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» faire des réflexions qui, jointes aux leurs, pourront avoir l'effet qu'ils peuvent souhaiter

(4).

Mais, c'est là un fait isolé ; et, d'ailleurs, la façon dont l'on répond montre qu'il s'agi¿ plutôt d'un échange de politesses que d'une résolution active à prendre en commun.

Telle est la rapide ébauche d'une histoire de la Chambre de commerce de Toulouse, au dix-huitième siècle. J'ai simplement entr'ouvert devant l'Académie quelques-uns des documents à l'aide desquels cette histoire pourrait être écrite. Je serais heureux que ce premier effort en amenât d'autres plus complets et plus fructueux.

(1) 2e registre, page 78, 15 janvier 1724.

LA TORTURE

ÉTUDE HISTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE

Par M. VICTOR MOLINIER (4).

Je connais la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise les esprits, et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement.

La question est une invention merveilleuse et tout-à-fait sure pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste.

LABRUYÈRE.

Les caractères, chap. XIV.

Il est dans les lois des nations des choses qui sont généralement condamnées et qui, cependant, se maintiennent, se reproduisent, mème après qu'elles ont été abolies, et qui ne disparaissent définitivement que lorsqu'après avoir entièrement cessé d'exister dans le champ des idées, elles ne trouvent plus aucun appui dans les mœurs. C'est ce qu'on peut constater par rapport à cette institution barbare qui prescrivait de faire subir des tourments atroces à des accusés, pour leur arracher des a veux propres à compléter des preuves que leurs juges trouvaient insuffisantes, et pour les forcer à procurer eux-mêmes, à la justice, les éléments de preuve qui manquaient et qui étaient nécessaires pour qu'ils pussent être envoyés à la

mort.

Considérée pendant des siècles comme un procédé inhumain, plus propre à égarer la justice qu'à la diriger dans des voies

Lue à la séance du 2 janvier 1879.

sûres, la torture était hautement condamnée par les jurisconsultes les plus éclairés et par les philosophes (1); et cependant on torturait toujours rudement et avec une persistance qui manifestait un aveuglement acharné!

(1) Les Grecs et les Romains se servirent de la torture largement et en employant, pour la faire subir, les procédés les plus cruels. VALÈRE-MAXIME rapporte, dans ses faits et paroles mémorables, qu'un esclave fut torturé jusqu'à huit fois sans qu'on pût obtenir de lui des révélations compromettantes pour son maître (lib vш, cap. iv, de Quæstionibus). Il mentionne aussi la constance d'un jeune esclave soumis à la torture à l'occasion d'une accusation d'inceste intentée contre son maître : « Plurimis enim laceratus verberibus, equuleo impositus, candentibus etiam luminis ustus, omnem vim accusationis, custodita rei salute subvertit. » (Lib. vi, cap. vIII.)

Les Romains torturaient non seulement les accusés, ils torturaient aussi les esclaves dont le témoignage était produit en justice, car ils admettaient en principe que leurs dépositions ne pouvaient avoir de valeur qu'autant qu'ils les soutenaient au sein des tourments. On a sur ce triste sujet les dispositions du liv. xLvm, tit. XVIII de Quæstionibus des Pandectes de Justinien, et celles du liv. ix, tit. xxi de son code. On a dans Sigonius (de judiciis romanorum, Libri 111) la description des appareils dont se servaient les Romains comme instruments de torture, et des détails, à ce sujet, sur les institutions des Grecs et des Romains.

Les jurisconsultes romains, chez lesquels on rencontre une logique éclairée par la raison, luttaient avec la loi écrite pour en établir l'application dans les conditions les plus propres à la concilier avec la justice et l'équité naturelle. On les voit exprimer des doutes sur ce que peut fournir d'utile la torture qu'ils considèrent même comme une chose pleine de périls ULPIEN, préfet du Prétoire sous Alexandre-Sévère, s'exprime, à ce sujet, ainsi : « Etenim (quæstio) res est fragilis et periculosa, et quæ veritatem fallat. Nam plerique patientia sive duritia tormentorum ita tormenta contemnunt, ut exprimi eis veritas nullo modo possit: alii tanta sunt impatientia, ut in quovis mentiri, quam pati tormenta velint. Ita fit, ut etiam vario modo fateantur, ut non tantum se, verumetiam alios, comminentur. » (Frag. 1, § 23. D. de Quæstionibus).

