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eut guère de demoiselle mariée à qui elle n'ait donné des avis de tout genre, mais ces lettres ont été perdues, et nous n'avons que celles que les Dames de Saint-Cyr avaient pu conserver. Les Avis généraux sont très-remarquables: on y trouve toute la hauteur de pensées, la raison suprême, la netteté d'idées et d'expressions que nous avons admirées dans les instructions aux Dames et aux demoiselles sur des sujets moins importants ou moins difficiles à traiter. Ces Avis sont en petit nombre, et il ne pouvait en être autrement : des généralités sur les dangers du monde, des instructions dogmatiques sur la conduite qu'on doit y tenir, ne pouvaient être nombreuses qu'à la condition presque certaine d'être monotones, d'exciter l'ennui, de n'être ni lues ni écoutées. Mme de Maintenon, pour varier et multiplier ses conseils sur un sujet d'une telle importance, s'imagina, avec son bon sens tout pratique, de les présenter sous une autre forme, plus saisissante, plus vive, plus attrayante, où elle put sans danger, au moyen d'un dialogue amusant et à l'abri d'une fiction dramatique, traiter tous les sujets de morale, donner les enseignements les plus familiers, entrer dans les détails les plus directs, enfin frapper l'esprit, pénétrer le cœur de ses chères filles, et « les instruire en les divertissant'. » C'est alors qu'elle se mit à écrire les Conversations.

L'idée de ces petites compositions dramatiques lui avait été donnée par Mlle de Scudéry qui publia, de

1 Lettres sur l'éducation des filles, p. 171.

1680 à 1690, 10 vol. de Conversations sur divers sujets, de Conversations morales, etc. Les deux volumes qui parurent en 1690 avaient été faits à la demande de Mme de Maintenon et destinés à la maison de SaintLouis. Ce fut en effet l'une des lectures habituelles des demoiselles pendant un ou deux ans, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où l'éducation donnée à Saint-Cyr fut réformée et rendue plus sévère. C'est alors aussi que Mme de Maintenon commença à substituer aux Conversations de Mule de Scudéry', qui sont très-morales, mais aussi très-prétentieuses, plus païennes qu'évangéliques, et par dessus tout ennuyeuses, ses propres Conversations, qui sont essentiellement chrétiennes, sensées, pratiques et généralement fort intéressantes.

« Ces Conversations, dit Languet de Gergy', pleines d'esprit, de sentiment, de réparties vives et agréables, sont préparées pour chaque classe et proportionnées à l'âge des enfants. »

« Je ne trouve rien de plus sensé, ni de plus divertissant, écrivait l'évêque de Chartres, GodetDesmarets. Je ne sais rien de plus propre aux enfants

1 Elle écrivait à Mme de Montfort, Dame de Saint-Louis, le 20 septembre 1691: « Élevez vos filles bien humblement; ne songez qu'à les instruire dans la religion; n'élevez pas leur cœur et leur esprit par des maximes païennes parlez-leur de celles de l'Évangile. Ne leur apprenez pas les Conversations que j'avois demandées (celles de Mlle de Scudéry); laissez tomber toutes ces choses là sans en rien dire. » (Lettres historiques et édifiantes, t. I, p. 175).

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2 Mémoires manuscrils pour servir à l'histoire de la maison de Saint-Louis, t. I.

pour leur insinuer la sagesse, et tout se sent, dans ces écrits, de la source dont ils viennent. Il faut former la raison des jeunes gens, les dresser aux devoirs de la vie civile, leur apprendre les bienséances que la religion approuve, et tout doit être, comme je le vois dans les écrits que vous m'envoyez, traité selon les lois de la philosophie du monde, mais rectifié par la piété et subordonné aux grandes règles du christianisme '. »

Les Conversations servirent aussi à l'instruction des Dames de Saint-Louis, en leur apprenant ce qu'elles avaient à dire aux demoiselles sur le monde et ses dangers. «Elles ont été faites, dit Mme de Maintenon, pour éclairernos Dames, qui ne peuvent guère savoir, ayant été élevées à Saint-Cyr, que rien n'est si dangereux que les mauvaises compagnies; qu'on ne peut avoir trop de soin de sa réputation; qu'il ne faut jamais recevoir de présents des hommes; qu'il faut les éviter comme nos plus grands ennemis, etc. 2 »

