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Art. 28. Explication de la première partie de cette définition.

On les peut nommer des perceptions lorsqu'on se sert généralement de ce mot pour signifier toutes les pensées qui ne sont point des actions de l'âme ou des volontés, mais non point lorsqu'on ne s'en sert que pour signifier des connaissances évidentes; car l'expérience fait voir que ceux qui sont le plus agités par leurs passions ne sont pas ceux qui les connaissent le mieux, et qu'elles sont du nombre des perceptions que l'étroite alliance qui est entre l'âme et le corps rend confuses et obscures. On les peut aussi nommer des sentiments, à cause qu'elles sont reçues en l'âme en même façon que les objets des sens extérieurs, et ne sont pas autrement connues par elle; mais on peut encore mieux les nommer des émotions de l'âme, non-seulement à cause que ce nom peut être attribué à tous les changements qui arrivent en elle, c'est-àdire à toutes les diverses pensées qui lui viennent, mais particulièrement pour ce que, de toutes les sortes de pensées qu'elle peut avoir, il n'y en a point d'autres qui l'agitent et l'ébranlent si fort que font ces passions.

Art. 29. Explication de son autre partie.

J'ajoute qu'elles se rapportent particulièrement à l'âme, pour les distinguer des autres sentiments qu'on rapporte, les uns aux objets extérieurs, comme les odeurs, les sons, les couleurs ; les autres à notre corps, comme la faim, la soif, la douleur. J'ajoute aussi qu'elles sont causées, entretenues et fortifiées par quelque mouvement des esprits, afin de les distinguer de nos volontés, qu'on peut nommer des émotions de l'âme qui se rapportent à elle, mais qui sont causées par elle-même; et aussi afin d'expliquer leur derniere et plus prochaine cause, qui les distingue derechef des autres sentiments.

Art. 30. Que l'âme est unie à toutes les parties du corps conjointement.

Mais, pour entendre plus parfaitement toutes ces choses, il est besoin de savoir que l'âme est véritablement jointe à tout le corps, et qu'on ne peut pas proprement dire qu'elle soit en quelqu'une de ses parties à l'exclusion des autres, à cause qu'il est un, et en quelque façon indivisible, à raison de la disposition de ses organes, qui se rapportent tellement l'un à l'autre que, lorsque quelqu'un d'eux est ôté, cela rend tout le corps défectueux; et à cause qu'elle est d'une nature qui n'a aucun rapport à l'étendue, ni aux dimen

sions ou autres propriétés de la matière dont le corps est composé, mais seulement à tout l'assemblage de ses organes, comme il paraît de ce qu'on ne saurait aucunement concevoir la moitié ou le tiers d'une âme, ni quelle étendue elle occupe, et qu'elle ne devient point plus petite de ce qu'on retranche quelque partie du corps, mais qu'elle s'en sépare entièrement lorsqu'on dissout l'assemblage de ses organes.

Art. 31. Qu'il y a une petite glande dans le cerveau en laquelle l'âme exerce ses fonctions plus particulièrement que dans les autres parties.

Il est besoin aussi de savoir que, bien que l'âme soit jointe à tout le corps, il y a néanmoins en lui quelque partie en laquelle elle exerce ses fonctions plus particulièrement qu'en toutes les autres; et on croit communément que cette partie est le cerveau, ou peutêtre le cœur le cerveau, à cause que c'est à lui que se rapportent les organes des sens; et le cœur, à cause que c'est comme en lui qu'on sent les passions. Mais en examinant la chose avec soin, il me semble avoir évidemment reconnu que la partie du corps en laquelle l'âme exerce immédiatement ses fonctions n'est nullement le cœur, ni aussi tout le cerveau, mais seulement la plus intérieure de ses parties, qui est une certaine glande fort petite, située dans le milieu de sa substance, et tellement suspendue au-dessus du conduit par lequel les esprits de ses cavités antérieures ont communication avec ceux de la postérieure, que les moindres mouvements qui sont en elle peuvent beaucoup pour changer le cours de ces esprits, et réciproquement que les moindres changements qui arrivent au cours des esprits peuvent beaucoup pour changer les mouvements de cette glande.

