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TROISIÈME PARTIE.

NOTIONS ET SENTIMENTS QUI REPRÉSENTENT LES MODES SUPÉRIEURS DE L'ACTIVITÉ PSYCHIQUE.

Après avoir énuméré toutes les manières de sentir dont l'homme est susceptible; après avoir montré comment nous classons, dans notre esprit, ces perceptions diverses sous forme de notions sensibles et de notions intelligentes; après avoir indiqué comment ces acquisitions peuvent être ramenées dans le champ du souvenir; après avoir déterminé les divers modes de l'activité locomotrice, après avoir fait connaître enfin le mécanisme de la fonction-langage, il se trouve que nous avons épuisé la liste des éléments fondamentaux dont la connaissance est indispensable à l'appréciation judicieuse des questions qui constituent le fond même de la psychologie.

Ces questions importantes concernent ce qu'on désigne habituellement sous le nom de facultés de l'âme, et comprennent la conscience, la volonté, la liberté, la pensée, la raison, l'imagination, les sentiments et les passions.

A notre tour nous allons nous occuper du même sujet, mais en désignant sous les noms de notions et de sentiments, représentant les modes supérieurs de l'activité psychique, ce qu'on était convenu d'appeler jusqu'à présent facultés de l'âme.

C'est ainsi que la conscience est pour nous la notion spéciale que nous retirons d'une certaine manière de

sentir, et elle est du domaine de l'activité sensible et intelligente; la volonté est la notion que nous retirons d'une certaine façon d'agir, et elle appartient au domaine de l'activité motrice; la pensée, la raison, l'imagination, sont des notions que nous retirons d'une certaine façon de sentir et d'agir avec l'aide nécessaire des signes du langage, et elles appartiennent au domaine de toutes les activités. fondamentales réunies; enfin les besoins et les passions, tels que le besoin d'entrer en relation avec soi-même et avec ses semblables, l'égoïsme, l'orgueil, etc., sont des sentiments de l'individualité.

Nous espérons pouvoir justifier cette nouvelle manière d'interpréter les faits de la psychologie. Pour le moment, bornons-nous à signaler l'enchaînement logique des idées. Cette partie de notre livre, en effet, semble n'être qu'un corollaire obligé des précédentes.

Dans un premier chapitre, nous examinerons les notions; dans le second, nous nous occuperons des sentiments.

CHAPITRE PREMIER.

Notions qui représentent les modes supérieurs de l'activité psychique.

§ I.

LA notion CONSCIENCE. - L'UNITÉ PSYCHIQUE.

LE MOI.

De la conscience. Si l'on en croyait certains physiologistes, et en particulier M. Cl. Bernard, ce sujet doit rester à jamais étranger aux investigations du physiologiste :

« Le physiologiste, dit M. Cl. Bernard, ne doit donc pas trop s'arrêter à ces interprétations (au sujet de la conscience); il lui suffit de savoir que les phénomènes de l'intelligence et de la conscience, quelque inconnus qu'ils soient dans leur essence,quelque extraordinaires qu'ils nous apparaissent, exigent pour se manifester des conditions organiques ou anatomiques, des conditions physiques et chimiques qui sont accessibles à ses investigations, et c'est dans ces limites exactes qu'il circonscrit son domaine (1). »

Évidemment M. Cl. Bernard ne veut étudier que le phénomène, physico-chimique, de la vie. C'est la part qu'il s'est attribuée dans l'étude de la science de l'homme et cette part est belle assurément. Est-ce une raison, néanmoins, pour nier tout ce dont on ne peut s'occuper? Quelques intéressés peuvent le croire.

(1) Discours de réception à l'Académie française.

De notre côté, nous abandonnerions l'étude si attrayante de la physiologie s'il ne nous était pas permis d'étudier son plus beau chapitre dans le cerveau, en ce point où la méthode expérimentale et la méthode psychologique doivent se prêter un mutuel concours dans la recherche de la vérité.

Sans nul doute, notre prétention ne se borne pas à faire de la conscience un chapitre de physiologie; nous ne prétendons pas dire avec M. Murphy « que la conscience est due à un courant secondaire, qui accompagne le courant principal de la sensation, à travers les nerfs de la conscience (1). » Non certes, mais nous pensons que sur ce terrain délicat l'intervention d'une physiologie bien comprise peut n'être pas inutile.

Le mot conscience a reçu des acceptions bien diverses; il n'est donc pas inutile de préciser le sens dans lequel nous entendons nous occuper de la conscience.

La conscience est le sentiment que nous avons des diverses modifications que les causes impressionnantes déterminent en nous; elle est aussi le sentiment que nous avons de notre activité en tant qu'individualité. Ce sentiment, distingué de tout autre, par un rapport spécial, constitue la notion-conscience.

Cette définition nous permet de distinguer deux modes dans la conscience: l'un, qui se rapporte au moi, percevant une impression quelconque; l'autre, qui se rapporte au moi provoquant des actes de quelque nature qu'ils soient, et, par conséquent, les actes tacites de la fonction-langage.

Nous considérerons successivement la conscience de l'être sensible et la conscience de l'être intelligent. La première est exclusivement propre à l'animal; la seconde et la première appartiennent toutes deux à l'homme.

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1° Conscience de l'être sensible. — La conscience de l'être sensible est le sentiment que nous avons des variables

(1) J.-J. Murphy. Habit and intelligence. London, 1868.

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