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LA

CHAMBRE DE COMMERCE A TOULOUSE

AU XVIII SIÈCLE

Par M. Henri ROZY (1).

Le commerce a souvent manqué d'historiens. Est-ce qu'il n'aurait pas d'histoire, comme on l'a dit, sous forme de souhait, des peuples trop heureux? Personne ne le soutiendra.

Sans doute, son rôle se réduit à celui de voiturier de produits; et il est rationnel qu'on le place au dessous de l'industrie qui, elle, crée ou aménage les objets destinés à satisfaire les besoins. Mais, ne nous y trompons point. Pour transporter des produits, au moment où ils sont utiles, pour triompher des obstacles_matériels ou légaux qui opposent des entraves à ce mouvement de circulation, il faut souvent dépenser de sérieux efforts d'intelligence et introduire dans le monde plusieurs principes d'un ordre élevé, même quand ils n'ont pas d'autre champ d'application que le terrain purement commercial. D'ailleurs, si le commerce ne crée point de produits, il crée des richesses; car, en général, l'objet transporté vaut plus au lieu de la consommation que dans celui de la production. Enfin, n'est-il pas arrivé souvent que, même tout à fait en dehors de la pratique commerciale, des idées fécondes, des conceptions morales, politiques, économiques, ont accompagné dans leurs voyages les produits que l'on faisait marcher? Le voiturier de la matière a plus d'une fois été aussi le voiturier de la pensée.

(1) Lue à la séance du 24 avril 1879.

Pourquoi donc de si nombreuses lacunes dans l'histoire du commerce, j'allais presque dire une pareille disette?

La réponse est facile. Les institutions politiques, religieuses, administratives, sont ordinairement décrites et étudiées par ceux-là mêmes qui gèrent les fonctions servant de manifestations extérieures à ces institutions. Le commerçant, lui, écrit peu il n'en a ni le loisir, ni le goût.

Quant aux littérateurs de profession, ils estiment souvent qu'il est mal séant de parler du commerce dont ils ne prononcent le nom qu'avec dédain. Aussi, n'en connaissent-ils ni les habitudes, ni la langue.

Voilà les raisons générales, qui s'appliquent à tous les pays. Mais il en est une de particulière à notre région toulousaine et spécialement à notre ville, ou tout au moins à son passé. On n'y était guère commerçant qu'à son corps défendant; et quand l'on sortait d'une souche de négociants, loin de songer à constituer ce que l'on aurait pu appeler des dynasties bourgeoises de commerçants, on n'avait qu'une passion, une fureur: celle d'entrer en charge pour s'anoblir, au lieu de continuer et soutenir le commerce de ses pères. C'est ce qu'affirmait, en 1734, M. de Baville, intendant de la province du Languedoc, et ce que répétaient, en l'an X, les membres composant le tribunal et bureau de correspondance du commerce de Toulouse (4).

(1) Mémoire de M. de Baville, intendant du Languedoc, en 1703, au moment de la création de la Chambre de commerce.

« Il n'y a point de ville en France mieux située que Toulouse, pour le commerce et les manufactures. Les vivres y sont à bon marché, les eaux, bonnes pour les teintures. On y est à égale distance des deux mers. Tout ce que produit le pays : le fer, l'acier, et tout ce qu'il faut pour bâtir, y arrive par la rivière de l'Ariège; et par la Garonne, tout ce qui vient des Pyrénées et du voisinage, outre le marbre et la pierre »......

» Cependant, il n'y a presque point de commerce dans une ville aussi heureusement située. Le génie des habitants ne les y porte pas. Ils ne peuvent, d'ailleurs, souffrir les étrangers. Les couvents des religieux et des religieuses occupent la moitié de la ville. Le Parlement et les Priviléges du Capitoulat qui anoblit éloignent, plus que tout le reste, l'agrandissement et les progrès du commerce. Tous les enfants des gens marchands aiment mieux s'anoblir et entrer en charge que de continuer et soutenir le commerce de leurs pères. En un mot, le négoce y languit, si toutefois l'on peut dire qu'il y en ait.....

Lettre écrite par les membres composant le tribunal et bureau de correspondance de

Or l'on ne décrit bien que ce que l'on aime un peu soi-même ou ce que l'on voit aimé et estimé autour de soi. Pourquoi un historien se serait-il attaché, en pays toulousain, à raconter des actes, des efforts, un mouvement auxquels prenaient au fond peu d'intérêt ceux-là mème qui en vivaient?

Cependant, le commerce de la région de Toulouse et de Toulouse, quoique restreint, a eu une physionomie propre. Dans tous les cas, depuis 1703, il a été représenté par un corps spécial, dont l'influence s'étendait assez loin, que les particuliers et les pouvoirs publics consultaient souvent, dont les décisions respectées — les parere, c'est le mot technique — servaient à fonder des mœurs et une jurisprudence commerciale.

C'est la Chambre de commerce de Toulouse.

Pourquoi n'a-t-elle pas trouvé, elle au moins, un historien ? Peut-être a-t-il toujours répugné aux littérateurs de se soucier des traficants. Et cependant, les alcoves de nos rois ont attiré comme la corruption attire les mouches - des annalistes qui n'ont reculé devant aucun détail physiologique. Le trafic commercial a sûrement meilleure odeur. Mais, enfin, si on méprise, quand on tient une plume, le comptoir et ceux qui résident derrière lui, la représentation du négoce, organisée par lettres-patentes du Roi-Soleil, est une institution à laquelle on peut toucher, je crois, sans déroger.