Quant à ce qui concerne l'époque moderne, il serait trop long de donner des détails sur tout ce qui a été écrit contre l'emploi de la torture, nous nous bornerons à l'indication de quelques-uns des principaux travaux.

Mettons en tête l'ouvrage de GRÉVIUs, ministre arminien, déposé, banni, et condamné, pour rupture de son ban, à une prison perpétuelle. On le fit évader et il avait composé, pendant sa captivité, un livre contre l'emploi de la question, sous ce titre : TRIBUNAL KEFORMATUM in quo sanioris et tutioris justitiæ via judici christiano in processu criminali commonstratur REJECTA ET FUGAI A TORTURA, cujus iniquitatem multiplicem, fallaciam atque illicitum inter christianos usum, libera et necessaria dissertatione aperuit JOHANN. GREVIUS, clivensis, quam captivus scripsit in ergastulo Amsterodamensi: ob raritatem, elegantiam et varium usum recusa, accurante Jo. Georg. PERTSCH, Icto. Guelpherbyti (Wolfenbuttel), 1737, in-12, 360 p. - D'après Bayle, l'ouvrage de Grevius aurait été publié, pour la première fois, à Hambourg en 1624. Si la torture est un moyen seur à vérifier les crimes secrets; dissertation morale et juridique par laquelle il est amplement traité des abus qui se commettent par tout en 8e SÉRIE. 29 TOME 1, 2.

Il y a plus, des actes de l'autorité donnant enfin satisfaction. à ce qui était dans les idées, venaient-ils à abolir cette institution depuis longtemps condamnée, on refusait de se soumettre à la loi, ou lorsqu'on ne la méconnaissait pas ouvertement,

l'instruction des procès criminels, et particulièrement en la recherche du sortilège, par Mre AUGUSTIN NICOLAS, Conseiller du Roy, et Maistre des requestes ordinaire de son hostel au Parlement de la Franche-Comté de Bourgogne. Amsterdam, 1684, in-12, 232 p.

L'impératrice de Russie, Catherine II, s'associant aux idées qui étaient celles des philosophes et des publicistes de son époque, rédigea, dit-on, elle-même, des instructions pour la confection d'un code, dans lesquelles on trouve souvent l'expression presque littérale de ce qui est dans le célèbre traité des délits et des peines de Beccaria. Le chapitre X de ces instructions concerne la forme de la justice criminelle. L'impératrice y examine si la question est juste el si elle conduit au but que se proposent les lois. La réponse est la condamnation de la torture dans des termes qui se font remarquer par la netteté et par la force logique des raisons qui doivent faire proscrire l'emploi de ce procédé barbare. L'œuvre de l'impératrice Catherine II fut traduite et publiée en français à Lausanne en 1769, en vol in-12 de 160 pages. On l'a aussi au 3e volume, p. 92, du Recueil publié par BRISSOT DE WARVILLE, Sous le titre de Bibliothèque philosophique du législateur. Paris, 1782-1785, 10 vol. in-8°. L'impératrice d'Autriche, Marie-Thérèse, avait fait publier dans ses Etats un Code criminel qui consacrait l'usage de la torture et qui était même accompagné de vignettes en taille-douce représentant les procédés à employer pour la faire subir. Sonnenfels, professeur d'économie politique à l'Université de Vienne, dont les idées étaient celles des philosophes de son époque, attaqua l'emploi de la question dans ses leçons et exposa des doctrines qui déplurent aux ministres et au sujet desquelles l'impératrice elle-même lui adressa des observations. Le hardi professeur voulut défendre une cause qui lui paraissait juste; il supplia sa souveraine d'apprécier par elle-même les raisons qu'il exposerait dans un Mémoire contre l'emploi de la torture. Après avoir pris connaissance de cet écrit, l'Impératrice se rangea à son avis et, sans changer les dispositions de la loi, fit donner aux magistrats des ordres à suite desquels ils durent ne plus user, pour l'instruction des affaires criminelles, de ce procédé barbare Le mémoire de Sonnefels a été traduit en français et inséré dans la Bibliothèque philosophique du législateur de BRISSOT DE Warville au t. iv, page 197.

