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sible; et quand on est logé si loin de l'église qu'il est impossible que toute la maison y aille, on a soin du moins que chacun à son tour satisfasse à son devoir une fois en trois semaines.-Et à l'égard de leur curé, dit Mme de Saint-Périer, comment feront-elles? car il me semble qu'ils sont souvent mal avec le seigneur de leur paroisse?—Il est vrai, dit Mme de Maintenon, mais il faut faire tout de son mieux avec lui, et si on est obligé de soutenir ses droits, car c'est souvent sur cela qu'ils ont des différends, on ne doit pas moins les respecter, quand même, ce qui pourroit fort bien arriver, il seroit frère ou parent d'un de vos valets ou de quelques autres personnes semblables; il n'est plus question de ce qu'il est par sa naissance, il ne faut voir en lui que son caractère de ministre de Jésus-Christ, qui vous le doit rendre infiniment respectable. Et si pár malheur votre curé n'étoit point de bonnes mœurs, qu'il fût ivrogne, par exemple, faudroit-il lui manquer de respect et lui désobéir? Martigny, qu'en pensez-vous? - Je crois, dit la demoiselle, qu'il faudroit toujours respecter son caractère, et lui obéir en tout ce qui regarderoit son ministère, mais se bien garder de suivre de pareils exemples. Cela est fort bien répondu, dit Mme de Maintenon; oui, il faudroit toujours respecter son caractère qui est, comme vous le savez, ineffaçable; mais il vous seroit fort permis de n'avoir pas en lui la confiance que vous auriez en un homme saint et vertueux; d'ailleurs il faudroit toujours lui rendre les devoirs dus à son caractère, comme d'être assidu à ses instructions s'il en fait, de lui payer fort

exactement les dîmes. — Et à l'égard des pauvres de ses terres? reprit la maîtresse. — Ce sont, répondit Mme de Maintenon, les premiers pauvres qu'il faut assister, après cependant ceux de vos proches qui en auroient besoin. Mais pourquoi croyez-vous qu'on soit obligé d'assister les pauvres de ses terres préférablement aux autres ? Parce que c'est sur eux et par eux ordinairement qu'on a les revenus de son bien, et qu'il est juste de les assister. Il y a de pieuses. dames de paroisse qui prennent soin des malades, qui leur portent ou leur font porter du bouillon et autres soulagements; cela est fort bien; il y en a d'autres qui leur envoient ce qui reste sur leur table, afin que rien ne soit perdu; mais comme plusieurs d'entre vous ne seront pas en état de faire de grandes aumônes, il faudra au moins qu'elles en fassent de petites, selon leurs moyens comme de les aller voir, les consoler, les instruire, leur donner de bons conseils et choses semblables dont on trouve assez d'occasions quand on a bonne volonté. C'est encore un devoir du seigneur de prêter la main au curé pour arrêter les désordres : par exemple, si dans un village le libertinage y étoit, si au lieu d'entendre la messe les dimanches, on alloit au cabaret; si au lieu d'aller à vêpres, on passoit ce temps en danses et en jeux. Le curé ne manque pas de défendre ces choses-là, mais souvent il n'est pas obéi, on fait peu de cas de ses ordres; quand cela est, le seigneur doit l'appuyer, avertir les officiers de la justice, faire punir ceux qui ne veulent point se soumettre et qui s'obstinent dans leur désobéissance et scandalisent