Les Conversations eurent un très-grand succès à Saint-Cyr et même à la cour. « Le Roi, dit Languet de Gergy, et les princes qui l'accompagnoient dans ses visites à Saint-Cyr goûtèrent beaucoup ces exercices, et Mme de Maintenon en prépara quelques-uns où elle faisoit entendre aux uns et aux autres de bonnes vérités 3. » C'est ce que démontre en effet la Conver

'Lettre à Mme de Fontaines, supérieure de la maison de SaintLouis, dans les Leltres sur l'éducation des filles, p. 146.

2 Lettres sur l'éducation des filles, p. 311.

3 Mémoires manuscrits pour servir à l'histoire de la maison de Saint-Louis, t. 1.

sation sur les Discours populaires 1, celle sur la Faveur, etc. La duchesse de Bourgogne y prit un très-grand plaisir, et plus d'un avis lui fut donné, plus d'un reproche lui fut fait sous le couvert de ces jeux d'esprit ; elle aimait à y faire elle-même son personnage. Quelques Dames imitèrent Mme de Maintenon et composèrent aussi des Conversations, mais elles n'y réussirent pas, sauf Mme de Glapion, «< qui a fort approché de son modèle, » dit La Beaumelle. Ces Conversations ont été perdues. Enfin les demoiselles se mirent elles-mêmes de la partie, mais Mme de Maintenon leur défendit ce genre d'écrits: « Arrêtez tout court les Conversations des demoiselles, écrivait-elle à Mme de Berval; elles n'ont pas assez d'expérience pour rien dire de bon ce seroit une perte de temps et de papier qui les exciteroit sur l'eșprit et rendroit orgueilleuses celles qui y réussiroient le mieux3. >>

Les Conversations sont l'œuvre la plus parfaite de Mme de Maintenon, encore bien qu'elles aient été écrites sans prétention, au courant de la plume, à mesure qu'un sujet d'instruction se présentait *. Néanmoins quelques-unes n'offrent qu'un médiocre intérêt ou renferment des observations un peu puériles; mais il ne faut pas oublier que les Conversations étaient, outre des instructions morales, des jeux d'esprit, des exercices où l'on apprenait aux demoiselles, même des petites

1 Voir tome I, p. 338 et 468.

2 Voir les Lettres sur l'éducation, p. 171. 3 Lettres sur l'éducation des filles, p. 178. Voir tome I, p. 139.

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classes, à se tenir en public, à parler, à converser, à discuter. « Je n'ai fait les Conversations, leur disait Mme de Maintenon, que pour vous apprendre à vous entretenir ensemble, à savoir disputer sans vous quereller. Si tout le monde étoit d'abord du même avis, il n'y auroit presque rien à dire. C'est ce qui m'a fait mettre des sentiments si différents surtout dans la Conversation du mensonge. La manière de converser ne s'apprend pas comme des notes, mais l'habitude fait qu'on l'acquiert insensiblement1. >>

A part ces Conversations enfantines ou peu intéressantes, on peut dire que les autres sont des chefsd'œuvre de bon sens, de grâce et d'esprit. Nulle part la raison, cette raison que Mme de Maintenon définit en des termes dignes de Platon', ne parle un langage plus agréable, plus séduisant, plus imprévu; le style est aussi net, aussi précis, aussi ferme que dans les lettres, mais avec plus d'ornements et moins de négligences; les définitions sont si ingénieuses, si naturelles, si concises, si justes qu'elles semblent moulées dans les mots qui les expriment. Quelques-unes renferment des traits nombreux applicables au caractère et à la vie de Mme de Maintenon, d'intéressants détails de mœurs, des circonstances historiques, etc. Quelques autres semblent, par le bon goût du sujet, la vivacité, la délicatesse des pensées et même la subtilité du dialogue, des réminiscences de la jeunesse de Mme de Maintenon, de ces entretiens des hôtels

1 Recueil manuscrit d'instructions, p. 127. 2 Voir tome 1, p. 225.

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