En Italie, Pierre Verri, en retraçant cette affreuse peste qui dépeupla le Milanais en 1630 et que Manzoni a décrite d'uue manière si saisissante dans son roman des Fiancés, montre, au sein de ce fléau, la superstition s'emparant des esprits et leur persuadant d'imputer le mal à des poisons méchamment répandus et à un art infernal qui, en étendant des onguents malfaisants sur les portes des maisons, répand partout la contagion et communique la peste. Bientôt les préjugés populaires répandent des soupçons et imposent aux magistrats des poursuites criminelles contre des person nages auxquels sont imputés des crimes imaginaires. Pierre Verri, en consultant et en produisant les procédures relatives à ces imputations bizarres, montre la torture en action redoublant ses rigueurs envers des malheureux auxquels elle finit par arracher des aveux par rapport à des choses impossibles.

Après ces descriptions hideuses, tracées à l'aide de documents authentiques. Pierre

on s'ingéniait pour arriver à reproduire, sous un autre nom, ce qui avait été aboli. C'est ainsi qu'à la fin du dix-huitième siècle la torture avait disparu nominalement des lois criminelles de plusieurs Etats de l'Europe; mais au sein même de notre siècle, dans des temps peu éloignés de nous, apparaitra ce qu'on appellera la peine de la désobéissance. En se rattachant à cette idée, très contestable, qu'il y a obligation pour un accusé de déclarer la vérité lorsqu'il est interrogé par la justice, dut-il, en la disant, se faire condamner; si cet accusé est surpris en état de mensonge, s'il ne répond pas d'une manière pertinente à ses juges, s'il se renferme dans des subterfuges, on le considérera comme coupable de désobéissance envers la justice, on lui fera subir, pour l'en punir, un châtiment corporel, on l'isolera dans un cachot, on l'y soumettra à un régime rigoureux, jusqu'à ce que sa désobéissance ait cessé et qu'on obtienne de lui des déclarations satisfaisantes. N'est-ce pas là la torture? Le nom, il est vrai, n'existe plus, mais le procédé n'a pas cessé d'exister.

Si nous venons donc vous entretenir de choses si tristes, c'est parce qu'il y a là des faits historiques qu'il est intéressant de rappeler, c'est parce que les souvenirs du passé peuvent encore fournir, sur ce sujet, des enseignements pour les temps présents.

Je vais donc montrer en action la torture et ce qui l'a rem

Verri se demande si la torture n'est pas un supplice atroce propre à compromettre l'innocence, à servir d'instrumen! à des passions aveugles, et à égarer la justice. La conclusion s'induit facilement des faits qu'il retrace et la forme dramatique de l'œuvre de Pierre Verri, lui procura des lecteurs nombreux auxquels l'emploi de la torture n'inspira plus qu'une profonde répulsion; cette institution barbare fut dès lors discréditée.

Manzoni, le célèbre poète et écrivain, reprit plus tard l'œuvre de Pierre Verri en retraçant l'histoire d'une colonne d'infamie élevée, sous l'impulsion des passions aveugles du peuple, sur les débris de l'habitation de l'une des plus notables victimes, torturée et sacrifiée sous la pression populaire qui pendant cette peste aveuglait la justice. Une édition élégante de l'œuvre de Manzoni et de celle de Pierre Verri a été, de nos jours, publiée sous ce titre : Storia della colonna infame di ALESSANDRO MANZONI, edizione alla quale furono aggiunte, come appendice, le osservazioni sulla tortura di PIETRO VERRI. Parigi, 1843, in-18, 367 p.

Donnons un souvenir, pour les révérer, à ceux qui ont combattu avec persistance des préjugés barbares et qui sont parvenus à les faire disparaître.

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