Page images
PDF
EPUB

fils de soie et on commence à les tirer, en en réunissant au moins trois et quelquefois vingt, suivant la grosseur qu'on veut obtenir. Les brins élémentaires qu'on obtient ainsi par le tirage sont ce qu'on appelle la soie grège. On les emploie sous cette forme à la fabrication des baréges, d'une partie de la rubanerie, de la gaze de soie, etc., et tout le reste de la soie grége est dévidé, tordu et doublé avant d'être mis en œuvre. Ces diverses opérations constituent le moulinage, après lequel la soie, suivant la force de l'assemblage, le degré et la nature de la torsion, se divise en fil de trame et en organsin ou fil de chaîne. C'est à ce moment-là qu'elle est livrée aux chimistes, qui commencent par la decreuser pour lui enlever la gomme qu'elle contient, lui donner la flexibilité et de l'éclat, et la disposer à recevoir plus facilement la matière colorante. Une fois teinte, les dévideuses s'en emparent et enroulent la soie des échéveaux sur des bobines, ou la disposent sur des canettes pour former la trame.

Les ourdisseuses sont chargées d'une opération plus délicate, qui consisté à assembler parallèlement entre eux, à une égale longueur et sous la même tension, un certain nombre de fils dont l'ensemble a reçu le nom de chaîne. Quand la chaîne est toute préparée, on l'enlève de l'ourdissoir et on la dispose sur le cylindre ensouple du métier à tisser: c'est ce qu'on appelle le montage. Si l'étoffe qu'on va com

mencer est toute semblable à celle qu'on vient de finir, on rattache chacun des nouveaux fils à l'extrémité des fils correspondants de l'ancienne chaîne; cette opération, qui peut se répéter indéfiniment, et qui simplifie le travail, parce que toutes les pièces qu'on fait successivement ne sont plus pour l'ouvrier qu'une seule et même pièce, est faite par les rattacheuses ou tordeuses. Si, au contraire, l'étoffe nouvelle a un nombre de fils différent, il est impossible de souder la nouvelle chaîne à la chaîne précédente, et il faut introduire directement tous les fils dans les maillons du métier. Les remetteuses sont chargées de ce travail. Après elles, le métier se trouve prêt, et il ne reste plus qu'à tisser l'étoffe.

Cependant, lorsqu'il ne s'agit pas d'un uni, mais d'un façonné, le tisseur, avant de se mettre à l'œuvre, a besoin du concours d'un nouveau personnel assez nombreux. En effet, il faut d'abord créer les ornements que doit recevoir l'étoffe; c'est l'affaire du dessinateur, un véritable artiste, dont la profession demande beaucoup de goût et d'habileté. Il fait avec des fils de soie ce que le mosaïste fait avec ses cailloux diversement coloriés, ou plutôt, car le mosaïste n'est qu'un reproducteur, le dessinateur ressemble à l'artiste verrier, qui éblouit les yeux par les mille combinaisons de sa merveilleuse joaillerie. Le dessin achevé, il faut le mettre en carte, opération assez analogue à celle de l'architecte qui

dessine la coupe de son édifice après en avoir dessiné l'élévation. Mettre un dessin en carte, c'est faire sur un papier quadrillé le plan du tissu que l'on veut produire, en marquant minutieusement la place de chaque fil. Après la mise en carte vient encore le lisage, qui a pour but de distinguer, sur les fils de la chaîne, les points qui doivent être apparents et ceux qui doivent passer à l'envers du tissu. L'ouvrière fait cette opération sur un cadre tendu de fils qui simulent la chaîne, et parmi lesquels elle sépare les fils apparents ou cachés au moyen de ficelles qui à leur tour simulent la trame. On se sert de ce cadre pour préparer les cartons percés de trous que l'on met en contact avec le mécanisme chargé de faire mouvoir les fils de la chaîne sur le métier. Ces cartons une fois posés, le tisseur peut commencer sa besogne. Tout ce travail, qui emploie tant de bras,, coûte tant de soins et dure si longtemps, n'est donc, à proprement parler, que la préparation du travail. Enfin, lorsque le tisseur à son tour a fini sa tâche et rendu la pièce fabriquée au négociant qui lui avait confié les fils, celui-ci, dans la plupart des cas, la dépose encore chez l'apprêteur, qui la nettoie, lui donne le brillant, et, s'il y a lieu, certaines apparences particulières, celles par exemple de la moire ou des étoffes gaufrées. L'art des apprêts constitue à lui seul une grande et difficile spécialité.

N'est-ce pas là, comme nous le disions, une véritable armée d'artistes, d'ouvriers, d'industriels de toutes sortes? Dans cette armée, on retrouve partout les femmes. D'abord dans la magnanerie, où l'on élève le ver à soie. Pour une éducation de 310 grammes de graine, M. Henri Bourdon compte 20 journées d'hommes, 156 journées de femmes, et 30 journées d'enfants. Le tirage ou filage se fait exclusivement par les femmes; elles concourent avec les hommes à la plupart des opérations du moulinage. Les hommes sont en plus grand nombre dans les ateliers de teinture, et les femmes n'y sont employées qu'à des travaux accessoires, tels que le pliage; mais dans les spécialités qui suivent, jusqu'au tissage, il n'y a que le dessin et la mise en carte qui soient exclusivement dévolus aux hommes le lisage se fait indifféremment par des hommes ou par des femmes; puis viennent les dévideuses et canetières, les ourdisseuses, les tordeuses, les remetteuses. Enfin, pour le tissage proprement dit, c'est-à-dire pour l'industrie en somme la plus importante et qui emploie le personnel le plus nombreux, plus d'un tiers des métiers dans la ville de Lyon (il n'y en a pas moins de soixantedouze mille), et peut-être les deux tiers dans la grande banlieue, sont occupés par des femmes.

4

Il est facile de comprendre pourquoi la présence des hommes est nécessaire dans les ateliers du mou

[ocr errors]

linage et de la teinture; cependant, à mesure que les machines du moulinage se perfectionnent, les hommes cèdent la place aux femmes, qui finiront par être elles-mêmes remplacées par les enfants. On croirait, au premier abord, que l'industrie du dessinateur pour étoffes est faite exprès pour les femmes. C'est un joli travail, sédentaire, peu fatigant, bien rétribué, qui ne demande en apparence que du goût. Et qui sait mieux que les femmes choisir un dessin ou assortir des couleurs? Néanmoins il est constaté par une longue suite d'expériences, toutes infructueuses, qu'elles ne savent pas inventer des combinaisons; leur aptitude est de les bien juger et d'en tirer bon parti. Quand nous voyons des châles, des soieries, des papiers peints, des dentelles, dont l'aspect général nous frappe par l'élégance et la richesse, sans que nous nous rendions un compte très-exact du dessin, nous ne pensons guère que la faculté dominante de l'artiste qui fait les patrons ou modèles est plutôt la création. que le goût, et pourtant il en est ainsi une belle étoffe à dessin riche, touffu, élégant, est tout un petit poëme. L'opération de la mise en carte pourrait se faire par des femmes, et se fait généralement par des hommes. A ce petit nombre d'exceptions près, les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans tous les ateliers de l'industrie de la soie. En Allemagne, le tissage se fait presque exclu

[ocr errors]
[ocr errors]
« PreviousContinue »