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NOTES

SUR

L'ÉLOGE DE DESCARTES*.

(1) Pagé 11.

René Descartes, seigneur du Perron, dont on fait ici l'éloge, naquit à La Haye en Touraine le 30 mars 1596, de Jeanne Brochard, fille d'un lieutenant-général de Poitiers, et de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Bretagne, dont il fut le troisième fils. Sa maison étoit une des plus anciennes de la Touraine. Il avoit eu dans sa famille un archevêque de Tours, et plusieurs braves gentilshommes qui avoient servi avec distinction... Son père, soit par goût, soit par raison de fortune, entra dans la robe... Depuis que le père de Descartes se fut établi à Rennes, ses descendants y ont toujours demeuré. On en compte six qui ont occupé avec distinction des charges dans le parlement de Bretagne. Madame la présidente de Châteaugiron, dernière de la famille, vient de mourir. On dit qu'elle avoit dans son caractère plusieurs traits de ressemblance avec Descartes. Il y a eu aussi une Catherine Descartes, nièce du philosophe, célèbre par son esprit, et Ipar son talent les vers agréables. Elle est morte en 1706.

pour

* Nous réimprimons ici les notes de l'Éloge de Descartes, supprimant celles que remplit une philosophie commune et déclamatoire, et, dans presque toutes, les traits de mauvais goût qui s'y rencontrent fréquemment. Nous avons scrupuleusement conservé toute la partie biographique, propre à bien faire connoître le caractère, les habitudes et toute la carrière de Descartes.

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Descartes étoit né avec une complexion très foible, et les médecins ne manquèrent pas de dire qu'il mourroit très jeune; cependant il les trompa au moins d'une quarantaine d'années. Ayant perdu sa mère presque en naissant, il fut très redevable aux soins d'une nourrice, qui suppléa à la nature par tous les soins de la tendresse. Descartes en fut très reconnoissant; il lui fit une pension viagère qui lui fut payée exactement jusqu'à la mort; et, comme il n'étoit pas de ceux qui croient que l'argent acquitte tout, il joignoit encore à ces bienfaits les devoirs et l'attachement d'un fils. Son père ne voulut point fatiguer des organes encore foibles par des études prématurées; il lui donna le temps de croître et de se fortifier. Mais l'esprit de Descartes alloit au-devant des instructions. Il n'avoit pas encore huit ans, et déjà on l'appeloit le philosophe. Il demandoit les causes et les effets de tout, et savoit ne pas entendre ce qui ne signifioit rien. En 1604, il fut mis au college de La Flèche. Son imagination vive et ardente fut la première faculté de son âme qui se déploya. Il cultiva la poésie avec transport... Ce goût de la poésie lui demeura toujours, et peu de temps avant sa mort il fit des vers français à la cour de Suède. C'est une ressemblance qu'il eut avec Platon, et que Leibnitz eut avec lui. Il aimoit aussi beaucoup l'histoire, et passoit les jours et les nuits à lire; mais cette passion ne devoit pas durer long-temps... Il étoit encore à La Flèche en 1610, lorsque le cœur du plus grand et du meilleur des rois, assassiné dans Paris, y fut porté pour être déposé dans la chapelle des jésuites. Il fut témoin de cette pompe cruelle, et nommé parmi les vingtquatre gentilshommes qui allèrent au-devant de ce triste dépôt. Il étudioit alors en philosophie. Il y fit des progrès qui annoncèrent son génie; car, au lieu d'apprendre, il doutoit. La logique de ses maîtres lui parut chargée d'une foule de préceptes ou inutiles ou dangereux; il s'occupoit à

l'en séparer, comme le statuaire, dit-il lui-même, travaille à tirer une Minerve d'un bloc de marbre qui est informe. Leur métaphysique le révoltoit par la barbarie des mots et le vide des idées; leur physique par l'obscurité du jargon et par la fureur d'expliquer tout ce qu'elle n'expliquoit pas. Les mathématiques seules le satisfirent; il y trouva l'évidence qu'il cherchoit partout. Il s'y livra en homme qui avoit besoin de connoître. Quelques auteurs prétendent qu'il inventa, étant encore au collége, sa fameuse analyse. Ce seroit un prodige bien plus étonnant que celui de Newton, qui à vingtcinq ans avoit trouvé le calcul de l'infini. Quoi qu'il en soit de cette particularité, Descartes finit ses études en 1612. Le fruit ordinaire de ces premières études est de s'imaginer șavoir beaucoup. Descartes étoit déjà assez avancé pour voir qu'il ne savoit rien. En se comparant avec tous ceux qu'on nommoit savants, il apprit à mépriser ce nom. De là au mépris des sciences il n'y a qu'un pas. Il oublia donc et les lettres, et les livres, et l'étude; et celui qui devoit créer la philosophie en Europe renonça pendant quelque temps à toute espèce de connoissance. Voilà à peu près tout ce que nous savons des premières années de Descartes...

(3) PAGE 12.

