Un compliment de Mesdames, tautes du roi, le transporte, et il ne conçoit rien à l'aversion de Rousseau pour les grands seigneurs. Tel est Goldoni : c'est un enfant, mais cet enfant a du génie.

Ses Mémoires offrent l'analyse de presque toutes ses pièces. La plupart étant peu connues en France, cette partie de l'ouvrage mérite de fixer l'attention des lecteurs. Les poètes comiques dont le talent se borne à rhabiller d'anciennes idées, pourront le consulter avec fruit. Le morceau littéraire qui précède l'ouvrage, est dû à la plume élégante de M. Moreau ; il présente, dans un cadre resserré, l'histoire de la comédie italienne, depuis son origine jusqu'à Goldoni.

Tels sont les Mémoires sur l'art dramatique publiés jusqu'à

le

ce jour. L'entreprise a été conduite avec une activité que succès a récompensée. Les amis de la littérature ont la confiance que cette activité ne se ralentira point: ils attendent avec impatience les Mémoires de Le Kain, avec une notice écrite par Talma. On sera curieux de voir un acteur illustre jugé par le tragédien célèbre qui a créé une école rivale de la sienne. Les Mémoires de Brandes et d'Iffland, célèbres acteurs allemands, seront publiés par M. Picard; M. Étienne nous fera connaître ceux de Molé; M. Ourry publiera les Mémoires de Préville et de Dazincourt; ceux de Mlle Dumesnil trouveront dans M. Dussault un éditeur aussi habile qu'éclairé; M. Félix Bodin publiera les Mémoires du célèbre Alfieri; M. Merle, ceux de Dhennetaire; M. Thiers, ceux de Cibber et de Kemble; la plume exercée de M. Barrière ajoutera une notice aux Mémoires de Larive. De tels noms promettent un grand intérêt à cette Collection, qui deviendra un des monumens littéraires de notre époque, et qui prouvera que notre patrie n'abandonne point, comme on semble l'en accuser, la littérature pour la politique. Nos conquêtes sociales n'ont point suspendu le cours de nos conquêtes intellectuelles; loin de se nuire, elles se prêtent un mutuel soutien. Le Français va du forum au théâtre; il applaudit tour à tour ses grands orateurs et ses grands écrivains; son génie suffit à tout; sa gloire ne s'affaiblit point en s'étendant : l'étranger trouvera la France aujourd'hui telle qu'elle fut à toutes les époques, spirituelle et brave, instruite et généreusc ; enfin, toujours digne de figurer à la tête de la civilisation européenne.

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LÉON THIESSÉ.

HISTOIRE DES BEAUX-ARTS.

ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA musique en Italie, depuis les tems les plus anciens jusqu'à nos jours; par M. GRÉGOIRE ORLOFF, sénateur de l'empire de Russie (1).

M. le comte Orloff, qui nous a donné naguère des Mémoires sur le royaume de Naples (Voyez, T. XI, p. 506), nous entretient aujourd'hui de l'Histoire de la musique en Italie. Après avoir habité ce beau pays, il semble ne pas pouvoir l'oublier; nous partageons volontiers avec lui ces doux souvenirs. C'est là, dit-il, que cet art enchanteur lui fit connaître toute sa puissance, et qu'il conçut le projet de lui rendre une espèce d'hommage, en écrivant son histoire, en esquissant le tableau de ses révolutions, et de ses progrès.

L'auteur débute par une savante Introduction, dont l'ouvrage même peut être regardé comme une espèce de commentaire. Il aborde ensuite l'histoire de la musique, en tâchant de nous donner quelque idée de celle des Grecs, des Étrusques et des anciens Romains. Mais, comme il serait inutile de s'y arrêter long-tems, après les discussions stériles et ennuyeuses de ses devanciers, il se débarrasse bientôt de ce sujet, pour entrer dans une carrière où l'on peut suivre cette histoire avec plus de profit. Il la reprend à cette époque où, privée de la faveur des dieux du paganisme, elle cherche un refuge à l'ombre de la religion des chrétiens; et suivant ses vicissitudes et ses progrès, il la montre relevée enfin par Cons

