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respecte partout la dignité du travailleur. Ceux qui ont visité les magnifiques ateliers de Wesserling, le grand établissement créé au Cateau par M. Paturle, et dirigé aujourd'hui par M. Seydoux, qui sont entrés à Reims dans les fabriques de M. Saintis, de M. Fossin, de M. Villeminot, de M. Gilbert, ou dans la petite mais admirable filature de M. La Chapelle, aux Capucins; qui ont vu à Sedan, au Dijonval, la fabrique de drap de M. David Bacot, qui ont parcouru les nouveaux établissements de Mulhouse et de Dornach, la filature fondée à Roubaix par M. Motte-Bossut, et que les ouvriers appellent le Monstre, à cause de ses proportions inusitées, ou encore la Chartreuse de Strasbourg, qui réunit une filature et un tissage, et que l'on peut justement citer comme un modèle de parfaite installation hygiénique, ceux-là n'accuseront pas le tableau que nous venons de tracer d'être embelli à plaisir1.

1. A la cristallerie de Baccarat, il y a un atelier où l'on prépare le minium, et qui a fait longtemps le désespoir des directeurs. Rien ne leur a coûté pour l'assainissement de ce service: les maladies étaient fréquentes et atroces, la mortalité effrayante. A force de soins, d'argent, de persévérance, ils ont vaincu une difficulté qui paraissait invincible. Le mode de fabrication a été changé, les heures de travail réduites, le personnel doublé, de telle sorte que chaque ouvrier passe alternativement huit jours à l'atelier et huit jours au travail des champs. Les chefs de la maison ont voulu régler eux-mêmes tous les détails de la nourriture et se sont chargés de la fournir. Enfin ils ont jeté bas murailles et fourneaux et reconstruit l'atelier dans des proportions

Indépendamment des considérations morales qu'il importe de ne jamais oublier, l'hygiène est toujours meilleure dans les établissements placés loin des villes. Ce qui mine à la longue la santé des travailleurs, c'est moins la fatigue que l'air vicié des ateliers; et de plus il arrive trop souvent que l'air est encore moins respirable dans leurs logements qu'à la fabrique. C'est presque un bonheur pour eux d'avoir une longue traite à faire pour se rendre de la manufacture à leur domicile; c'est un surcroît de fatigue, mais c'est un bain d'air salubre et vivifiant. M. Alcan, professeur au Conservatoire des arts et métiers, a constaté que les ouvriers qui demeurent au loin dans la campagne ont le teint plus coloré et sont plus vigoureux que les autres. Le terrain coûte moins cher hors des villes, et la fabrique peut s'étendre indéfiniment; rien n'empêche donc de s'en tenir au rez-de-chaussée et de supprimer les étages supérieurs. C'est un bénéfice pour le fabricant, dont la surveillance est rendue plus facile, dont tous les aménagements sont améliorés. L'uniformité de la température et les vibrations moindres de la machine exercent également une action favorable sur la qualité des produits. Pour l'ouvrier, c'est une

plus vastes et dans d'admirables conditions d'aération. Cet atelier, qu'on ne songe point à montrer aux visiteurs, honore autant la cristallerie de Baccarat que ses magnifiques produits, qui font l'admiration du monde.

source considérable de bien-être, parce que les salles du rez-de chaussée, que rien ne surcharge, ont une hauteur beaucoup plus grande et peuvent être mieux ventilées.

D'autres améliorations ont été introduites dans le travail en fabrique. Avant l'invention du peignage mécanique, des apprentis appelés macteurs mâchaient constamment la laine pour arracher les nœuds avec leurs dents. Les ouvriers employés au peignage du lin et de la laine absorbaient des émanations délétères qui produisaient en peu de temps les plus graves désordres dans l'appareil respiratoire. Le tndage des draps se faisa't avec d'immenses ciseaux, nommés forces; c'était un travail très-pénible, qui réclamait des hommes d'une vigueur particulière; au bout de quelques années, ils étaient hors de service. Le tondage est aujourd'hui une des opérations les plus simples de la fabrique. Les exemples de transformations analogues sont innombrables. Ainsi dans les professions dangereuses la nature peut être vaincue à force de soins et d'habileté; dans les autres, qui sont incomparablement les plus nombreuses, le mal ne vient pas du travail lui-même, mais d'une mauvaise installation et d'un outillage imparfait. Il est donc possible, il est nécessaire de le vaincre. Tout fabricant qui négligerait de telles réformes n'encourrait pas seulement une juste réprobation, il compromettrait encore

sérieusement son industrie. Les plus récalcitrants seront emportés malgré eux dans le mouvement général. Personne ne répéterait aujourd'hui cette réponse que M. Villermé eut une fois la douleur d'entendre: a Je fais de l'industrie et non de la philanthropie. » N'oublions pas cependant qu'il reste énormément à faire. Dans un trop grand nombre d'ateliers, tout a été sacrifié à une économie sordide. Comme il y a des ouvriers nomades qui sont le fléau des ateliers, on rencontre aussi des patrons nomades, sorte d'aventuriers de l'industrie, qui entreprennent de faire fortune en dix ou quinze années, coûte que coûte, pour se retirer ensuite des affaires. et jouir en paix de leurs bénéfices. Ce n'est pas de ceux-là qu'on peut attendre l'amélioration de la fabrication nationale ou les réformes favorables au sort du travailleur. Quand on a quelque habitude des choses de l'industrie, on devine les ateliers après quinze minutes de conversation avec le patron, comme on connaît le patron, sans l'avoir vu, après avoir parcouru ses ateliers.

CHAPITRE III.

L'IVROGNERIE, LE LIBERTINAGE ET LEURS SUITES.

C'est l'homme qui fait sa destinée bien plus que les circonstances. Quand l'industrie d'un pays l'emporte sur celle d'un autre, et qu'on cherche la cause de cette supériorité, on dit : c'est la houille, ou la matière première, ou l'outillage, ou la loi. On serait plus près de la vérité en disant : c'est l'homme. L'homme peut vaincre même la mort, et la preuve, c'est qu'on a fait une loi en Angleterre qui, en un an, a réduit la mortalité dans les logements d'ouvriers à 7 sur 1000, tandis qu'elle était de 22 sur 1000 pour la capitale entière, de 40 sur 1000 pour la paroisse de Kensington'. M. Villermé raconte que, toutes les villes de fabrique souffrant du chômage du lundi, la place de Sedan seule réussit à l'abolir; cependant les ouvriers étaient les mêmes à Mulhouse, à Saint-Quentin, à Sedan; mais à Sedan les maîtres avaient su vouloir dans une cause juste.

1. Common lodging houses act, 1851.

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