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particulière que nous désignons sous le nom de rapport significatif.

Il y a donc dans la sensation-signe quelque chose de plus que dans les autres perceptions qui résultent de l'activité de nos organes, et ce quelque chose est un rapport significatif. Voyons à présent comment se forme la sensation-signe.

Lorsque le centre de perception établit un simple rapport comparatif ou de cause à effet entre deux objets, entre deux perceptions, son activité se borne à se laisser impressionner par les accidents qui résultent de son examen. Dans l'établissement du rapport significatif, l'activité du centre de perception se complique d'un nouvel élément, et cet élément est représenté par l'exécution ou la provocation de certains mouvements exécutés par nos organes.

Pendant que le centre de perception s'applique à distinguer une perception de toute autre, il établit entre cette perception distinguée et des mouvements qu'il provoque dans ses organes un lien particulier, mais de telle façon que, toutes les fois que les mêmes mouvements seront exécutés, ils rappelleront dans le centre percevant la perception à laquelle ils sont liés; et réciproquement, toutes les fois que la perception apparaîtra dans le centre percevant, elle rappellera le mouvement des organes auquel elle a été liée. Ce lien, désormais indissoluble, est ce que nous désignons sous le nom de rapport significatif. Ce rapport se distingue de tous les autres en ce que pour lui seulement le centre de perception établit un lien entre son activité sensible et son activité motrice.

Mais, pour avoir une idée complète de la sensationsigne, il ne suffit pas d'indiquer la nature, l'essence du rapport sur lequel elle repose; nous devons encore indiquer la forme sensible sous laquelle nous nous donnons la perception de ce rapport.

Nous verrons plus loin que nous donnons une forme sensible à tous les rapports en général par le moyen des

signes du langage. C'est en disant: plus grand, plus court, cause, effet, etc., que nous désignons tous les rapports. Or comment désignons-nous le rapport significatif?

Le rapport significatif ne fait pas exception à la règle commune. Le signe-langage, le mot, le nom, sont la forme sensible à travers laquelle nous percevons le rapport significatif, mais à une condition expresse. Tandis que les mots plus grand, plus court, cause, effet, etc., représentent les termes du rapport établi entre deux perceptions, le mot, en tant que mot, doit exprimer lui aussi les termes du rapport établi entre le mouvement de nos organes et une perception déterminée. Si le mot ne rappelait dans l'esprit qu'un des termes du rapport, c'est-àdire le mouvement de nos organes, il ne serait pas une sensation-signe. Il faut donc que le mot exprime à la fois les deux termes du rapport établi : le mouvement de nos organes et la perception déterminée. A cette condition, le mot est la forme sensible sous laquelle nous percevons tout rapport significatif. Le mot Rutlac ne sera pas une sensation-signe parce qu'il ne réveille pas un des termes du rapport significatif, c'est-à-dire la perception déterminée. Rutlac, n'ayant pas de signification, est tout simplement un son résultant de l'activité de nos organes.

Nous disions plus haut que tout rapport reçoit une forme sensible dans le mot. Rien n'est plus certain. Dès lors nous pouvons dire que l'expression du rapport significatif est sous-entendue dans l'expression d'un rapport quelconque. En effet, les mots plus grand, plus court, cause, effet, n'expriment bien le rapport établi entre deux perceptions que si les signes-langages plus grand, plus court, etc., expriment exactement le rapport significatif entre le mouvement de nos organes et la perception grand, etc.

Nous connaissons à présent toutes les conditions de formation de la sensation-signe. Mais cette dénomination nouvelle est trop importante dans l'étude du mécanisme

de la pensée pour que nous ne prévenions pas les objections, très-possibles dans un sujet aussi difficile que délicat.

Nous nous sommes aperçu d'ailleurs que quelques auteurs, depuis la publication de notre Physiologie de la voix et de la parole en 1866, ont développé des idées analogues aux nôtres, mais avec des nuances cependant qui nous imposent l'obligation d'être tout à fait précis dans l'expression de notre pensée.

Pourquoi donner, dira-t-on peut-être, le nom de sensation à l'expression d'un rapport formulé par le mouve ment de nos organes? Notre réponse est très-facile.

Il ne faut pas oublier que nous avons classé la sensationsigne parmi les perceptions qui résultent de l'activité de nos organes. Or, nous avons démontré que c'est par l'intermédiaire de ces perceptions, provoquées par notre propre activité, que le moi connaît cette activité même. Par conséquent nous étions autorisé à donner le nom de sensation-signe au résultat qui fait connaître au moi le mouvement significatif de nos organes.

Mais, dira-t-on encore, comment distinguez-vous la sensation-signe des autres sons ou des autres signes mimiques? La réponse est plus facile encore et nous permet d'insister sur quelques particularités de la sensationsigne.

