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Avec les nouvelles armes, le fusil Gras, a des effets aussi destructeurs à la distance de 1000 mètres, que l'ancien fusil de munition à 200 mètres; la portée des bouches à feu, qui ne dépassait pas 2 kilomètres, s'étend aujourd'hui à 5 et 6 kilomètres. L'invention mécanique qui a produit des effets si extraordinaires, dérive de principes si simples, que nous essayerons d'en bien faire comprendre le sens, et nous n'hésiterons pas à prendre pour point de départ. une comparaison, très vulgaire, mais très claire et très facile : « Le goulot d'une bouteille ordinaire est un cylindre creux, de même figure que l'àme d'un canon, dans ce goulot on introduit un bouchon ou un cylindre plein, en liège. Pour quelle raison n'a-t-on pas procédé de la même manière, pour les bouches à feu, en introduisant dans le cylindre creux de leur âme, non pas un boulet sphérique, mais un bouchon en fonte qui se raccorde bien mieux avec sa figure? cet essai a été tenté depuis longtemps; mais on a constaté qu'au sortir de l'âme, ce bouchon ne conservait pas sa position, qu'il se renversait et présentait sa longueur à la résistance de l'air qui détruit la plus grande partie de la vitesse et par suite de la portée des projectiles. On ne songeait pas à introduire dans ce mécanisme un principe connu et constaté par de nombreuses expériences. On savait très bien que la rotation rapide d'une toupie la maintient sur sa pointe, sans qu'elle se renverse; on savait aussi que la stabilité des planètes résulte de leur rotation et de leur aplatissement qui en est la suite; et Euler a démontré rigoureusement cette belle vérité de la mécanique céleste. Une induction naturelle conduisait à penser que la stabilité d'un projectile cylindrique serait obtenue s'il pouvait sortir de la bouche à feu doué d'un mouvement de rotation rapide autour de son axe; cette idée si simple n'était venue à l'esprit de personne. Enfin, vers le milieu de ce siècle, on a obtenu la rotation de ce bouchon de fonte ou de ce projectile cylindrique, en adaptant à sa surface quelques saillies, de la figure de petits boutons, qui glissent dans des rayures en hélice, pratiquées à la surface intérieure. de l'âme; après de nombreux essais, on est parvenu à rendre stables des projectiles longs, d'un petit diamètre, terminés

à l'avant par une pointe ou plutôt une surface ogivale; dans ces conditions, la résistance de l'air est diminuée de plus de moitié, et ces projectiles massifs et allongés parcourent leur trajectoire sans se renverser, comme les flèches, et arrivent à des distances plus que triples des portées qu'on obtenait des anciens boulets avec les mêmes charges de poudre. Ces projectiles ont pu, vu leur longueur et leur masse, être évidés à l'intérieur et agir à l'occasion comme des obus. Lancés avec justesse contre les carènes en bois des vaisseaux, ils les perforent et agissent par leur rotation comme des vrilles; les murailles les plus solides n'échappent pas à leur action. Le tir à 2 ou 3 kilomètres d'une ville occasionne une rapide destruction, et les forts détachés deviennent indispensables pour éloigner du corps d'une place cette formidable artillerie. Ce changement radical des armes de guerre a rendu nécessaire des modifications importantes dans les établissements militaires. A Toulouse, le polygone est devenu absolument insuffisant, et on ne peut pas songer à faire former des lignes de tir de 7 à 8 kilomètres dans le voisinage des grandes villes. On a dù créer un polygone à Castres sur un terrain stérile, où, dit-on, César avait jadis établi un camp. Notre importante fonderie a disparu, et après les cruelles épreuves de la dernière guerre, on a jugé prudent de la transporter à Tarbes, au cœur des Pyrénées; il ne nous reste que l'arsenal, agrandi et perfectionné depuis 1870. La poudrerie est rentrée comme au siècle dernier sous la dépendance du ministre des finances. L'art de la guerre est complétement transformé, et la postérité aura de la peine à concevoir les manœuvres de Napoléon lorsqu'il jettait des masses d'artillerie à quelques centaines de mètres des lignes ennemies. Avec les nouvelles armes, Sénarmont aurait perdu à Friedland la moitié de ses hommes et de ses chevaux avant de s'être établi en batterie.