Voilà les réflexions sous l'empire desquelles j'ai été amené

commerce de Toulouse, au général Pérignon, membre du sénat conservateur (11 mes sidor an X ).

Citoyen Sénateur,

Nous avons reçu le Mémoire que vous avez bien voulu nous adresser relatif aux avantages à procurer à la ville de Toulouse, et nous vous remercions de votre condescendance à nous le soumettre.....

En rendant justice aux talents et aux vues patriotiques de l'auteur du mémoire, nous nous permettons de vous faire quelques observations qui ont échappé à sa pénétration.

S'il est incontestable, ainsi qu'il l'expose, que la noblesse et la fureur de s'anoblir ont été la cause que le commerce de Toulouse a toujours été borné, il n'est pas moins vrai que, par une fatalité attachée à un sol riche de ses productions territoriales, tout établissement qui tendrait à porter dans ses murs le goût du travail et de l'industrie serait dans l'instant paralysé.

à feuilleter les registres des délibérations de la Chambre de commerce de Toulouse, fondée en 1703, et dont nous pouvons suivre tous les actes, au moins jusques en 1781. Je viens vous soumettre le résultat de cet examen.

Je ne vous apporte pas, vous le pensez bien, une véritable histoire de la Chambre de commerce de Toulouse. Il me suffira de vous donner quelques indications:

4° Sur sa naissance et son organisation;

2o Sur sa compétence, sa mesure d'action, et l'esprit qui l'animait.

Peut-être ce travail, présenté à une Académie par un homme qu'aucun lien ne rattache au commerce ou aux fonctions commerciales, fera penser à d'autres que c'est là un sujet abordable, même par de non commerçants. Peut-être alors pourrat-il servir, si vous lui donnez votre approbation, d'excitant à la rédaction d'une histoire complète du commerce toulousain, ou tout au moins de la Chambre de commerce de Toulouse.

L'idée, d'ailleurs, n'est pas née d'aujourd'hui, et vous en avez été les premiers promoteurs.

En 1794, l'Académie avait proposé pour sujet du prix de l'année d'indiquer les principales révolutions que le commerce de Toulouse a subies et les moyens de l'animer, de l'étendre et de détruire les obstacles, soit moraux, soit physiques, s'il en est, qui s'opposent à ses intérêts et à ses progrès. Et ce fait vous était rappelé, en 1858, par M. Roumeguère, qui nous communiquait, en même temps, des lettres-patentes de Henri II, concernant, surtout, le commerce du pastel qui était largement cultivé, à cette époque, en Languedoc. Ce collègue vous a exprimé aussi ses regrets pour l'absence d'une histoire du commerce toulousain (1).

Quelques années auparavant, en 1840, M. de Puymaurin, alors député, faisait remise à la Chambre de commerce de Toulouse d'un envoi de ces lettres-patentes, dont M. Roumeguère vous entretenait en 1858, et, en le faisant, il sollicitait cette Chambre de créer un prix destiné à encourager et

(1) Voir Mémoires de l'Académie, 5e série, tome II, p. 32.

à récompenser l'auteur d'une Histoire du commerce de Toulouse (1).

En 1844, le registre des délibérations de ce corps porte trace du rappel de la proposition de M. de Puymaurin (Délibérations du 5 et du 19 janvier 1844). Malheureusement, l'on pensa qu'il fallait, pour fonder ce prix, réclamer des fonds, soit au ministre de l'intérieur, soit au Conseil général, et des demandes pareilles n'ont jamais été introduites. Le fait est d'autant plus fàcheux que la Chambre de commerce abandonnait très modestement, en vos mains, le droit de juger les ouvrages que la promesse de ce prix aurait sollicités.

N'oublions pas enfin qu'en 1867, notre confrère, M. Astre, nous a entretenus de l'Histoire et des attributions de l'ancienne Bourse de Toulouse (2). La Bourse n'est point la Chambre de commerce, vous le savez fort bien. La Bourse c'est, suivant le langage du temps, le tribunal de commerce qui juge les contestations commerciales, tandis que la Chambre de commerce est un corps consultatif et non judiciaire; mais le trait qui rapprochait ces deux institutions était assez étroit, car les membres de la Bourse faisaient partie, de droit, de la Chambre de

commerce.

Je ne fais donc, Messieurs, que suivre un sillon, déjà tracé par vous, en vous priant de me suivre dans l'examen rapide. d'une institution commerciale toulousaine. Mais, je le répète, je n'ai point la prétention de faire ici quelque chose de définitif. Mon désir est tout simplement de solliciter l'attention de ceux qui écrivent ou des membres de la Chambre de commerce actuelle, afin de reprendre la tradition des voeux émis chez nous et au dehors en 1791, en 1840, en 1844 et en 1858:

L'histoire tout entière du commerce toulousain pourrait effrayer par son étendue. Mais pourquoi ne commencerait-on pas par celle de la Chambre de commerce? Il en est plusieurs, notamment celle de Bayonne, qui la possèdent (3), et vous ver

(1) Voir le Journal de Toulouse du 15 septembre 1840.

(2) Voir Mémoires de l'Académie, e série, 6e vol, pag. 71 et 133.

(3) Etudes historiques sur la Chambre de commerce de Bayonne, par Henry Léon.

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