Art. 32. Comment on connaît que cette glande est le principal siége de l'âme.

La raison qui me persuade que l'âme ne peut avoir en tout le corps aucun autre lieu que cette glande où elle exercé immédiatement ses fonctions est que je considère que les autres parties de notre cerveau sont toutes doubles, comme aussi nous avons deux yeux, deux mains, deux oreilles, et enfin tous les organes de nos sens extérieurs sont doubles; et que, d'autant que nous n'avons qu'une seule et simple pensée d'une même chose en même temps, il faut nécessairement qu'il y ait quelque lieu où les deux images qui viennent par les deux yeux, où les deux autres impressions qui viennent d'un seul objet par les doubles organes des autres sens, se puissent assembler en une avant qu'elles parviennent à l'âme, afin qu'elles ne lui représentent pas deux objets au lieu

d'un et on peut aisément concevoir que ces images ou autres impressions se réunissent en cette glande par l'entremise des esprits qui remplissent les cavités du cerveau; mais il n'y a aucun autre endroit dans le corps où elles puissent ainsi être unies sinon ensuite de ce qu'elles le sont en cette glande.

Art. 33. Que le siége des passions n'est pas dans le cœur.

Pour l'opinion de ceux qui pensent que l'âme reçoit ses passions dans le cœur, elle n'est aucunement considérable, car elle n'est fondée que sur ce que les passions y font sentir quelque altération; et il est aisé à remarquer que cette altération n'est sentie comme dans le cœur que par l'entremise d'un petit nerf qui descend du cerveau vers lui, ainsi que la douleur est sentie comme dans le pied par l'entremise des nerfs du pied, et les astres sont aperçus comme dans le ciel par l'entremise de leur lumière et des nerfs optiques en sorte qu'il n'est pas plus nécessaire que notre âme exerce immédiatement ses fonctions dans le cœur pour y sentir ses passions, qu'il est nécessaire qu'elle soit dans le ciel pour y voir les astres.

Art. 34. Comment l'âme et le corps agissent l'un contre l'autre.

Concevons donc ici que l'âme a son siége principal dans la petite glande qui est au milieu du cerveau, d'où elle rayonne en tout le reste du corps par l'entremise des esprits, des nerfs et même du sang, qui, participant aux impressions des esprits, les peut porter par les artères en tous les membres; et, nous souvenant de ce qui a été dit ci-dessus de la machine de notre corps, à savoir, que les petits filets de nos nerfs sont tellement distribués en toutes ses parties, qu'à l'occasion des divers mouvements qui y sont excités par les objets sensibles ils ouvrent diversement les pores du cerveau, ce qui fait que les esprits animaux contenus en ces cavités entrent diversement dans les muscles, au moyen de quoi ils peuvent mouvoir les membres en toutes les diverses façons qu'ils sont capables d'être mus, et aussi que toutes les autres causes qui peuvent diversement mouvoir les esprits suffisent pour les conduire en divers muscles; ajoutons ici que la petite glande qui est le principal siége de l'âme est tellement suspendue entre les cavités qui contiennent ces esprits, qu'elle peut être mue par eux en autant de diverses façons qu'il y a de diversités sensibles dans les objets; mais qu'elle peut aussi être diversement mue par l'âme, laquelle est de telle nature qu'elle reçoit autant de diverses impressions en elle, c'està-dire qu'elle a autant de diverses perceptions, qu'il arrive de divers

mouvements en cette glande; comme aussi réciproquement la machine du corps est tellement composée que de cela seul que cetle glande est diversement mue par l'âme, ou par telle autre cause que ce puisse être, elle pousse les esprits qui l'environnent vers les pores du cerveau, qui les conduisent par les nerfs dans les muscles, au moyen de quoi elle leur fait mouvoir les membres.

Art. 35. Exemple de la façon que les impressions des objets s'unissent en la glande qui est au milieu du cerveau.