Le manque de connaissances précises, sur l'armement des Grecs, des Romains et des peuples qu'ils combattaient, laisse une certaine obscurité sur l'histoire ancienne; des écrivains estimés, mais dépourvus de critique, racontent les campagnes d'Alexandre, et même celles d'Annibal, comme des légendes

fabuleuses qui ne soutiennent pas un examen sérieux. Avec des données incomplètes, Montesquieu, dans quelques pages de l'Esprit des Lois, jette une grande lumière sur les conquêtes d'Alexandre; son génie pénétrant suit avec une merveilleuse logique l'enchainement des conceptions et des actes militaires, qui préparent la domination de l'Asie et réduisent l'empire de Darius à être le prix de la course, plutôt que le prix de la victoire. Ses réflexions sur l'invasion de l'Italie, par Annibal, sur les suites de la bataille de Cannes et de Zama, ne sont pas moins intéressantes. Ces fragments concis peuvent servir d'exemple et de modèle aux historiens, qui croient trop facilement que la forme littéraire et l'imagination suffisent pour faire revivre le passé avec fidélité.

Si nous jetons les yeux sur la géographie de la France, nous la voyons entourée en partie par plus de 500 lieues de côtes, qui lui imposent l'obligation d'être une puissance navale; vers le nord, pas de frontière qui la défende contre l'invasion. Sa liberté, son indépendance ne peuvent exister qu'à la condition de posséder des institutions militaires, qui forment une armée disciplinée et belliqueuse, et ces institutions prospèreront, si préalablement notre jeunesse reçoit une éducation morale et sévère, qui lui inspire le sentiment du devoir et l'amour de la patrie, et un enseignement positif, qui la mette à l'abri des utopies et des utopistes, qui ne tendent à rien moins qu'à désorganiser notre armée, et à porter atteinte à l'unité indissoluble de la république.

La facilité de vivre sous un climat qui n'a rien d'extrême, la richesse agricole de notre pays sont des causes suffisantes pour exciter la convoitise de nos voisins, et pour énerver notre jeunesse dans le bien-être, dans les douceurs de la paix. Sommes-nous à regretter, comme Horace, cette race de soldats accoutumés à manier les pesantes charrues?... Cette race qui avait teint la Méditerrannée du sang carthaginois..... Infecit æquor sanguine punico.

En parcourant les feuilles d'un livre écrit par un général allemand, je lisais cette phrase: Les Français ont été considérés pendant longtemps comme les premiers artilleurs d'Europe...

ont-ils dégénéré depuis ? Certainement non, et il surgirait au besoin des Eblé, des Sénarmont, des Lariboissière dans le corps de l'artillerie, qui est une des plus puissantes colonnes de notre patrie, et où se trouve, à côté de la science, l'honneur et le sentiment du devoir.

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Au mois d'octobre dernier, une sinistre nouvelle est venue. surprendre les membres épars de notre Académie : Leymerie, que nous avions laissé plein de vie et d'énergie scientifique, que nous avions vu partir pour une de ces explorations toujours si fécondes en résultats, venait de succomber aux atteintes d'une maladie presque foudroyante. Notre confrère est mort pour ainsi dire au champ d'honneur, étouffé par la pneumonie dont il avait contracté le germe au milieu de ces Pyrénées objet de ses constantes prédilections.

Chargé par vous de rendre un dernier hommage au confrère éminent dont la perte est un véritable deuil pour la science et de placer sous vos yeux le tableau de cette existence toute de labeur, j'aurais hésité et reculé peut-être devant les difficultés de ma tâche, si je ne m'étais considéré comme obligé à cet acte de déférence, envers vous d'abord, et aussi envers celui qui fut un de mes premiers maîtres à la Faculté de Toulouse.

D'ailleurs, Messieurs, n'attendez sur le compte de Leymerie aucun de ces détails, plus ou moins inédits, qu'une curiosité stérile recherche dans l'existence des hommes qui ont joui d'une certaine célébrité et qui n'aboutit, en définitive, qu'à démontrer que les rayons et les ombres se croisent nécessairement dans toute existence humaine.

La carrière de Leymerie est des plus uniformes; il allait droit devant lui dans la vie, comme il escaladait le mont perdu, au grand désespoir des guides les plus expérimentés.

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