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DE

LA BRUYÈRE

SUIVIS DES

CARACTÈRES DE THÉOPHRASTE

TRADUITS DU GREC PAR LA BRUYÈRE

AVEC DES NOTES ET DES ADDITIONS

PAR SCHWEIGHÆUSER

PARIS

LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET CIE
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56

1869

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SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

C'est un sujet continuel de scandale et de chagrin pour ceux qu aiment les bons livres et les livres bien faits, que de voir avec quelle négligence les auteurs classiques se réimpriment journellement. L'ignorance, l'étourderie, ou le faux jugement des divers éditeurs, y ont successivement introduit des fautes et des altérations de texte, que l'on répète avec une désolante fidélité. On fait plus on y ajoute chaque fois des fautes nouvelles ; et la dernière édition, ordinairement la plus belle de toutes, est souvent aussi la plus mauvaise. Que fallaitil faire pour échapper à ce reproche? Simplement recourir à la dernière édition donnée ou avouée par l'auteur, et la reproduire avec exactitude. C'est ce que nous avons fait pour les Caractères de la Bruyère. Nous ne voulons pas nous prévaloir d'un soin si facile et si peu méritoire; mais nous devons justifier, par quelques exemples, la sévérité avec laquelle nous venons de parler de ceux qui l'ont négligé.

La Bruyère, écrivain original et hardi, s'est souvent permis des expressions qu'un usage universel n'avait pas encore consacrées ; mais il a eu la prudente attention de les souligner: c'était avertir le lecteur de ses témérités, et s'en justifier par là même. L'aversion des nouveaux typographes pour les lettres italiques les a portés à impri mer ces mêmes mots en caractères ordinaires. Ce changement, qui semble être sans conséquence, fait disparaître chaque fois la trace d'un fait qui n'est pas sans utilité pour l'histoire de notre langue; il LA BRUYÈRE.

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nous empêche de connaître à quelle époque tel mot, employé aujourd'hui sans scrupule, n'était encore qu'un néologisme plus ou moins audacieux. Nous avons rétabli partout les caractères italiques.

La Bruyère ne peint pas toujours des caractères; il ne fait pas tou jours de ces portraits où l'on doit reconnaître, non pas un individu, mais une espèce. Quelquefois il particularise, et écrit des personnalités, tantôt malignes, tantôt flatteuses. Alors, pour rendre la satire moins délicate, ou la louange plus directe, il use de certains artifices qui ne trompent aucun lecteur; il jette, sur son expression plutôt que sur sa pensée, certains voiles qui ne cachent aucune vérité. Ce sont ou des lettres initiales, ou des noms tout en blanc, ou des noms antiques pour des noms modernes. Fiers de pouvoir révéler ce que n'ignore personne, nos récents éditeurs, au lieu de mettre en note un éclaircissement inutile, mais innocent, ont altéré le texte de l'auteur, soit en suppléant ce qu'il avait omis à dessein, soit en substituant le nom véritable au nom supposé. Ainsi, quand la Bruyère dit : « Quel besoin a Trophime d'être cardinal? » bien sûr que ni son siècle, ni la postérité, ne pourront hésiter à reconnaître dans cette phrase le grand homme qu'on s'étonna de ne point voir revêtu de la pourpre romaine, et de qui elle eût reçu plus d'éclat qu'il n'aurait pu en recevoir d'elle, ces éditeurs changent témérairement Trophime en Bénigne; et, comme si ce n'était pas assez clair encore, ils écrivent au bas de la page : « Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux. » Mais voici un trait bien plus frappant de cette ridicule manie d'instruire un lecteur qui n'en a que faire, en élucidant un auteur qui croyait être assez clair, ou qui ne voulait pas l'être davantage. Dans le chapitre De la cour, la Bruyère fait une description qui commence par ces mots : « On parle d'une région, etc., » et qui se termine ainsi: «< Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelque quarante<< huit degrés d'élévation du pôle, et à plus de onze cents lieues de " mer des Iroquois et des Hurons. » Pour le moins éclairé, le moins sagace de tous les lecteurs, l'allégorie est aussi transparente qu'elle est ingénieuse et maligne; nul ne peut douter qu'il ne s'agisse de la résidence royale de France; et chacun, en nommant ce lieu, lorsque l'auteur le tait, peut s'applaudir d'un acte de pénétration qui lui a peu coûté. Que font nos malencontreux éditeurs? Ils impriment en toutes lettres le nom de Versailles, et ils ne s'aperçoivent pas que ce seul nom dénature entièrement le morceau, dont tout l'effet, tout le charme, consiste à décrire Versailles en termes de relation, comme

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