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caractère, qui soutient si dignement de nos jours la gloire de l'école française.

Nous allons tracer une esquisse fidèle duplus nouveau chefd'œuvre d'un grand maître, dont le génie sait, avec une rare habileté, concilier l'observation des préceptes les plus sublimes de son art, avec les égards dus au goût délicat de son siècle, et que les suffrages unanimes, accordés à ses ouvrages dans toute l'Europe, doivent affranchir d'inquiétude sur la durée de sa renommée.

Nous remarquons d'abord l'heureux choix de son sujet. Il n'a pu échapper à quiconque a visité, depuis un certain nombre d'années, les expositions publiques dans les principales villes où sont des établissemens consacrés aux beauxarts, combien les peintres sont embarrassés pour trouver un sujet d'un style également favorable au développement des moyens de l'art, et à la raison et au goût du siècle, qui récla– ment impérieusement l'alliance du beau avec le vrai.

Les sujets religieux paraissaient avoir été épuisés par l'élite des peintres célèbres; on les avait, en quelque sorte, frappés de défaveur; le sentiment s'en était affaibli (cette doctrine fut même, quoique sans succès, répandue en Allemagne). La Mythologie, qui avait donné naissance,à tant de chefs-d'œuvre, était devenue presque insipide, par l'abus du genre allégorique, trop souvent employé dans les derniers siècles, et qu'avait fait ressortir plus désagréablement encore le grand nombre d'Amours maniérés et de Grâces pleines d'afféterie dont quelques peintres avaient rassasié nos regards. On s'est alors jeté dans le genre positif de l'histoire ; et, vu la difficulté qu'offrait le costume prosaïque du moyen âge et des tems modernes, difficulté qui ne pouvait être vaincue que lorsqu'il s'agissait de retracer de grands événemens historiques, les hommes de goût, dans l'intérêt de l'art, donnèrent généralement

la préférence à l'histoire ancienne. Mais les peintres de beaucoup d'écoles, à la manière des rhéteurs, s'écartèrent de la bonne route, en s'imaginant que la peinture pouvait exprimer également bien toutes les actions, et même des discours et des allocutions solennelles.....

On a souvent recommandé aux peintres de s'attacher aux poètes. Mais, pour l'intelligence des épisodes qu'un poète peut fournir, il faut qu'il soit universellement connu; et, parmi les anciens, on ne peut guère attribuer cet avantage qu'aux deux princes des poètes, Homère et Virgile. Mainte littérature moderne manque d'un poète véritablement digne d'alimenter la peinture. Recourir aux poètes étrangers, a ses inconvéniens. En France, par exemple, il serait hasardeux de peindre des sujets tirés du Dante et du Tasse. Les poëmes de notre siècle, puisés dans l'état social de notre époque, et conformes à l'opinion et au sentiment de nos contemporains, les romans, veux-je dire, peuvent avoir beaucoup de mérite, sans offrir cela des traits favorables à la peinture,

pour

M. Gérard, avec ce jugement supérieur, l'un des élémens du génie, qui le caractérise, s'est emparé d'une exception qui. s'est rarement présentée. Corinne, roman traduit dans toutes les langues, lu avec avidité dans toutes les classes, livre favori de tous ceux qui voyagent en Italie, offre en effet un magnifique tableau, tracé d'une manière pittoresque, si ce n'est dans toutes ses parties, du moins dans beaucoup de scènes ; et le portrait de l'héroïne surtout présente des traits caractéristi-, ques en même tems qu'une conception tout-à-fait idéale.: Mais, dans tout l'ouvrage, à l'exception du triomphe au Capitole, aucune scène n'aurait été plus propre à la peinture que celle dont M. Gérard a fait choix : Corinne assise sur le eap Misène, exprimant, dans un chant sublime, l'inspiration dont elle est animée.

Les merveilles de la nature, les vestiges des arts de l'anti

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quité, les charmes du présent, les souvenirs du passé, qu'elle chante successivement dans son hymne, sont répandus autour de Corinne. Elle est assise sur des pierres couvertes de mousse, qu'un reste de leur ancienne forme fait reconnaître pour des ruines. Derrière le premier plan qui figure un promontoire, on aperçoit le golfe de Naples, qu'embrassent les montagnes de Sorrente, et le Vésuve exhalant une fumée bleuatre. L'action se comprend parfaitement, sans qu'on ait besoin d'avoir lu le roman. On voit Corinne inspirée, qui, ravie du spectacle magnifique qui se déploie sous ses yeux, laisse entendre sa voix, et réunit autour d'elle des auditeurs qu'elle enivre d'admiration. Le peintre s'est rigoureusement confor→ mé au récit, et il a mis à profit jusqu'à la moindre intention de l'auteur. La figure de Corinne respire à la fois une grâce enchanteresse, une expression noble et sublime. Les formes du col, des épaules et du bras sont fortement prononcées : elles annoncent la vie dans toute sa vigueur, sans cesser d'ètre féminines.

