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NOTE

SUR UN

TRIENS DU ROI WISIGOTH SUINTHILA

621-631

Par M. ROSCHACH (4).

On a retrouvé récemment un triens ou tiers de sou d'or du roi wisigoth Suinthila, dans le territoire du village de Conflens, dernier lieu habité de France au sud de l'arrondissement de Saint-Girons. Bàti, comme son nom l'indique, au point de rencontre de deux cours d'eau, le Salat, qui encore tout voisin de sa source descend bruyamment des massifs de Montrouch, et le ruisseau par où se dégorge l'étang de Matau, Conflens, sans être tout à fait ce que nos voisins d'outre-Pyrénées appellent un despoblado, un centre de population abandonné, est cependant fort déchu de son ancienne importance et presque en ruine. Il occupe, à près de mille mètres d'altitude, la croupe d'une sorte de promontoire rocheux qui le fait vivre sous une menace perpétuelle d'éboulements et que dominent, à l'ouest, les contreforts du Montvallier. C'est à Conflens que finit la route départementale de Saint-Girons, dont deux rameaux viennent de la vallée de la Garonne, l'un par SaintMartory et l'autre par Sainte-Croix, tandis qu'une ligne transversale atteint l'Ariége à Tarascon et l'Aude à Quillan. Une voie carrossable la continue, gravissant la pente de la montagne jusqu'au-dessous du port de Salau, par où l'on peut (1) Lue dans la séance du 16 janvier 1879.

descendre en Catalogne en suivant le corridor de la NogueraPallaressa. On a projeté, depuis longtemps, dans cette direction, un chemin de fer qui serait la ligne la plus courte entre Toulouse et Lerida. A l'époque où les transactions internationales n'avaient pas été déplacées par l'établissement des voies qui attirent tout le mouvement vers les deux extrémités de la chaîne, le port de Salau, le plus accessible de tous ceux du Couserans, livrait passage à un transit assez actif et les restes du château de la Garde, dont les traditions locales attribuent la fondation à Charlemagne, témoignent encore de l'importance militaire que l'on attachait à la possession de ce débouché.

H

Le triens wisigoth qui, après avoir été enfoui douze cents ans dans ces austères solitudes, appartient aujourd'hui au musée de Toulouse, est une pièce en or påle, très-mince, d'un vif relief, mesurant 19 millimètres de diamètre et pèse 1 gr. 28, poids inférieur à la moyenne des monnaies du même module, émises dans la plupart des ateliers monétaires des Wisigoths, mais supérieur à celui des autres exemplaires, frappés comme le nôtre à la Monnaie de Tarragone. Le droit porte un buste drapé, vu de face, avec la légende SVINTHILA RE(X) dans un cercle de grénetis; le revers, un buste de mème style, mais de proportions plus exiguës, surmonté d'une croix qui coupe en deux la légende TARRA COPIV, également inscrite dans un cercle perlé. (1)

(1) A propos du titre de PIUS qui est généralement accolé au nom des rois Wisigoths, à l'imitation de certaines formules impériales romaines, Florez remarque que toutes les villes d'Espagne en firent un très-grand usage, mais que celles de la Tarraconaise y substituèrent quelquefois la qualification de Juste. « El dictado mas comun en las ciutades fue el de Pio: pero la Tarraconense usó el de justo mas que otras, como se vió en Sisebuto, que aclamado Piadoso por todas las demas ciudades

Bien que frappé en Espagne, le tiers de sou d'or de Suinthila offre un intérêt particulier pour l'histoire de nos régions. A la date de son émission, le royaume des Wisigoths, bien que fort amoindri par les conséquences de la bataille de Vouillé et l'expédition de Clovis dans le Midi et réduit, ou peu s'en faut, à la concession primitive d'Honorius, comprenait encore, en effet, sous le nom de Septimanie ou de Gothie, toute la partie orientale du Languedoc, c'est-à-dire les bassins de l'Aude, de l'Orb, de l'Hérault et la rive droite du Rhône jusqu'au Gardon. Les évêques de Narbonne, d'Agde, de Béziers, de Lodève, de Nimes, de Maguelonne, de Carcassonne, d'Elne, figuraient en personne ou par délégués dans ces grands conciles de Tolède, où siégeaient à la fois les hauts dignitaires. de l'ordre ecclésiastique et de l'ordre militaire, assemblées politiques autant que religieuses, que l'on peut regarder comme la première origine des Cortès espagnoles et de nos anciens Etats provinciaux.

Du côté de l'ouest, les frontières de la Gothie n'étaient autres que celles du diocèse de Carcassonne et de Narbonne, antérieures à la création de l'évêché d'Alet et suivaient, par conséquent, dans leur direction générale, la ligne de partage des eaux entre le bassin de l'Aude et celui de l'Ariége, qui séparait le pays goth du pays franc.

