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empêcher que l'œil du spectateur ne puisse sortir du tableau, car alors l'illusion disparaîtrait; il aurait une peinture sous les yeux, mais il ne se croirait plus dans un monument, ou à une fenêtre donnant sur la campagne. Ces deux tableaux, qui ont quatre-vingts pieds de large sur quarante-cinq pieds de haut, sont pon-seulement éclairés du baut, comme les panoramas, mais encore de côté, à ce qu'il m'a paru. L'exécution en est parfait c. A la vue de la chapelle de la Trinité, on éprouve un étonnement qu'il serait difficile d'exprimer : c'est la nature, c'est-à-dire, le monument lui-même, qu'on a sous les yeux. En fin, les effets de la lumière qui se joue au milieu de ces grands arceaux, sont rendus avec tant de vérité, la perspective est si exacte, que chaque fois que j'y ai été, j'ai fini par oublier que j'étais devant un tableau. L'auteur, M. Bouton, si connu dans l'école par ses intérieurs, a supposé que des ouvriers sont occupés à raccommoder les marches placées à l'entrée de cette chapelle; mais l'heure de la suspension du travail est arrivée, et deux d'entre eux, couchés et endormis sur ces mêmes marches, servent tout à la fois à donner une idée exacte de la dimension du monument et à compléter l'illusion.

La vue de Sarnen offre une plus grande variété d'effets. Le premier aspect indique un beau jour; la lumière du soleil argente les flots du lac placé au milieu de cette vallée, et fait briller la neige qui couvre le sommet de l'une des montagnes formant le fond du tableau: bientôt, des, nuages obscurcissent le ciel,, le jour est plus sombre, le lac perd son éclat, la montagne couverte de neige cesse de briller. Mais ces nuages, s'entr'ouvrent, et le soleil distribue successivement sa vive lumière sur chacun des objets placés dans cet admirable paysage. A droite et près du spectateur, un ruisseau, venant du lac, forme, en suivant une pente assez sensible, une sorte de petite cascade dont les mouvemens et l'effet sont reproduits par une mécanique. Le diorama a attiré et attire encore la foule, et puisque les auteurs promettent de changer leurs tableaux tous les trois mois, ils peuvent compter sur l'empressement du public. Qu'ils me permettent, en finissant, d'exprimer un vou. La France contient de beaux édifices, elle offre une variété admirable de beaux aspects; c'est aux, Français, que ces deux artistes destinent le fruit de leurs travaux ; ils sont eux-mêmes Français. Il semble donc qu'un juste orgueil de la patrie doiye les engager à mettre sous nos yeux ce qui l'embellit. Je dirai plus : c'est qu'en supposant que leurs tableaux soient destinés à voyager en Europe, les objets qu'ils représenteront, s'ils appartiennent à la France, augmenteront la curiosité: ce beau nom de France n'est pas encore dépouillé de toute magie.

-Sculpture. Les arts se mêlent à tous les triomphes pour en augmenter l'éclat et en perpétuer le souvenir ; c'est eux que la patrie reconnaissante charge d'élever des monumens aux grands hommes qui l'ont servie et qu'elle s'honore d'avoir produits, et aux souverains qui ont illustré fleurTM règne. A ce titre, Louis XIV méritait, sans doute, qu'on lui élevât une statue. Protecteur généreux et éclairé du talent et du génie, digné en tout des destinées de la France, et grand jusqué dans ses revers, il a mérité par ses grandes qualités de donner son nom au siècle qui l'â vu naître. Ce n'est pas qu'une philosophic éclairée ne puisse lui faire de graves reproches: la révocation de l'édit de Nantes, l'incendie du Pałatinat, sont des fautes ineffaçables; mais quelles sont les destinées humaines qui n'aient éprouvé des revers ou mérité des reproches? Au reste, ce que la postérité honore dans Louis XIV, c'est ce qu'il y a de vraiment digne d'éloges; le resté est la part de l'humanité. Ce fut du vivant même de ce prince qu'un simple particulier, le maréchal duc de La Feuillade, entreprit de lui élever le monument qui a été renversé le’ 10 août 1792. Pour parvenir à ce but, il fallut acheter les terrains qui forment aujourd'hui la place des Victoires; cette place fut bâtie par Mansard, aux frais de la ville de Paris, et le monument fut inauguré le 28 mars 1686. C'était une figure pédestre, vêtue des habits royaux,' et foulant aux pieds un cerbère. Une victoire ailée, un pied posé sur un globe, mettait d'une main une couronne de laurier ́sur la tête du prince, et tenait de l'autre un faisceau de palmes et de branches ́d'olivier. Ce groupe monumental, exécuté par Desjardins, était de plomb doré. Aux angles du piédestal étaient quatre figures en bronze, de douze pieds, représentant des esclaves chargés de chaînes. Ces figures sont aujourd'hui placées en avant de la façade de l'hôtel des Invalides; mais les chaînes ont disparu. La hauteur totale de de monument était de trente-cinq pieds. On se rappelle que ces figures d'esclaves chargés de chaînes, et les inscriptions placées sur le piédestal, excitèrent des murmures et des plaintes chez les nations étrangères; le nouveau monument, dont l'exécution a été confiée à M. Bosto, membre de l'Institut, a été conçu dans un système plus conforme à l'esprit du tems, et aux égards que les nations se doivent entre elles. C'est une statue équestre en bronze. Louis XIV, vêtu en empereur romain, la têté ceinte d'une couronne de laurier, est monté sur un cheval qui se cabre; d'une main il tient le bâton de commandement, et de l'autre la bride du cheval. L'aspect principal de ce monument est du côté de la rue Neuvedes-Petits-Champs; il a beaucoup de grandeur et de hardiesse, et il n'y a qu'un homme d'un véritable talent qui ait pu concevoir et exécutes