Il étoit impossible que Descartes demeurât dans l'inaction. Il faut un aliment pour les âmes ardentes. Dès qu'il eut renoncé aux livres, il s'abandonna aux plaisirs? En 1614 il fit à Paris l'essai d'une liberté dangereuse; mais son génie le ramena bientôt. Tout-à-coup il rompt avec ses amis et ses connoissances; il loue une petite maison dans un quartier désert du faubourg Saint-Germain, s'y enferme avec un ou deux domestiques, n'avertit personne de sa retraite, et y passe les années 1615 et 1616 appliqué à l'étude, et inconnu presque à toute la terre. Ce ne fut qu'au bout de plus de deux ans qu'un ami le rencontra par hasard dans une rue écartée, s'obstina à le poursuivre jusque chez lui, et le rentraîna

enfin dans le monde. On peut juger par ce seul trait du caractère de Descartes, et de la passion que lui inspiroit l'étude...

(4) PAGE 13.

Descartes avoit vingt-un ans lorsqu'il sortit de France pour la première fois : c'étoit en 1617. Il alla d'abord en Hollande, où il demeura deux ans; ce dut être pour lui un spectacle curieux, qu'un pays où tout commençoit à naître, et où tout étoit l'ouvrage de la liberté. Mais s'il Ꭹ vit un terrain nouveau-créé pour ainsi dire, et arraché à la mer, s'il vit le spectacle magnifique des canaux, des digues, du commerce et des villes de la Hollande, il fut aussi témoin des querelles sanglantes des gomaristes et des arminiens. On sait comment l'ambition du prince d'Orange voulut faire servir ces guerres de religion à sa grandeur. Barnevelt, âgé de soixante-seize ans, fut condamné, et mourut sur l'échafaud, pour avoir voulu garantir son pays du despotisme. Ce furent là les premiers mémoires que l'Europe fournit à Descartes pour la connoissance de l'esprit humain. En 1619 il passa en Allemagne. Quelques années plus tôt, il y auroit vu ce Rodolphe qui conversoit avec Tycho-Brahé au lieu de travailler avec ses ministres, et faisoit avec Kepler des tables astronomiques tandis que les Turcs ravageoient ses états. Il vit couronner à Francfort Ferdinand II; et il paroît qu'il observa avec curiosité toutes ces cérémonies, ou politiques, ou sacrées, qui rendent plus imposant aux yeux des peuples le maître qui doit les gouverner. Ce couronnement fut le signal de la fameuse guerre de trente ans. Descartes passa les années 1619et 1620 en Bavière, dans la Souabe, dans l'Autriche et dans la Bohême. En 1621 il fut en Hongrie ; il parcourut la Moravie, la Silésie, pénétra dans le nord de l'Allemagne, alla en Poméranie par les extrémités de la Pologne, visita toutes les côtes de la mer Baltique, remonta de Stettin dans la Marche de Brandebourg, passa au duché de Meckelbourg, et de là dans le Holstein, et enfin s'embarqua sur l'Elbe, d'où il retourna

en Hollande. Il fut sur le point de périr dans ce trajet. Pour être plus libre, il avoit pris à Embden un bateau pour lui seul et son valet. Les mariniers, à qui son air doux et tranquille et sa petite taille n'en imposoient pas apparemment beaucoup, formèrent le complot de le tuer, afin de profiter de ses dépouilles. Comme ils ne se doutoient pas qu'il entendît leur langue, ils eurent l'heureuse imprudence de tenir conseil devant lui; par bonheur Descartes savoit le hollandais: il se lève tout-à-coup, change de contenance, tire l'épée avec fierté, et menace de percer le premier qui oseroit approcher. Cette heureuse audace les intimida, et Descartes fut sauvé... Quatre ou cinq mariniers de la West-Frise pensèrent disposer de celui qui devoit faire la révolution de l'esprit humain... Descartes passa la fin de 1621 et les premiers mois de 1622 à La Haye. C'est là qu'il vit cet électeur palatin qui, pour avoir été couronné roi, étoit devenu le plus malheureux des hommes. Il passoit sa vie à solliciter des secours et à perdre des batailles. La princesse Élisabeth sa fille, que sa liaison avec Descartes rendit depuis si fameuse, avoit alors tout au plus trois ou quatre ans. Elle étoit errante avec sa mère, et partageoit des maux qu'elle ne sentoit pas encore. La même année Descartes traversa les Pays-Bas espagnols, et s'arrêta à la cour de Bruxelles. La trève entre l'Espagne et la Hollande étoit rompue. Il y vit l'infante Isabelle, qui, sous un habit de religieuse, gouvernoit dix provinces, et signoit des ordres pour livrer des batailles, à peu près comme on vit Ximenes gouverner l'Espagne, l'Amérique et les Indes, sous un habit de cordelier... En 1623 il fit le voyage d'Italie; il traversa la Suisse, où il observa plus la nature que les hommes; s'arrêta quelque temps dans la Valteline; vit à Venise le mariage du doge avec la mer Adriatique... et arriva enfin à Rome sur la fin de 1624. Il y fut témoin d'un jubilé qui attiroit une quantité prodigieuse de peuple de tous les bouts de l'Europe. Ce mélange de tant de nations différentes étoit un spectacle intéressant pour un philosophe. Descartes y donna

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