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Le résultat de cette simultanéité d'impression est un phénomène de conscience sensible, l'individu a conscience qu'il est impressionné de plusieurs façons, et, en même temps, il sent que c'est toujours le même élément cérébral qui est affecté.

Mais la perception visuelle actuelle ne se borne pas à rappeler dans le souvenir des perceptions visuelles de souvenir; elle peut aussi y appeler des perceptions de saveur, de goût, d'odeur; ces activités diverses, permanentes pendant que la perception actuelle est également maintenue en permanence par le mouvement impressionneur, donnent le sentiment de l'unité du moi par la simultanéité des mouvements produits et par celle des impressions perçues.

On nous objectera peut-être que les cellules qui sont le siége du phénomène perception-odeur ne sont pas les mêmes qui président au phénomène perception-image. Rien n'est plus juste. Les couches optiques sont composées, en effet, des divers centres qui recueillent les six variétés d'impres sion capables de réveiller le phénomène-perception, et il est évident qu'à chacun de ces centres correspondent des perceptions spéciales. Par conséquent, lorsque le centre optique, par exemple, réveillé par une impression, réveille à son tour, dans la périphérie corticale, les cellules qui représentent des notions de son, ces dernières n'iront pas se reproduire à l'état de souvenir dans le centre optique, mais dans le centre acous, .que

Il semble dès lors qu'il y ait incompatibilité entre cette variété de siége du phénomène-perception et l'unité du moi; il semble que le moi qui entend ne peut pas être le même que le moi qui voit, puisque le siége de ces perceptions est différent. Illusion. Grâce à la simultanéité des mouvements qui produisent le phénomène perception-son et perception-image; grâce aux liens non interrompus qui unissent la perception actuelle et la perception de souvenir, cette double perception ne constitue, en définitive, qu'un même phé

nomène vital, variant plus ou moins d'intensité d'un côté ou d'un autre, selon que l'attention se repose davantage du côté de la perception actuelle ou du côté de la perception de souvenir.

En général, il y a toujours une perception qui domine toutes les autres dans le réveil simultané de plusieurs perceptions cette perception représente les notes de la basse dans une symphonie, et les notes du chant représentent les autres perceptions de souvenir successivement réveillées. La comparaison est plus complétement juste qu'on ne pourrait le croire au premier abord.

Le réveil des perceptions suit un ordre logique qui résulte de leur classement organique. Or, dans ce réveil, on peut constater que l'un des cinq centres des couches optiques remplit, alternativement avec les autres, l'office de basse; il y a toujours une perception-basse qui sert de support au réveil de toutes les autres, et tantôt cette perception est une odeur, tantôt une saveur, tantôt un toucher, tantôt une vue (c'est la plus fréquente), tantôt un son, tantôt un sentiment provenant de la vie organique ou de la vie fonctionnelle. La perception-basse n'a donc pas la même provenance dans le courant des opérations de la pensée, et, de même que les notes de la basse varient dans une symphonie, de même, dans l'exercice de la pensée, la perception-basse provient alternativement des divers centres des couches optiques.

Malgré ces provenances diverses du phénomène-perception, l'unité du moi n'en est pas moins réelle; elle est aussi réelle que l'unité de la symphonie si cette dernière résulte de la production harmonieuse et simultanée d'un certain nombre de sons différents, la première résulte de la production, non moins harmonieuse et simultanée, d'un certain nombre de phénomènes organiques distincts.

Ainsi donc les centres de perception sont multiples dans les couches optiques, et à chacun correspondent des perceptions spéciales; mais cette variété de siège du

centre percevant n'implique pas la non-possibilité de l'unité du moi. Grâce aux liens anatomiques qui unissent les divers centres entre eux; grâce aux liens qui unissent ces centres aux cellules de la périphérie corticale unies également entre elles; grâce enfin à la simultanéité et à la permanence du mouvement dans les éléments celluloimpressionneurs des divers centres, la perception simultanée de deux impressions est possible, sans que cela compromette en rien l'unité du moi cette unité est représentée par les liens anatomiques en état d'activité qui unissent, soit directement, soit indirectement, un centre des couches optiques avec un autre centre par l'intermédiaire d'une cellule de la périphérie corticale (1).

Jusqu'ici nous n'avons considéré l'unité du moi que dans ses rapports avec la perception des impressions, c'est-àdire le moi percevant, le moi correspondant à la conscience de l'être sensible; nous devons faire un pas de plus.