Ainsi, par exemple, si nous voyons quelque animal venir vers nous, la lumière réfléchie de son corps en peint deux images, une en chacun de nos yeux ; et ces deux images en forment deux autres, par l'entremise des nerfs optiques, dans la superficie intérieure du cerveau qui regarde ses cavités; puis de là, par l'entremise des esprits dont ses cavités sont remplies, ces images rayonnent en telle sorte vers la petite glande que ces esprits environnent, que le mouvement qui compose chaque point de l'une des images tend vers le même point de la glande vers lequel tend le mouvement qui forme le point de l'autre image, laquelle représente la mème partie de cet animal: au moyen de quoi les deux images qui sont dans le cerveau n'en composent qu'une seule sur la glande, qui, agissant immédiatement contre l'âme, lui fait voir la figure de cet animal.

Art, 36. Exemple de la façon que les passions sont excitées en l'âme.

Et, outre cela, si cette figure est fort étrangère et fort effroyable, c'est-à-dire si elle a beaucoup de rapport avec les choses qui out été auparavant nuisibles au corps, cela excite en l'àme la passion de la crainte, et ensuite celle de la hardiesse, ou bien celle de la peur et de l'épouvante, selon le divers tempérament du corps ou la force de l'âme, et selon qu'on s'est auparavant garanti par la défense ou par la fuite contre les choses nuisibles auxquelles l'impression présente a du rapport; car cela rend le cerveau tellement disposé en quelques hommes, que les esprits réfléchis de l'image ainsi formée sur la glande vont de là se rendre partie dans les nerfs qui servent à tourner le dos et remuer les jambes pour s'enfuir, et partie en ceux qui élargissent ou étrécissent tellement les orifices du cœur, ou bien qui agitent tellement les autres parties d'où le sang lui est envoyé, que, ce sang y étant raréfié d'autre façon que de coutume, il envoie des esprits au cerveau qui sont propres à entretenir et fortifier la passion de la peur, c'est-à-dire qui sont propres à tenir ouverts ou bien à ouvrir derechef les pores du cer

veau qui les conduisent dans les mêmes nerfs car de cela seul que ces esprits entrent en ces pores ils excitent un mouvement particulier en cette glande, lequel est institué de la nature pour faire sentir à l'âme cette passion; et pour ce que ces pores se rapportent principalement aux petits nerfs qui servent à resserrer ou élargir les orifices du cœur, cela fait que l'âme la sent principalement comme dans le cœur.

Art. 37. Comme il paraît qu'elles sont toutes causées par quelque mouvement des esprits.

Et pour ce que le semblable arrive en toutes les autres passions, à savoir, qu'elles sont principalement causées par les esprits qui sont contenus dans les cavités du cerveau, en tant qu'ils prennent leur cours vers les nerfs qui servent à élargir ou étrécir les orifices du cœur, ou à pousser diversement vers lui le sang qui est dans les autres parties, ou, en quelque autre façon que ce soit, à entretenir la même passion, on peut clairement entendre de ceci pourquoi j'ai mis ci-dessus en leur définition qu'elles sont causées par quelque mouvement particulier des esprits.

Art. 38. Exemple des mouvements du corps qui accompagnent les passions et ne dépendent point de l'âme.

Au reste, en même façon que le cours que prennent ces esprits vers les nerfs du cœur suffit pour donner le mouvement à la glande par lequel la peur est mise dans l'àme, ainsi aussi, par cela seul que quelques esprits vont en même temps vers les nerfs qui servent à remuer les jambes pour fuir, ils causent un autre mouvement en la même glande par le moyen duquel l'âme sent et aperçoit cette fuite, laquelle peut en cette façon être excitée dans le corps par la seule disposition des organes et sans que l'àme y contribue.

Art. 39. Comment une même cause peut exciter diverses passions en divers. hommes.

La même impression que la présence d'un objet effroyable fait sur la glande, et qui cause la peur en quelques hommes, peut exciter en d'autres le courage et la hardiesse; dont la raison est que tous les cerveaux ne sont pas disposés en même façon, et que le même mouvement de la glande qui en quelques-uns excite la peur fait dans les autres que les esprits entrent dans les pores du cerveau qui les conduisent partie dans les nerfs qui servent à remuer les mains pour se défendre, et partie en ceux qui agitent et

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