une semblable pensée. Mais il y a toujours des inconvéniens, que celui qui sort le premier de la route tracée ne peut éviter, et je vais les indiquer sans prétendre en faire des sujets de reproches pour l'artiste ha bile à qui l'on doit cette nouvelle production. Si l'on se place devant la statue, il est évident que, puisque le cheval, déjà élevé de 10 à 12 pieds au-dessus du sol, se cabre et s'élève, il doit dérober entièrement au spectateur la vue du cavalier, et tout le dessous du corps de l'animal doit se développer d'une manière désagréable; c'est ce qui a effective- · ment lieu. La vue prolongée d'une pose, d'un mouvement, qui dans la nature ne sont et ne peuvent être qu'instantanés, à d'ailleurs quelque chose de fatigant. Il semble que l'art statuaire doive, dans des monumens semblables surtout, adopter des poses plus tranquilles. Le parti adopté par M. Bosio a exigé un sacrifice qu'il est impossible de ne pas apercevoir. Il fallait trouver un moyen de contre-balancer l'effort du poids de la partie antérieure du groape, et de la soutenir en l'air sans danger. Pour y parvenir, le sculpteur a été obligé de sacrifier le véri-table mouvement de la queue, et au lieu d'être à peu près horizontale, ' ainsi que cela à lieu chez les chevaux qui s'emportént, qui se cabrent, elle s'abaisse promptement, et vient s'accrocher au piédestal. Pour dissimuler cet expédient, il a fallu donner à l'extrémité de la queue une ampleur considérable et qui n'est pas naturelle. Au reste, la hardiesse du mouvement du cheval en fera peut-être disparaître les inconvéniens aux yeux de bien des personnes ; j'avoue que je ne suis pas du nombre. Je pourrais ajouter quelques critiques de détail relatives à l'exécution, mais elles sont peu importantes, et j'aime mieux terminer par un éloge que je crois mérité : c'est que M. Bosio a donné, dans l'ensemble de ce monument, une nouvelle preuve d'un talent très-remarquable; et que le roi a justement récompensé, en donnant à cet artiste le titre de son premier sculpteur.

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La statue équestre d'Henri IV, par M. Lemot, avait été fondue d'un“ seul jet; celle de Louis XIV a été fondue en trois parties. Les jambes de derrière du cheval, sur lesquelles repose tout le poids de la statue,' sont en fer corroyé, et l'armature intérieure est en fer forgé. P. A. · NECROLOGIE Duchesne, M. Henri Gabriel Duchesne, conseiller › référendaire honoraire à la cour des comptes, membre émérité de la Société philomatique de Paris, est mort le 20 décembro 1822, à l'âge de près de 84 ans. Ce respectable vieillard a cultivé les sciences avec succès; il est auteur de plusieurs ouvrages estimés sur l'histoire natu→ relle. M. Duchesne avait été, avant la révolution, archiviste du clergé de