la paroisse en soulevant les autres, ou en quelque autre manière que ce soit,

« Mais revenons à l'aumône: il me semble que je ne vous en ai pas dit assez sur cet article, et je crains que vous n'en soyez pas suffisamment instruites, quoique je sache bien que vous y paroissez toutes portées présentement, et que vous ne parlez des pauvres qu'en compassion, et avec un vrai désir, à ce qui semble, de les pouvoir soulager. Mais peut-être changerez-vous bien de dispositions et de sentiments quand il faudra donner de ce qui vous appartiendra, et retrancher un peu de vos commodités pour vous acquitter de ce devoir de notre religion; le croyezvous d'une obligation absolue, dites-le franchement, Chabot? Oui, Madame, dit la demoiselle, je crois que l'aumône est de nécessité de vertu, et qu'il faut faire comme le père de Tobie disoit à son fils: donner beaucoup si on a beaucoup, et peu si on a peu, mais qu'il faut toujours donner. Votre réponse me ravit, ma chère fille, répondit Mme de Maintenon, il n'y a rien à y ajouter: pratiquez ce que vous savez et vous serez sauvée. Que celles d'entre vous qui seront pauvres elles-mêmes ne se croient pas pour cela dispensées de faire l'aumône selon leur petit pouvoir; qu'elles donnent peu à la fois, mais qu'elles ne laissent pas de donner; je vous assure que Dieu leur saura plus de gré de ce peu qu'elles donneront, et qu'elles prendront peut-être sur leur nécessaire, qu'aux riches de leurs plus abondantes aumônes, car il ne regarde pas tant à la grandeur de nos actions qu'aux intentions avec lesquelles nous les fai

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sons. Donnez-moi un exemple de cette vérité tirée de l'Évangile, Dormoy? Madame, dit la demoiselle, Jésus-Christ promit qu'un verre d'eau donné à un pauvre pour l'amour de lui ne sera point sans récompense, et il eut plus agréable l'obole de la pauvre veuve que les grandes aumônes des riches. Et pourquoi cela? reprit Mme de Maintenon. cause, dit la demoiselle, de sa bonne volonté, et qu'apparemment elle auroit voulu donner davantage. C'est non-seulement pour cela, reprit Mme de Maintenon, mais parce qu'elle avoit donné de son nécessaire, et que tous les autres n'avoient donné que de leur superflu. Y a-t-il rien de plus consolant que cela, mes chers enfants, pour tous ceux qui ne sont pas en état de pouvoir donner beaucoup? en effet, si Dieu récompense si magnifiquement les aumônes des riches, et si comme Daniel disoit à Nabuchodonosor qui était un si méchant princé qu'il pouvoit racheter ses péchés par l'aumône, quelles grâces ne vous fera-t-il pas quand, pour son amour et pour obéir à sa loi qui nous oblige d'assister notre prochain dans ses besoins, vous le ferez de ce que vous aurez retranché de vos propres besoins? ou sur vos commodités et vos plaisirs, épargnant, par exemple, quelques aunes de ruban, tantôt quelques paires de gants, quelques dentelles, quelques douceurs ou agréments que vous pourriez vous procurer? tout cela sera écrit au livre de vie et vous en recevrez le centuple peut-être même dès cette vie. >>

101. A UNE DEMOISELLE DE SAINT-CYR,

NOUVELLEMENT MARIÉE.

Marly, 1699.

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Je vous accorde de tout mon cœur ce que vous me demandez pour votre enfant, et je le nomme Louis-François si c'est un garçon, et FrançoiseAdélaïde si c'est une fille. Si vous me marquez une personne que je puisse prier de le tenir pour moi, je le ferai, mais je ne sais à qui m'adresser. Je suis très-contente de votre longue lettre, et du compte que vous me rendez de la situation de votre famille et que vous serviez Dieu; si cela est, je vous trouve très-heureuse je ne puis croire que la grandeur, l'abondance, les richesses et les plaisirs fassent le bonheur; vos mauvais repas, vos vieux habits, me paroissent préférables à tout ce que je vois ici. Je ne doute point du mérite et des services de M. de G...3, mais vous savez le grand nombre d'officiers dans le même cas; le Roi, tout grand qu'il est, ne peut satisfaire tout le monde, il n'y a que Dieu qui soit assez puissant pour nous contenter. Je suis ravie de trouver un moment pour vous écrire et vous assurer de la continuation de mon amitié. Souvenez-vous de votre éducation; édifiez tout ce qui peut vous ap

Lettres édifiantės, t. IV, 1. 97.

2 Louis était le nom du Roi, Françoise celui de Mme de Maintenon, Adélaïde celui de la duchesse de Bourgogne.

3 Mari d

nuscrit.

la demoiselle. Le nom est en blanc dans le ma

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