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INTRODUCTION.

L'autorité de la raison, la distinction de l'esprit et du corps, la création continue, tout Descartes est dans ces trois points. Par le premier, il fonde la philosophie moderne; par le second, le spiritualisme moderne; par le troisième, la famille de penseurs spiritualistes, qui porte plus spécialement le nom d'école cartésienne. Dogmatique et positif dans sa méthode et dans sa métaphysique, puisqu'il admet la légitimité de nos facultés et la réalité des substances corporelles et spirituelles et de leurs attributs, il est négatif dans tout ce qui touche à l'idée de la création et aux développements de cette idée fondamentale. Sur les rapports de l'âme et du corps, ou plus généralement de l'esprit et de la matière, ou plus généralement encore de Dieu et de la création, trois questions qui au fond n'en sont qu'une, sa philosophie et celle de son école est hypothétique et négative.

A chaque pas que fait Descartes dans la philosophie, il met aux prises deux principes, la raison et la foi, la matière et l'esprit; et, par sa théorie sur la création, la mécanique et la dynamique. Là seulement, dans la question des rapports, il prend le parti étroit et négatif. Descartes a séparé les deux termes; il a solidement démontré, profondément étudié chacun d'eux, et, après avoir excellé dans cette œuvre de séparation, il a échoué quand il a fallu combler l'intervalle.

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INDÉPENDANCE DE LA PHILOSOPHIE.

Le commencement de la philosophie pour Descartes, c'est le doute; cela seul est toute sa méthode. C'est la proclamation du droit de libre examen. L'avenir de la philosophie était attaché à ce principe. Faire une revue exacte de toutes les idées qui se sont introduites dans l'esprit sans examen et sans contrôle; rapporter les diverses notions de l'esprit aux facultés qui nous les ont données; discuter la légitimité de ces facultés, et ne l'admettre que sur des raisons invincibles; en général, prendre pour criterium de la vérité la clarté et l'évidence des conceptions, n'est-ce pas rejeter en principe toute autorité, pour ne conserver que celle de la raison, ou, ce qui revient au même, subordonner toute autre autorité à celle-là 1?

Lorsque Descartes se résout à douter de toutes ses idées jusqu'à ce qu'il les ait rapportées à leur source, et de toutes ses facultés jusqu'à ce qu'il ait éprouvé s'il existe des raisons invincibles d'y ajouter foi, il consomme la ruine de l'ancienne philosophie; et lorsqu'après avoir ainsi tout ébranlé il s'arrête devant l'autorité de la conscience, et déclare qu'il s'y soumet par nécessité, qu'il ne peut plus feindre que cette faculté le trompe, qu'elle échappe à tous les motifs de scepticisme que l'histoire et l'imagination lui peuvent fournir, alors il établit le fondement de la spéculation moderne. Je pense, donc je suis; dans ce principe, qui résiste seul au doute méthodique," Descartes place tout ensemble la proscription de toute autorité

1 « Il faut chercher sur l'objet de notre étude, non pas ce qu'en ont pensé les autres ni ce que nous soupçonnons nous-mêmes, mais ce que nous pouvons voir clairement et avec évidence ou déduire d'une manière certaine. C'est le seul moyen d'arriver à la science. >>

(Règle 3 pour la direction de l'esprit.)

étrangère, et un acte de foi à l'autorité de la raison. Cette autorité reconnue donne lieu aux trois formules suivantes : « Ne rien admettre pour vrai qui ne soit clairement et distinctement conçu comme vrai. Ne retenir une conclusion quand on a oublié les prémisses, c'est-à-dire quand on se souvient qu'on l'a trouvée évidente sans apercevoir actuellement son évidence, que si d'abord on a prouvé que nos facultés naturelles, appliquées à leur objet propre et dans la juste mesure de leur extension, ne peuvent nous tromper. Admettre la distinction réelle entre deux substances sur cet unique fondement qu'elles peuvent être conçues exister séparément l'une de l'autre.»

RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA FOI.

La philosophie, d'abord servante, puis auxiliaire de la foi, devient ainsi sa rivale; et la question de savoir des deux principes lequel doit céder dans un conflit naît tout aussitôt, ou du moins acquiert une nouvelle importance. Bayle, Leibniz, Malebranche, tous les philosophes du dix-septième siècle, ont étudié cette question capitale; ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pas pu le faire avec assez d'indépendance et d'impartialité. La religion et la philosophie ne diffèrent pas seulement, comme on l'a cru, par leur origine; et c'est une pensée plus brillante que juste de ne voir dans la révélation qu'une anticipation de la providence sur les découvertes à venir de l'esprit humain. D'autres différences naissent entre la religion et la philosophie, de la différence même de leur origine: la révélation qui prononce au nom de Dieu sur le sort de l'humanité, n'a d'autre borne que nos besoins et la volonté de Dieu; la philosophie, qui s'adresse à la raison, a nécessairement pour limites les limites mêmes de notre intelligence. Leur but est le même; car

elles viennent l'une et l'autre pour élever l'homme jusqu'à Dieu; mais la philosophie agite des problèmes que la religion dédaigne; et la religion nous révèle des vérités que la philosophie n'atteint pas. La révélation, qui n'omet rien de ce qui regarde notre destinée morale, exclut toute spéculation d'une importance purement scientifique; la philosophie, qui ne peut embrasser que ce qui est susceptible de démonstration, renonce à des questions importantes, pour lesquelles les méthodes lui manquent, et, poursuivant ses recherches dans une autre direction, ne nous apprend pas seulement à quitter la terre, mais à la connaître. La foi ne donne que le nécessaire; elle ne révèle que le fait; elle livre le comment à nos disputes; elle détruit l'inquiétude, et non la curiosité; elle annonce la solution et laisse subsister le problème. Intelligible pour tous, universelle, elle ne dédaigne aucune intelligence, et fait balbutier ses dogmes aux petits enfants, tandis que la philosophie s'adresse à des esprits cultivés seulement. L'une a pour base psychologique le besoin de se soumettre, et l'autre le besoin de juger par soi-même, de voir par ses propres yeux, de ne relever que de soi. La philosophie est, par essence, l'esprit d'examen et de liberté ; et la religion, l'esprit d'abnégation, de renonciation, d'obéissance. Il y a des esprits qui se jettent dans la foi, en haine de la raison, par mépris ou par désespoir; d'autres l'embrassent par fatigue, et pour y trouver le repos après les orages de la liberté. Descartes, avant de douter, met à part les vérités de la foi comme dans une arche sainte entreprise difficile de conserver la foi intacte, en même temps qu'on rejette, même provisoirement, toute autre croyance! Il est vrai qu'admise la légitimité des deux principes, la vérité étant une, la raison et la révélation doivent être d'accord toutes les fois qu'elles sont ce qu'elles doivent être; mais si l'une s'égare et qu'il y ait désaccord sur un problème commun, pour quelque opinion

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