Fr 28.1.2 HARVARD COLLEGE JUN 5 1888 LIBRARY Mary Cegord funds. Mantes. Imp. Vincent Forest et Émile Grimaud, place du Commerce, 4. NOS ARTISTES AU SALON DE 1876 Le Salon de cette année vaut-il mieux ou moins que ses prédécesseurs? A cette question les critiques ou soi-disant tels répondent oui ou non, suivant les préférences de leur goût plus ou moins éclairé. Peut-être, cette année, le nombre des œuvres médiocres ou nulles est-il un peu moindre, grâce à l'abolition, depuis longtemps réclamée, de ce privilége exorbitant en vertu duquel était exempt de l'examen du jury tout artiste qui, par hasard souvent, avait conquis une médaille, fût-ce de dernière classe, dans les précédentes expositions. Comme toujours dominent encore, et de beaucoup, les petits sujets et les petites œuvres, le genre, le métier plutôt que l'art. Beaucoup de nu, ou mieux de déshabillé, de ces peintures à posteriori, comme les appelait un spirituel visiteur, bien connu des lecteurs de ce recueil: Madeleines plus ou moins repenties, Suzannes, Galathées, Psychés, Nymphes, Amours de pacotille, etc. Toutefois, au milieu de cette avalanche de choses petites ou malpropres, on distingue un certain nombre, trop peu considérable encore, mais visiblement grandissant, d'œuvres sérieuses, accusant une tendance marquée vers un art plus élevé. Et ce qui donne à cette tendance une portée d'un particulier intérêt, ce qui permet d'y voir une promesse et une espérance pour l'avenir, c'est qu'elle se remarque principalement chez les jeunes. Sans doute elles ne sont pas sans défaut et ne brillent pas par la nouveauté du sujet, ces grandes toiles de MM. Rixens (Le Cadavre de César porté par des esclaves); Eugène Delacroix, un nom lourd à porter (Les Anges rebelles escaladant le ciel); Benjamin Constant, autre nom illustre (L'Entrée de Mahomet II à Constantinople, en attendant la sortie, prochaine peut-être et beaucoup moins triomphale, de l'un de ses successeurs); Lematte (Oreste et les Furies). Chacune de ces toiles n'en a pas moins été justement honorée d'une médaille, tant pour son mérite intrinsèque de composition et d'exécution, qu'en considération du louable effort, des fortes études et de la tendance dont elle témoigne. Un artiste capable de composer et de brosser un tableau de cette dimension et de cette valeur, peut aborder tel sujet de peinture historique ou religieuse qui lui conviendra, chose interdite aux peintres de ces jolies et fades miévreries à la mode. Encore n'ai-je pas parlé de la plus remarquable et de la plus remarquée des œuvres de ces nouveau-venus: Néron et Locuste essayant des poisons sur un esclave, de M. Sylvestre, tableau qu'un maître ne dédaignerait pas de signer et qui, du jour au lendemain, a valu à son auteur, un tout jeune homme, une quasi célébrité. Il lui a valu quelque chose de mieux encore, ou du moins de plus palpable et de plus positif : une première médaille et le prix du Salon, par dessus le marché ; le succès du jeune artiste est, on le voit, des plus flatteurs et plein des plus sérieuses promesses. Ne serait-ce pas précisément à ce prix du Salon, une innova-tion, d'abord fort critiquée, comme toutes les innovations de ce. monde, du directeur actuel des Beaux-Arts, M. le marquis de Chennevières, qu'il faut attribuer, en grande partie tout au moins, cette tendance si digne d'encouragement dont nous parlons, cette féconde émulation chez les jeunes artistes, jaloux de mériter les suffrages du jury et du public par une œuvre sérieuse et forte? Assimilé au prix de Rome et donnant droit, comme lui, à l'hospitalité de la Villa Médicis, ce prix, décerné à la plus remarquable des toiles exposées par nos jeunes peintres, n'est-il pas pour ceux-ci un puissant stimulant, dont l'efficacité est d'ailleurs chaque année plus manifeste? Depuis sa fondation, récente, il est vrai, le prix du Salon n'avait pas encore été décerné à une œuvre qui en fût aussi digne que le Néron de M. Sylvestre. Cette toile promet un maître. L'avenir nous dira si, comme tant d'autres, cette espérance ne se change pas en déception. Ce qui frappe dans les œuvres de ces jeunes gens, à part le sérieux et l'ampleur des sujets choisis, c'est cette fermeté de ton, ce tempérament viril, cette largeur de pinceau, qui tranchent si nettement sur le maniéré efféminé et précieux des maîtres à la mode. Et ce qui a lieu d'étonner c'est que ceux-là sont les élèves de ceuxci, mais non les disciples serviles, ce dont il faut les louer. Espérons que les nouveau-verrus ne se laisseront pas gagner au petit art régnant; qu'ils auront le courage de continuer à réagir contre le goût dominant des frivolités, dussent ils se résigner à ne pas gagner, bon an mal an, deux à trois cent mille francs comme tel et tel des favoris de la vogue (où êtes-vous, illustres vieux maîtres, qui pour la plupart êtes restés pauvres au milieu de vos chefs d'œuvre! il est vrai que ces chefs-d'œuvre sont immortels, tandis que la plupart de vos successeurs d'aujourd'hui, dont les toiles se couvrent d'or, auront de leur vivant reçu leur récompense, mercedem receperunt vani vanam.) Si frivole que soit le public, il sait cependant reconnaître le mérite sérieux et élevé, lors même que celui-ci dédaigne de flatter ses goûts, de se prêter à ses engouements. Témoin le renom grandissant d'un artiste qui, à chaque Salon, se distingue par une œuvre saine et forte, conçue et traitée en dehors des données courantes, comme son François de Borgia de cette année; -- M. J.-P. Laurens, un jeune maître, qui, si les Cabanel, les Bouguereau et autres n'y prennent garde, occupera bientôt la tête de notre école de peinture contemporaine, et dont les mâles et hautes qualités se lisent si bien sur ce portrait aux lignes michel-angesques, destiné aux galeries du palais Pitti, à Florence. Que l'exemple de M. Laurens serve ⚫ de leçon à nos jeunes peintres, et qu'il les fortifie. Une autre œuvre éminente qui vient unir sa protestation à cette visible et salutaire réaction contre le tour de main, le petit art facile, chiffonné et minaudier; et dont nos jeunes artistes feront bien de s'inspirer également, sinon pour le coloris, du moins pour |