La carnation marque, à dessein, plus de chaleur encore que de délicatesse. La noblesse de la pose, le jet des draperies, l'heureux choix de la coiffure, tout enfin peint l'extase ravissante dans laquelle l'héroine est plongée. L'artiste a disposé le costume avec une finesse de conception qui ne sera jamais surpassée. On n'y remarque rien qui appartienne à la ¡ coutume ou à la mode, mais rien non plus qui puisse les choquer; de même que, dans le roman, Corinne n'appartient › pas au monde où elle est née et où elle a puisé son éduca-/ tion, mais s'élève au-dessus de lui par son génie et par son caractère. Elle est représentée avec toute l'expression de la poésie, comme une muse contemporaine, dont les vêtemens, aussi-bien que la forme de la lyre, doivent rappeler la Corinne de la Grèce, cette amie de Pindare, vouée comme lui au culte des muses.

La robe est d'un stane jannatre; le manteau, de pourpre, est relevé d'une broderie en or. Le bandeau qui entoure ses cheveux aoirs, est, ainsi que la ceinture, composé d'ane étoffe dont les nuances mobiles et dorées brillent d'un dous eciat. La chaleur du coloris contribue encore davantage à detacher avec clarte le sujet principai sur le fond du tableau. Le leu de Minspiration jaillit de toute sa personne, tandis que le jour sur son declin, le ciel charge de nuages rentermant la tempête, le cratère Tamant, et la mer agitée, semblent lui présager un avenir sombre et orageux.

Dans les traits du visage, principalement dans le regard qui s'éleve vers le cici, on ne peut méconnaitre l'idée d'une ressemblance personnelle, qui, si nous osons le dire, était prescrite au peintre, par l'attention mème des spectateurs. A la rigueur, on peut exiger d'un poete épique ou dramatique, qu'il s'oublie entièrement lui-même dans les caractères qu'il représente; mais, dans un roman tracé par le crayon poétique d'une femme, on suppose d'avance que l'auteur de Fouvrage a voulu peindre ses propres sentimens sous un nom étranger, et que, par un mystérieux mélange de fiction et de vérité, elle aura doué de ses qualités personnelles, de son imagination et de son âme, l'être ideal qu'elle s'est pin à creer.

En décrivant ce tableau. j'éprouve précisément ce qui m'ar rive lorsque je le contemple: j'ai peine à détourner mes yeux da sujet principal. Corinne est, en effet, tout le tableau. Les autres personnages ne sont qu'accessoires,et furent, à desseia, disposés (pour former un contraste) de manière à ètre sabordonnés à l'effet principal. Mais on remarque la plus grande. sagacité dans la diversité des rapports qu'ont ces personnages: avec Corinne. Oswald, le plus rapproché d'elle, parait de-. miné par une passion dont il ne peut pas bien se rendre compte à lui-même : l'œil immobile et fixé sur l'héroïne, il semble,, toutefois, péniblement absorbé dans ses pensées, Plus loin sout

denx jeunes Anglaises,qui conservent encore les grâces naïves du bel âge, non préoccupées, sensibles aux effets du génie, sans l'envier, et sans soupçonner combien il coûtera cher à celle qui le possède. Ces deux figures, semblent présager Lucile. De l'autre côté, on remarque un Anglais d'un âge mûr, homme sérieux, pensif, bienveillant sans doute, mais peu enclin à l'admiration, et qu'il n'est pas même facile d'émouvoir; puis un Albanais, d'un maintien doux et modeste, auquel il convenait peut-être de donner un caractère un peu sauvage. La paysanne qui appelle le peuple au spectacle de cette scène merveilleuse, est dans le genre de certaines compositions de Raphael.

Le Lazarone est de main de maître. Il faut avoir monté sur le Vésuve, guidé par de tels hommes, pour sentir tout le mérite de cette figure, fortement caractérisée. On dirait qu'il s'entend mieux en musique et en poésie que les auditeurs anglais; son attention est concentrée sur Corinne, son étonnement est réfléchi; toute son attitude montre comment l'expression poétique peut se manifester dans un homme vulgaire, même sans l'ennoblir moralement.

Cette figure a été ajoutée à ce qu'on pourrait appeler la seconde édition réduite que M. Gérard a faite de son grand tableau. Elle contribue à fermer et à compléter le groupe. Il eût été hasardeux, sans doute, de montrer, sur le premier plan, une figure si peu susceptible d'être ennoblie, si elle n'était point placée dans la demi-teinte, et éclairée seulement par les reflets de la lumière. Le jour sur son déclin se projette sur l'ensemble, de la manière la plus harmonieuse. Corinne et les personnages du second plan se trouvent, par-là, comme à moitié dans l'ombre vers le bas, en sorte que toute la lumière, concentrée sur la partie principale du tableau, y produit le plus admirable effet.

C'est un prince allemand (Auguste-Ferdinand, de Prusse), T. XVII.-Janv. 1823.

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