Cette ligne, partant de la rive gauche du Thoré, coupait les plateaux et les gradins de la Montagne-Noire près d'Arfons, Villemagne, Villespy, Villepinte, la vallée du Fresquel, près Bram, le massif des côteaux près Villesiscle, Laforce, Fenouillet, Escueillens, Peyrefitte, Courtauly, Canet, Fontrouge, Saint-Jean-de-Paracol, Saint-Marcel, Nébias, atteignait la forêt de Bélesta, au-dessus des sources de l'hers, passait à l'ouest de Comus, puis suivait la ligne de faîte du Rebenti, celle de l'Aude, en longeant la crête des montagnes du Donezan et du Capsir, du pic de Pailhères au pic de Car

(a excepcion de Ebora) Tarragona le dió titulo de justo. Al presente Suintila le aplicó uno y otro, Piadoso y justo. »

Florez. Medallas de las Colonias, municipios y pueblos antiguos de España parte tercera, p. 240.

litte. C'est l'ancienne frontière orientale de la Civitas, puis de la Provincia Tolosana.

Nous savons, d'ailleurs, que les détails du tracé donnaient lieu à de fréquentes contestations; mais ces litiges locaux n'altèrent pas la vérité de l'ensemble et l'on peut dire que le bourg de Conflens, situé à huit kilomètres du diocèse d'Urgel, n'était pas à plus de soixante-cinq kilomètres de la frontière de Septimanie, marquée sur ce point par le pic de Pailhères.

Suinthila est le vingt-quatrième roi des Wisigoths sédentaires et le huitième qui ait battu monnaie à son nom, usage inauguré par Léovigilde à la fin du sixième siècle. Il fut élu en 624, le trône étant vacant par la mort de Reccarède II, qui avait survécu seulement de quelques mois à son père. Gendre de l'avant-dernier roi Sisebut, le nouveau souverain s'était désigné au choix de ses compagnons d'armes par plusieurs victoires remportées sur les troupes des empereurs d'Orient et sur les insurgés espagnols, dont il avait réprimé les mouvements en qualité de général des armées de son beau-père.

Il associa son fils Ricimer à la puissance royale, comme certains empereurs romains en avaient, introduit l'usage et comme le roi des Francs, Clotaire, venait d'en donner l'exemple en partageant la couronne avec Dagobert.

L'aristocratie des Goths vit de mauvais œil cette imitation qui trahissait le désir de transformer la monarchie élective en monarchie héréditaire et de fonder une dynastie. Ce fut une des causes qui facilitèrent le succès de l'insurrection dirigée, plus tard, contre son autorité.

Le premier usage que fit Suinthila de son pouvoir fut de continuer la guerre contre ce qui restait de forces byzantines dans la péninsule et de les expulser définitivement des postes qu'elles occupaient encore dans les Algarbes. Il triompha aussi des Vascons établis sur le versant méridional des Pyrénées, où ils avaient jusqu'alors maintenu leur indépendance, et les contraignit à bâtir à leurs dépens la ville d'Olite, à 40 kilomètres de Pampelune, afin de mieux surveiller leurs mouvements.

Une conspiration ayant été tramée pour détrôner Suinthila, Sisenand, gouverneur de Septimanie, en prit la tète et solli

cita le secours des Francs. On sait que la promesse du fameux bassin d'or donné par Aétius au roi Thorismond et conservé dans le trésor des reis wisigoths fut un des principaux arguments employés pour tenter l'ambition de Dagobert, qui avait d'ailleurs bien d'autres raisons, d'ordre plus sérieux, pour intervenir dans les affaires d'Espagne.

Le roi des Francs s'occupa donc de mobiliser les milices de Bourgogne pour leur faire franchir les Pyrénées; et, comme les circonstances pressaient, il donna l'ordre à ses lieutenants Abundantius et Venerandus de mettre sur pied de guerre tous les contingents du pays toulousain et de se porter avec eux sur les passages des Pyrénées pour rejoindre Sisenand de l'autre côté des montagnes.

Il est probable que les corps venant de Septimanie pénétrèrent en Cerdagne par le col de la Perche et les forces du Toulousain dans l'Andorre ou la vallée de Paillas; la concentration dut s'opérer sur les grands plateaux qui avoisinent Lérida, d'où Sisenand marcha sur Saragosse. Les troupes royales n'opposèrent aucune résistance et acclamèrent le chef insurgé, qui se hâta de réunir les principaux seigneurs wisigoths dans l'ancienne capitale de la César-Augustaine et leur fit déclarer Suinthila indigne de régner. Cette manifestation, tout à fait semblable aux pronunciamentos de l'Espagne moderne, paraît n'avoir pas rencontré d'opposition efficace. Suinthila rentra dans la vie privée, sans avoir été l'objet de violences matérielles en sa personne ou en celle des membres de sa famille.

Sa déchéance fut solennellement confirmée et aggravée d'excommunication par le quatrième concile de Tolède, où siégeaient le métropolitain de Narbonne, les évêques d'Elne et de Nimes et les vicaires-généraux de Maguelonne et de Carcassonne. Le texte du décret, conçu en termes fort rigoureux, semble dire que Suinthila n'a pas été renversé, mais s'est dérobé luimême aux honneurs de la puissance royale par la conscience qu'il avait de ses crimes. Les prélats enveloppent du même anathème sa femme, ses enfants, son frère Geila, frère par le crime comme par le sang, » à qui ils reprochent d'avoir manqué de foi envers le prince régnant ; ils les déclarent tous à jamais

α

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