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France, et c'est en cette qualité qu'il a rédigé, depuis 1774 jusqu'en 1789, le recueil intitulé la France ecclésiastique. Nous empruntcroas au discours prononcé sur sa tombe, par M. Alphonse Taillandier, quelques détails sur les ouvrages de M. Duchesne. Dès sa jeunesse, M. Duchesne cultiva les sciences. Il tourna ses regards vers la nature, et entreprit de mettre ses admirables secrets à la portée de tous, en publiant un ouvrage élémentaire qui pût faciliter l'étude des phénomènes qui nous environnent; c'est sous les auspices de l'illustre Buffon qu'il publia son Manúel du naturaliste. Plus tard, agrandissant le cercle de ses recherches et de ses travaux, il donna au public un dictionnaire dans lequel il rassembla les principes des sciences physiques et naturelles, et ceux des arts qui sont consacrés à l'utilité et à l'amusement des hommes. Vous dire que cet ouvrage important eut plusieurs éditions, suffira pour vous attester le mérite d'une production destinée à populariser, pour ainsi dire, les différentes branches des connaissances humaines. La littérature reçut aussi les hommages de M. Duchesne: il sacrifia aux muses; elles daignèrent quelquefois lui sourire, et c'est dans ces momens d'inspiration qu'il entreprit une traduction en vers de trois des comédies de Térence. Il fit paraître, en 1806, le recueil des six comédies de ce célèbre poète latin, ayant ajouté à celles dont il était le traducteur, les trois dont la traduction était due à La Fontaine et à Baron. Enfin, pour couronner une vie si pleine de travaux utiles, M. Duchesne entreprit une tâche qui, par l'immensité de son étendue et les difficultés qu'elle offrait, aurait été susceptible d'effrayer même ces savans religieux qui ont profité du silence et de la solitude des cloîtres, pour donner à la France ces grandes collections qui nous sont enviées par les littératures étrangères. M. Duchesne consacra les douze dernières années de sa vie à faire une analyse complète de tous les ouvrages du P. Kircher, c'est-à-dire, de l'un des plus laborieux savans qui aient existé. Pour vous donner une idée du courage qu'il fallut à M. Duchesne pour entreprendre une semblable tâche, je dois vous rappeler que le P. Kircher a laissé, 22 vol. in-fo, 11 vol. in-4° et 3 in-8°. La plupart de ces ouvrages sont consacrés à presque toutes les branches des connaissances humaines, à la physique, à la géographie, à l'archéologie. M. Duchesne les a tous lus et examinés avec le plus grand soin; il en a élagué les inutilités et les redites, fruits d'une trop verbeuse érudition. Son Extrait des ouvrages du P. Kircher est renfermé dans deux forts volumes in-fo manuscrits; et sans doute, si un jour ils sont rendus

publics, ils feront apprécier l'homme modeste auquel nous adressons nos derniers adieux, qui cultiva les sciences pour lui-même, et sans aspirer à une réputation qu'il était en droit d'obtenir.»

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- Pommereut. Une nouvelle édition du Manuel d'Épictėte, par M. de Pommereul, venait de sortir des presses de M. Didot, lorsque le savant auquel nous la devons terminait sa carrière. Qu'il soit permis de répandre quelques fleurs sur la tombe d'un citoyen de la république des lettres, même dans le pays où sa vieillesse eut à supporter la proscription! Né à Fougères (département d'Ille-et-Vilaine), le 11 décembre 1745, M. de Pommereul entra fort jeune dans l'artillerie, et s'y distingua par▾ l'étendue et la variété de ses connaissances. En 1779, il fit paraître une Histoire de Corse, où le philosophe se fait autant remarquer que le judicieux historien. En 1783, il publia l'un de ces écrits qui auraient dû révéler au gouvernement d'alors la disposition des esprits et les approches d'une crise politique; cet ouvrage est intitulé: Recherches sur l'origine de l'esclavage religieux et politique du peuple en France. Cette année fut l'époque des plus grandes occupations littéraires de M. de Pommereul : car il publia, d'abord, une première édition du Manuel d'Epictète; ensuite, ses Étrennes au Clergé de France. Ces étrennes n'étaient point flatteuses; elles déplurent au clergé. En 1789, M. de Pommereul fut occupé de travaux fort étrangers à la littérature: il fut chargé d'aller organiser l'artillerie napolitaine. La révolution éclata : l'auteur des Recherches sur l'esclavage du peuple demeura fidèle à la cause de ce peuple, la défendit par son courage et par ses tálens, et l'honora par ses vertus. Sa mémoire est vénérée dans tous les lieux où il a rempli des fonctions importantes. En 1815, son nom fut porté sur la liste du 24 juillet, et chacun s'en étonna. Pour attribuer quelque motif à une proscription qui paraissait tout-à-fait gratuite, il fallut rappeler le souvenir des Étrennes au Clergé. Le vieillard subit l'exil, et sur une terre devenue étrangère, mais qui ne refusait point l'hospitalité aux Français, il cultiva les lettres comme dans sa jeunesse, traduisit des poètes anciens et modernes, et rédigea un Essai sur l'Histoire de l'Architecture. Ramené en France à une époque où les proscriptions commençaient à tomber en désuétude, ses occupations furent à Paris ce qu'elles étaient sur la terre d'exil, des recherches littéraires. C'est aux travaux de M. de Pommereul que nous sommes redevables de la publication de plusieurs lettres de Voltaire, qui manquaient aux éditions les plus complètes des œuvres du philosophe de Ferney. On pense bien qu'après une telle vie la mort est un doux repos, et le commencement d'une existence plus heureuse. Cet homme de bien

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