Donnez à l'être sensible, dont nous venons d'étudier le moi, des notions intelligentes, et appliquez à ces notions le même raisonnement que nous avons fait à propos des notions sensibles, et vous aurez le moi intelligent. Mais le moi intelligent n'est pas le moi pensant; il faut lui donner un peu plus; il faut lui donner des signes au moyen desquels il puisse représenter ces notions diverses, et parmi ces signes ne pas oublier ceux qui doivent représenter le moi pensant, c'est-à-dire le mot je.

Comme nous l'avons dit à propos du phénomène de conscience, le sentiment du moi n'est pas dans les signes; il est dans les notions acquises, dans ces notions qui représentent l'élément de la pensée : les signes ne donnent à ce dernier que la forme et le mouvement.

Il en est de même pour ce qui concerne l'unité du moi: le mot je représente cette unité, mais il ne la constitue pas; l'unité est dans le sentiment que nous avons que

(1) Voir page 42 ce que nous.disons au sujet du centre de perception.

c'est le même moi qui perçoit toutes les notions intelligentes et dans le sentiment que ce moi est en nous et non en dehors de nous, dans le sentiment enfin que ce moi qui perçoit est le même que celui qui veut, et qui provoque des actes intelligents parmi lesquels sont les signes du langage.

Le mot je représente tout cela, mais il n'est pas luimême tout cela. Par l'habitude cependant le mot finit par s'identifier si bien aux choses qu'il représente, que l'énonciation seule du mot je réveille simultanément toutes les notions qui lui ont été associées. Je est devenu la formule abrégée de la notion complexe de l'unité du moi.

L'unité du moi pensant est évidemment la conséquence de l'unité du moi percevant. Le moi pensant, en effet, n'est autre chose que le moi percevant s'exerçant, non plus sur des notions simples, mais sur des notions-signes, c'est-àdire sur des perceptions suivies de mouvements exécutés par un de nos organes.

Ici encore nous trouvons des éléments très-divers concourant à l'unité du moi; mais le mécanisme est le même.

Les mots prennent la place des perceptions, et, dans l'harmonieuse symphonie que produisent les diverses activités organiques, la basse est représentée par un mot qui est le point de départ et le soutien des autres mots que le souvenir réveille; ce mot varie nécessairement avec le cours et la direction de la pensée, mais il y en a toujours un c'est le mot-guide, le mot-réveil.

C'est ainsi qu'en ramenant toutes ses opérations à une perception-mère, à une perception qui est le point. de départ des autres, et qui se maintient en puissance comme phénomène-perception pendant que d'autres perceptions sont réveillées dans le souvenir, le moi pensant conserve le sentiment de son unité; c'est toujours lui qui chante, mais l'objet de son thème a varié.

D'après ce qui précède, l'unité du moi percevant et l'u

nité du moi pensant ne sont pas le fait, comme le prétendent certains psychologues, d'un principe conscient et indépendant de la matière. Ces unités sont la résultante de diverses activités organiques s'enchaînant de manière à donner naissance au sentiment très-réel de l'unité du moi. La conscience et le moi constituent ce que les physiologistes de Montpellier, avec Barthez, Lordat, désignent sous le nom de sens intime, en le distinguant à bon droit du principe vital. La chose que le sens intime représente, doit être en effet distinguée du principe de vie; mais ce n'était pas une raison suffisante pour faire du sens intime un principe distinct et supérieur au principe vital. Il est évident, d'après tout ce que nous avons dit, que le sens intime n'est autre chose que le principe de vie lui-même, uni aux éléments histologiques du cerveau, et provoquant le réveil des notions acquises ainsi que l'acte tacite de la parole dans un but moral, imaginaire ou raisonnable, et, dans tous les cas, pour regarder au dedans de soi-même.

§ II.

DE LA notion VOLONTÉ.

De même que la conscience est une notion qui représente une certaine manière de sentir, de même la volonté est une notion que nous appliquons à une certaine façon d'agir.

Pour montrer plus clairement comment cette notion se développe, nous examinerons successivement les mouvements volontaires, la volonté et la liberté, et nous terminerons cet examen par un aperçu historique et critique.

1° Mouvements volontaires. Sous l'influence d'une impression, l'animal se meut, fuit ou approche; mais, dans l'accomplissement de ces actes, la volonté est absente, et les mouvements exécutés ne sont point co

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