(1) Paris, 1822, 2 vol. in 8°. P. Dufart, libraire, quai Voltaire, no 19; Chassériau, libraire, rue Neuve-des-Petits-Champs, no 5.

tantin, puis réformée par saint Ambroise et par saint Grégoire, Elle ne marche cependant que plus ou moins lentement, jusqu'au 11 siècle, où le célèbre bénédictin Guido d'Arezzo inventa ou perfectionna la gamme. Dès lors, la musique prit son essor, et fit pressentir les grands avantages qu'on pourrait tirer de cette féconde invention. Les Italiens en profitèrent les premiers; et les étrangers se håtèrent d'imiter leur exemple. Ainsi l'école de Guido, développée de plus en plus, surles travaux de Marchetto, de Padoue, au XIIIe siècle, se répandit et s'établit dans toute l'Europe. On peut assigner à cette époque la fondation des écoles musicales des autres nations.

tout

par

L'auteur croit voir ces nouvelles écoles dans un état de prospérité, tandis que l'ancienne école italienne lui semble demeurer stationnaire ou rétrograde. C'est, d'ailleurs, l'opinion générale, que nous ne pouvons encore ni rejeter ni partager. Nous nous bornons à remarquer ici que, s'il est vrai que des écoles étrangères concoururent pendant quelque tems à faire sortir l'école italienne, leur mère commune, de l'état de décadence où elle était tombée au milieu du xve siècle, celle-ci acquitta bientôt et très-généreusement cette dette, que l'on a sou. vent trop exagérée. S'étant dégagée la première des entraves que la doctrine et l'autorité des anciens avaient, pour ainsi dire, consacrées, elle employa tous ses efforts pour s'ouvrir de nouvelles routes, et fit de tels progrès qu'elle obligea toutes les autres à reconnaître sa supériorité et à observer ses lois.

M. Orloff, après avoir indiqué les divers genres de musique vocale et instrumentale, inventés dans les XVIe et XVII siècles, nous ramène à ces beaux jours où cet art, purifié de la rouille des siècles précédens, brille de toute sa splendeur, principalement sur les théâtres d'Europe. Six époques semblent marquer la naissance, les progrès et le perfectionne ment de la musique théâtrale: la première est l'invention du

récitatif, sous les compositeurs Peri et Monteverde; la seconde, celle des airs, sous Cavalli et Cesti ; la troisième, celle du récitatif obligé, sous Scarlatti et Perti; la quatrième, celle de l'expression et de la vérité, portées au plus haut point de perfection, par Vinci, Porpora et Pergolese; la cinquième, celle de la force et de la profondeur, sous les plus grands maîtres de l'école d'Allemagne; et la sixième enfin, celle où Haydn et Cherubini ont introduit les effets piquans de la symphonie appelée dramatique.

Tout en parcourant ces époques, l'auteur entreprend de nous donner la biographie des auteurs qui, par leurs ouvrages didactiques, ou par leurs compositions musicales, les ont préparées, ou plus ou moins prolongées. Il semble s'éloigner de son objet, en nous donnant une idée des écoles de France, des Pays-Bas, d'Angleterre, d'Allemagne, d'Espagne. Mais pouvait-on se dispenser de faire ces excursions, depuis que la musique européenne se trouve liée, par tant de rapports, à la musique italienne? Comment se former une idée juste et complète de celle-ci, sans rechercher et indiquer l'influence qu'elle a exercée dans tout le reste de l'Europe?

En entrant dans l'école italienne, notre auteur regarde un moment, avec des yeux de pitié et d'indignation, ces voix artificielles qu'on désigne du nom de soprano. Ce n'est pas la seule fois que le despotisme et la barbarie ont cherché à multiplier les plaisirs en les dénaturant. Il est pénible de voir quelquefois la religion elle-même consacrer d'aussi criminels abus. Mais détournons les yeux de ces restes de barbarie, déshonorans pour la nation et la religion qui les tolèrent ; et consolons-nous en voyant que les Italiens eux-mêmes rẻclament, depuis long-tems, contre cet attentat de lèse-hu

manité.

L'école italienne est tellement riche en maîtres, en compositeurs, en chefs-d'œuvre de l'art, que l'on sent la néces

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