Les impressions sonores et les impressions mimiques, résultant du mouvement significatif de nos organes, sont transformées sans doute par le centre de perception en son et en image, car les organes de l'ouïe et de la vue ne peuvent transmettre que le mouvement sonore et le mouvement lumineux. Mais, en vertu de l'association intime que l'intelligence a établie entre les mouvements-signes et la perception qu'ils doivent signifier, le son ou l'image, résultant de ces mouvements, réveilleront en même temps dans le centre de perception le souvenir de la perception dont les mouvements ont été le prétexte. D'ailleurs ce réveil est absolument nécessaire, car, sans lui, le son,

l'image, n'auraient pas la valeur d'une sensation-signe comme nous l'avons expliqué plus haut.

Ainsi donc, la sensation signe se distingue essentiellement des perceptions sonores ou visuelles simples, en ce qu'elle réveille en même temps les deux termes du rapport qui caractérisent toute sensation-signe. Ce réveil nécessaire nous explique pourquoi nous parlons notre pensée; il nous explique encore pourquoi nous parlons le discours de l'orateur qui nous charme (1).

Nous usons si fréquemment du rapport significatif que notre attention s'arrête rarement quand on nous parle, quand nous parlons ou quand nous lisons, à la notion de ce rapport. Mais, s'il se présente dans le discours un mot insolite, on cherche à trouver l'autre terme du rapport significatif; on possède le premier, c'est-à-dire le mouvement des organes, le son; mais on ignore quelle perception a été associée par d'autres, plus instruits, à ces mouvements spéciaux. Dans ce cas, beaucoup de personnes font de l'analyse physiologique sans le savoir.

D'après l'exposé qui précède, la sensation-signe est une création de l'intelligence, inspirée par le besoin de représenter tout ce qu'elle sent, par des mouvements-signes. Dans cette création, elle se sert des sens spéciaux de la vue ou de l'ouïe, comme moyens de transmission, mais elle caractérise ces sensations spéciales en les imprégnant de sa création, c'est-à-dire en les obligeant de réveiller dans le centre de perception la notion qui a motivé leur intervention. C'est par ce procédé qu'elle rend matériellement possible le rapport qu'elle a établi, car un rapport, chose purement idéale, doit être représenté par une forme

(1) Dans les opérations silencieuses de la pensée, il semble parfois que notre ouïe soit impressionnée par une voix étrangère, mais c'est nous qui parlons forcément pour penser. Avec un peu d'exagération dans l'esprit nous pourrions dire que ceci est « une hallucination vraie », tant il est vrai que la maladie est bien près de la santé. Mais à certains psychologues seulement il est permis de confondre la physiologie avec la pathologie et de considérer les phénomènes normaux de la vie comme des phénomènes morbides.

tangible, matérielle. Cette formule est inscrite dans le mécanisme que nous venons de décrire et qui explique de la façon la plus satisfaisante ce qu'on doit entendre par sensation-signe. La sensation-signe est la perception spéciale qui est provoquée par le mouvement significatif de nos organes.

L'invention de la sensation-signe ne nous a pas été inspirée par le désir d'innover. Dans notre travail sur la Physiologie de la voix et de la parole, nous avions déjà parlé de cette sensation spéciale, et nous avions donné à l'ensemble des actes voulus et perçus par le moi, qui constituent le langage, le nom de sens de la pensée. Ces dénominations nous paraissent justes et très-légitimes; il est évident, en effet, que l'intelligence ne peut se rendre sensible à elle-même que par l'intermédiaire de la sensationsigne. Sur cette notion simple repose tout entier le problème de l'esprit humain. Il nous suffira, pour en donner la preuve, de passer en revue ce qu'on pourrait appeler les diverses propriétés de la sensation-signe.

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1° Idée. Le mot idée est un de ces termes que tout le monde emploie et qui n'ont pas de signification bien précise, parce que les nombreuses définitions qu'on en donne sont très-différentes. Il nous paraît possible de faire cesser cette confusion en signalant une des propriétés de la sensation-signe.

Privée de la sensation-signe, l'intelligence pourrait graver dans le souvenir l'image des causes impressionnantes; elle pourrait aussi, grâce à son activité, faire des comparaisons, établir des rapports; elle pourrait enfin avoir ce qu'on appelle des vues de l'esprit. Mais tous ces avantages, néanmoins, se réduiraient à bien peu de chose. Que serait-ce, en effet, que la faculté de reproduire par la mémoire les images, les sons, les odeurs, les saveurs, si par le mouvement et la vie que la sensation-signe donne à ces diverses perceptions nous ne pouvions exercer cette faculté merveilleuse que nous appelons imagination?

Que serait une comparaison, un rapport, si par la sen

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